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Benchicou, une posture qui dérange

Chapite I : Le civil Jeudi 15 avril 1999, 14 h. Abdelaziz Bouteflika pique une grosse colère. La scène se passe, en ce jour d’élection présidentielle, dans la somptueuse villa Aziza qui abrite la fondation Boudiaf, à El Biar. Le « candidat du consensus», à quelques heures d’être sacré président de la République, fulminant de rage, informe Mme Boudiaf, épouse de l’ancien président assassiné, qu’il pliait bagage pour partir le soir même pour Genève et qu’il ne voulait plus du fauteuil de chef de l’Etat. Motif de son gros chagrin: les « décideurs », venait-il d’apprendre, n’allaient le créditer que de 53 % des voix, et ce score, peu flatteur pour un postulant seul en course, allait être annoncé dans la soirée aux Algériens.
« Pas question que j’accepte un chiffre inférieur à celui de Zeroual! Si c’est ainsi, qu’ils trouvent un autre président ! », s’étouffe le candidat Bouteflika.
Mme Boudiaf, alarmée, alerte le général Mohamed « Toufik » Médiène, patron du Département recherche et sécurité (DRS), un des architectes de ces élections, un de ceux qui avaient arrêté ce taux « presque vrai » de 53 %, magique pourcentage censé être assez raisonnable pour s’assurer aux yeux de l’opinion d’une crédibilité largement entamée par le retrait brusque des six autres postulants à la présidentielle.
Abdelaziz Bouteflika se sentait d’autant plus humilié qu’il avait refusé, une semaine auparavant, de se retirer à son tour de la course, renvoyant sèchement l’émissaire du pouvoir, Youcef Yousfi : « Allez dire à Zeroual que les autres sont libres de se retirer, moi je reste ! » A quoi aurait servi, en effet, de s’entêter à postuler en solitaire pour hériter d’un si faible score ? Toufik Médiène déboule chez Mme Boudiaf, très remonté contre le futur président, oubliant jusqu’à sa légendaire retenue.
Il n’apprécie pas le soudain caprice du poulain Bouteflika, une fantaisie qui a toutes les allures d’un chantage doublé d’un camouflet pour l’institution militaire. Pour une fois l’affolement avait des raisons d’être général. La caste militaire connaissait, en effet, depuis 1994, l’aptitude de Bouteflika à se débiner à la dernière minute et le général Médiène n’ignorait pas que Bouteflika était allé jusqu’à exiger et obtenir sa tête en ce même janvier 1994.
Le faire revenir à la raison semblait cette fois bien aléatoire.
Durant de longues heures, le chef des services secrets algériens entreprit de persuader celui qui n’était encore que le candidat Bouteflika de se soumettre à ce scénario qui «ne manquerait pas de lui être profitable » une fois « élu ». Rien n’y fit.
Abdelaziz Bouteflika tenait à son chiffre « supérieur à celui de Zeroual ». Quitte à faire truquer, autant truquer complètement pour ma petite personne, semblait dire Bouteflika !
Devant l’obstination du futur président, les généraux décident, à 17h, de changer le score de Bouteflika, en concertation avec l’homme qui allait devenir «démocratiquement », trois heures plus tard, le président de la République: il sera « élu » avec 73,79 % des suffrages exprimés. Liamine Zeroual avait bénéficié des voix de 7.088.618 d’Algériens en novembre 1995 ? Qu’à cela ne tienne : Abdelaziz Bouteflika aura 7 442 139 bulletins en sa faveur, soit 353 521 de plus !
Quand on coopte, on ne compte pas. A elle seule, cette anecdote de la connivence, hélas bien réelle, suffirait à situer une des grosses méprises de l’opinion à l’endroit d’un homme présenté comme un « civil indépendant » quand il n’a toujours été que l’acolyte de la hiérarchie militaire.
