Lundi 1er mai, 11H00, boulevard des FAR, à Casablanca. Le cœur de la plus grande ville du Royaume bat au rythme des tambours, des sons de trompettes, mais aussi et surtout de slogans enflammés. Au même titre que le temps qu’il fait par un jour de grande chaleur, qui n’a pourtant pas empêché les bataillons de travailleurs de défiler. «Ce n’est pas tous les jours fête», lâche Bouchaïb. L, l’air badin. Ex-employé de la défunte Régie des Transports en commun (RATC), converti dans l’action syndicale, il veut maintenant agir au service du personnel employé de «M’dina Bus». «Comment se fait-il que les chauffeurs cotisent pour leur couverture sociale, alors qu’ils n’en bénéficient pas », proteste-t-il, avant d’ouvrir la marche… Un autre cortège attend sur un pied ferme pour donner la réplique. Vêtus de blouses blanches, des dizaines d’infirmières et d’infirmiers se livrent à un magnifique ballet devant une grande estrade montée à proximité de l’hôtel Farah. «Non à l’exploitation», entonne une voix, devant un parterre de personnalités du monde de la politique et du syndicalisme. En premières rangées, on peut facilement reconnaître Mahjoub Ben Seddik, au poste de SG de l’UMT depuis le 20 mars 1955, aux côtés d’ Ismaïl Alaoui, qui vient d’être reconduit à la tête du Parti du progrès et du socialisme (PPS). Lors de ce 1er mai, force est de signaler que les hommes politiques ont brillé par leur absence. Qu’à cela ne tienne, le commun des travailleurs a ravi la vedette. « Nous veillons à ce que les défilés se passent dans l’ordre absolu », a rassuré un responsable syndical affilié à l’UMT, sous le regard admiratif d’un agent de sécurité. Seule ombre au tableau, fait constater un observateur, la proclamation de quelques slogans n’ayant pas grand-chose à voir avec «la lutte ouvrière». Sur certaines banderoles, ou dans la bouche de quelques manifestants zélés, il y a pis que pire. On peut relever des expressions suintant d’antisémitisme et autres dérives. «Cela devrait nous édifier sur un manque notable d’encadrement, tâche qui incombe forcément aux syndicats», fait remarquer un universitaire. Remarque qui n’est pas partagée par un employé d’une usine d’automobiles, affilié à la CDT. «Pour moi, le syndicat est resté une grande école.
J’y ai beaucoup appris, notamment la manière avec laquelle je peux défendre mes droits auprès du patron», se félicite-t-il. Reste à savoir ce que notre interlocuteur pense de la phraséologie du leader de la CDT, Noubir Amaoui pour ne pas le nommer, lors de son discours du 1er Mai proclamé du haut d’une tribune aménagée sur le boulevard Driss Lahrizi, à Derb Omar. Devant une foule immense, le patron indéboulonnable de la CDT a renoué avec son vieux-nouveau discours populiste. Sous le chapiteau aménagé pour la circonstance, une grande photo de Jamal Abdennasser sert d’arrière-plan à un discours ponctué de stéréotypes genre «identité», et autres expressions qui, au-delà du simple et néanmoins légitime «attachement à l’identité arabo-musulmane», cautionnent le dangereux repli dans un monde qui s’ouvre. Et qui bouge. Mais passons, il y a mieux. L’important, faut-il le rappeler, ce sont ces magnifiques travailleurs qui ont paradé, ce jour-là, dans le calme et dans un ordre qui force, sinon l’admiration, du moins le respect. Preuve que notre «classe ouvrière» gagne en maturité. Aux dirigeants d’en tirer les enseignements et de la remobiliser autour de nouveaux engagements sociaux en phase avec les défis de l’heure…