Un meurtre gratuit

Ils viennent, tous les trois, de sortir de chez leur ami H’ssayne. Ce travailleur journalier de quarante ans, qui occupe une chambre dans un quartier populaire de Fès, faisait son possible pour satisfaire les besoins de ses trois amis, Allal, Abdelkrim et Abdelilah. Ce sont ses amis intimes, également des journaliers, plus jeunes que lui. Allal a vingt-huit ans, Abdelkrim, trente et Abdelilah en a trente-deux. Ils ne rataient presque jamais leur rendez-vous du samedi pour passer ensemble la soirée, chez H’sayne et ils continuaient parfois dans un local aménagé par un guerrab pour servir les soûlards. C’est ce qu’ils ont décidé au cours de cette longue soirée automnale de septembre bien qu’ils soient dans un état d’ivresse avancé. Ils titubaient, quand ils sont sortis de chez H’sayne et chantaient à haute voix. Nouvelle direction : le local du guerrab. Les trois amis accèdent au local, s’attablent ensemble et demandent une première bouteille de vin rouge. Les tournées tournent sans problème. Ils s’enivrent, rient, racontent des blagues et chantent. Le temps n’a pas de valeur et ne se compte pas à ces moments. Les heures se ressemblent aux secondes et passent en un clin d’oeil.
Tout à coup, Allal les surprend par un «Stop».
Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? Ses amis ne savent rien, sauf qu’ils ont remarqué qu’il regardait un jeune homme vêtu d’un bleu-jean’s. Il venait d’entrer pour demander une bouteille de Mahia. Il voulait la boire ailleurs semblait-il. Allal le scrute et tente de le provoquer en lui lançant : «Les p…se soûlent eux aussi ? ».
Abdelkrim tourne vers Allal, lui demande de se calmer. Allal se révolte et crie : « je vais tuer ce gamin de Saïd. Ce dernier baisse la tête, faisant semblant qu’il n’a rien entendu et qu’il n’a rien remarqué. Seulement Allal a décidé d’aller jusqu’au bout. Pourquoi ?
«C’est lui qui prétend que j’ai cambriolé la maison de Abdelmalek et que j’agresse, de temps en temps, les femmes, il cherche à me jeter en prison, pour la simple raison que je l’ai maltraité lors d’une bagarre…», confie-t-il à Abdelkrim. Lorsque Saïd s’apprête à quitter les lieux avec sa bouteille de Mahia, Allal avance vers lui et le saisit par le bras. Saïd tente de se retirer. Mais en vain. «Tu n’es pas un homme parce que tu m’accuses de cambriolage et aujourd’hui je vais te tuer», le menace-t-il. Ses deux amis tentent d’intervenir. Mais, il a perdu le contrôle de ses nerfs, semble-t-il. Saïd tente de se retirer de l’affaire, de passer sa soirée sans problème, de s’enfuir. Trop tard, puisque Allal a versé le reste du contenu d’un verre sur le visage de Saïd. Hors de lui, ce dernier brandit son couteau. Allal recule, puis saisit une chaise, essaie de se défendre. Saïd tente de l’attaquer. Les badauds interviennent, pour les calmer. Saïd commence à proférer des menaces en avançant vers Allal.
Ce dernier continue de se défendre par la chaise et recule de temps en temps. Soudain, il remarque une pierre, se courbe pour la saisir. Seulement Saïd ne lui laisse pas le temps de se remettre debout, il lui assène un premier coup au dos. Allal se lève en demandant du secours et Saïd lui donne un autre coup. Allal s’effondre. Saïd a été arrêté. La chambre criminelle près la cour d’appel de Fès l’a jugé, dernièrement, coupable pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner et l’a condamné à 15 ans de réclusion criminelle.