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Bouteflika : Une imposture algérienne (10)

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La France s’inquiète par la voix de son ministre des Affaires étrangères : « La France est profondément attachée au respect de la liberté de la presse partout dans le monde, rappelle Dominique de Villepin le 7 novembre 2003. Celle-ci constitue une composante essentielle de l’Etat de droit. L’existence en Algérie d’une presse dont la liberté de ton et d’opinion est souvent soulignée représente un acquis important.
C’est pourquoi la France a publiquement marqué son souhait que des solutions soient rapidement trouvées aux difficultés rencontrées depuis l’été par une partie de la presse privée algérienne et certaines de ses figures les plus emblématiques. »
En décembre 2003, à trois mois de la fin de son mandat, le président est épinglé par un journal de Séoul sur la suspension qui a frappé les journaux algériens. Bouteflika se réfugie dans le mensonge : « La liberté de la presse est totale en Algérie. Si des journaux sont confrontés à des problèmes avec leurs imprimeurs, c’est parce qu’ils ne s’acquittent pas de leurs dettes. Cela n’a rien à voir avec la liberté de la presse. » Pendant ce temps, Jefferson souriait dans sa tombe. La répression qui s’abat sur la presse traduit donc chez Bouteflika un état de panique, et cette panique s’explique principalement par le fait que l’Armée, en cette cinquième année du mandat, lui a retiré son soutien politique. M’hammed Yazid, ancien ministre de l’Information au sein du GPRA, établissait brillamment, à la veille de sa mort, le lien entre le harcèlement de la presse, l’itinéraire de putschiste du président et son désarroi : « Les harcèlements, les mesures d’oppression et les poursuites judiciaires s’expliquent par le fait qu’on continue d’avoir comme gestionnaires des affaires du pays des gens qui ne croient pas à la démocratie et qui étaient contre la Constitution de 1989, qui a introduit le multipartisme dans la vie politique. Ces mêmes gens ont été amenés et installés à la tête du pays par un système qui perdure depuis l’indépendance.
A partir de 1962, nous avons connu une usurpation du pouvoir par des institutions qui s’inscrivaient dans la logique du parti unique. Et cela explique les développements qui nous ont amenés à avril 1999 où un président dit de “consensus” a été installé à El Mouradia à la suite d’une mascarade électorale. Ce système politique approche de sa fin. Les gouvernants du pays réalisent qu’ils ne bénéficient plus du soutien de l’Armée. Alors, ces gouvernants, à leur tête Bouteflika, sont des gens affolés. Des gens qui réalisent que, malgré toutes les tentatives d’étouffer le multipartisme, de supprimer les libertés, il reste une vie politique qui est limitée à la presse privée. Ce qui fait d’elle le seul contre-pouvoir dans le pays. Alors, les mesures prises contre la presse traduisent un affolement, une panique. » Comment ce Bouteflika, filleul de l’Armée, en est-il venu à perdre le soutien filial de l’institution au point de succomber à l’affolement, de s’abaisser en 2003 à renouveler des putschs personnels pour s’agripper au trône ? C’est que l’homme, succombant à la tentation monarchique, a joué et perdu. Il a choisi, par passion pour le pouvoir personnel, de briser le pacte d’honneur de 1999 qui le liait à l’Armée, dont la puissance et la fonction de gardienne de la Constitution l’empêchaient de réaliser le vieux fantasme de tout putschiste endurci : avoir tout le trône et pour toujours. La méthode utilisée par Bouteflika n’est pas nouvelle : elle consistait à réveiller les généraux sur leur vulnérabilité, à les rappeler aux risques qu’ils encouraient à user plus longtemps d’une certaine autorité qu’il pense déclinante, à les déconsidérer aux yeux de l’opinion algérienne et étrangère, à les rabaisser par une violente campagne de dénigrement et de calomnies, à appuyer précisément là où cela fait le plus mal : les accusations de toutes sortes qui mènent tout droit au tribunal de La Haye. Bouteflika, en vieux pratiquant des pronunciamientos, méditant le sort de Ben Bella, a compris que l’autocratie qui peuple ses lubies était impensable tant que ses parrains gardaient leur autorité sur les leviers de décision. « Il n’a jamais caché son intention de doubler les généraux et à se venger d’eux, et je m’étonne qu’ils s’en étonnent, soutient Sid Ahmed Ghozali.
Quand j’étais Chef de gouvernement sous Boudiaf, il est venu me voir spécialement pour me dire textuellement : “Je te croyais plus malin que ça. Tu aurais pu profiter de l’occasion historique pour les culbuter (telaâbelhoum bkerîhoum). Ce ne sont que des nullards… Tu as raté une occasion unique d’être le maître.” Il ne savait pas que l’essentiel pour moi n’était pas de faire aux militaires un enfant dans le dos. Mais, lui, il était haineux envers les généraux auxquels il ne pardonnera jamais l’arrogance de lui avoir barré le chemin du palais présidentiel en 1979. Il était prêt à tout par sentiment de haine et de revanche, et son accession à la présidence est l’opportunité rêvée pour assouvir cette vieille rancoeur. Et il se venge de la meilleure manière qui soit. » Dans sa folie revancharde, le chef de l’Etat n’a à aucun moment réalisé que les coups portés à la hiérarchie militaire étaient encaissés par le pays tout entier, qu’ils fragilisaient autant les généraux que l’Algérie. « Il a une approche réductrice et velléitaire de l’armée, souligne Bachir Boumaza. Il ne veut pas y voir un pilier de l’Etat-nation, mais juste un ensemble d’adversaires à abattre.» L’armée encaisse mal les premiers coups de boutoir de celui qu’elle a coopté, si on en croit le récit du général Khaled Nezzar : « Reçu au ministère de la Défense en pleine canicule, il contraint ceux qui lui ont déroulé le tapis à l’écouter debout pendant des heures entières afin que la caméra immortalise la posture : une sorte de garde-à-vous inconfortable devant sa grandeur.
Qu’est-ce à dire ? L’homme a-t-il des revanches à prendre ? Contre qui veut-il se mesurer ? Pour qui se prend-il ? On se regarde perplexe. Cette première hogra de Bouteflika indispose beaucoup de responsables et leur fait voir différemment le “cavalier” pour lequel ils ont massivement voté. Il ose toujours davantage. Il le pense et il le dit : “J’ai révélé le véritable niveau de ces types.” Il veut dire que ceux qui ont privilégié sa candidature n’ont aucune envergure, qu’ils ne sont rien par eux-mêmes, qu’ils ont tenu et qu’ils tiennent par “la mécanique du pouvoir”. On commence alors à deviner que ces “piques” verbales et ces actes provocateurs ne sont pas seulement des “dérapages” non contrôlés. Ils sont un clin d’oeil à la galerie étrangère qui l’observe : l’Internationale socialiste, le pot-pourri de nostalgiques de l’Algérie française, les trotskistes qui font une fixation sur les institutions militaires, en général, et sur l’Armée algérienne, en particulier, les éditeurs aux ordres de services très spéciaux et leurs supplétifs indigènes et aussi, bien sûr, les ONG qui ont inventé un code de bonne conduite que doivent suivre ceux qui prétendent à la respectabilité. » C’est que la stratégie choisie par Bouteflika pour inhiber, puis évincer les chefs militaires de la décision politique, a consisté précisément à profiter de leur fragilité, celle-là même dont il avait pour mission d’éviter qu’elle ne les expose aux risques majeurs : la menace d’un jugement international pour atteinte aux droits de l’Homme.

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