Tirant tous les privilèges de cet avantageux quiproquo, le président fraîchement désigné ne répugnera pas à perpétuer systématiquement la contrevérité. Il proclame à qui veut l’entendre son indépendance. « Je suis un candidat libre, annonce-t-il à l’agence Reuters. J’ai défendu un programme pour lequel j’ai été élu et qui, par chance pour moi, a été soutenu par les partis de la coalition. » Donc, pas par l’Armée.
Deux semaines plus tard, il assure sans sourciller devant un journaliste français : « J’ai été un candidat indépendant qui a proposé un programme.
Le peuple a tranché en me portant à la magistrature suprême avec une majorité très confortable. Je considère donc que j’ai des soutiens dans tous les courants qui traversent la société. »
Derrière cette assurance ostensiblement affichée, le président traîne toutefois un douloureux malaise du « mal-élu » qu’il n’assumera qu’avec des arguments maladroits et dont il ne se remettra jamais en dépit du substitut référendaire du 16 septembre 1999.
C’est que le malentendu est aussi sommaire qu’il semble l’être : Bouteflika est un faux civil. Une créature du pouvoir militaire.
Le quiproquo aura profité à l’homme et enfanté les illusions chères aux sociétés de l’encensement. Des milliers de courtisans abusés y avaient vu le porteur de rêves de libertés pour s’apercevoir qu’il n’était, au final, que le postulant à une certaine suprématie, comme celles qui peuplent l’esprit de tout monarque galonné.
Le président que les Algériens venaient de se donner a toujours été, depuis 1957, un auxiliaire militaire soigneusement camouflé sous une apparence civile.
Le travestissement ne le gêne pas outre mesure. « Est-ce que vous pensez que je suis un civil ou un militaire? Voilà des notions bien relatives… », s’interroge-til, faussement dubitatif, devant le journaliste du «Die Welt» avant de clarifier ses propos par une très significative parabole : « Peu importe que le chat soit gris ou noir, l’essentiel, me semble- t-il, c’est qu’il attrape les souris. »
Etre militaire ou civil ne serait, en somme, qu’une question de couleur ! Cette nature bicéphale qu’il n’a pas résolue intérieurement et qu’il n’a jamais assumée allait déteindre sur tout le mandat présidentiel 1999-2004 et en expliquer en bonne partie la déconfiture: Bouteflika cumulait dans une même performance les tares du militaire et du civil sans disposer de quelque grâce de l’un ou de l’autre.
Il a oublié d’avoir du militaire, n’en ayant pas accompli les sujétions, le sens de la subordination aux devoirs majeurs, une certaine grandeur dans l’humilité et l’attachement à la discipline. Il a soigneusement hérité du reste : l’arrogance, le mépris, la tentation totalitaire, le penchant monarchiste et le goût des règlements de comptes. Il en usera et abusera durant cinq ans jusqu’à en faire la griffe principale de son règne.
Le quiproquo autour du faux civil Bouteflika entraînera, chez les observateurs, une lourde erreur d’analyse : on a interprété les divergences qui l’opposaient aux militaires comme des désaccords classiques qui naissent habituellement entre un président civil, attaché à des réformes démocratiques et une hiérarchie militaire agrippée à ses privilèges et qui mettait tout son poids pour le contrarier. Il n’en est rien des brouilles entre Bouteflika et les généraux : elles sont exclusivement dues à la tenace volonté du président algérien de s’octroyer par la force un pouvoir absolu.
Bouteflika ne désirait pas de réformes démocratiques, il cherchait, en bon putschiste de carrière, à asseoir un pouvoir personnel, à changer la Constitution afin d’y consacrer le pouvoir présidentiel, à éliminer les contre-pouvoirs qu’elle prévoyait.
« Il me faut récupérer d’abord mes attributions constitutionnelles qui ont été dispersées à partir de 1989, il faut que je reprenne mon rôle présidentiel, avouait-il déjà en 1999. Ce régime algérien, il n’est ni présidentiel ni parlementaire. Le président est élu sur la base d’un programme, il nomme un Chef de gouvernement qui, lui, présente un programme au Parlement.
Donc, cela peut être un deuxième programme. Il y a une contradiction immense, immense. »

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