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Bouteflika : Une imposture algérienne (12)

© D.R

La respectabilité du kalachnikov reste toujours l’imparable solution aux éternels problèmes de légitimité.
La réplique viendra quatre ans plus tard de la bouche d’un général : «Dans quel grand livre de la guerre de libération Bouteflika a-t-il écrit d’inoubliables pages de gloire ? A-t-il squatté la ligne Morice, comme la plupart de ceux qu’il veut rabaisser ? Au pays des grands baroudeurs, il y a un certain ridicule à jouer des biceps. »
La polémique était plantée : le maquisard Bouteflika, alias commandant Si Abdelkader, a-t-il vraiment existé ? Autrement dit, Bouteflika est-il un faux moudjahid ? Curieusement, les historiques seront les premiers à douter du passé guerrier de Bouteflika. A l’évocation, ils se trouvent même un accent méprisant. « Le commandant Abdelkader est une invention tout comme la légende de “Abdelkader El Mali”.
L’itinéraire de Bouteflika au maquis se résume à deux désertions dont on n’a jamais voulu parler », assure le commandant Azzedine qui était, avec Kaïd Ahmed et Ali Mendjeli, l’un des trois adjoints de Boumediène au sein de l’état-major général.
Ferhat Abbas, ancien président du GPRA, est aussi féroce : « Avant même notre retour en Algérie, Bouteflika disait à des amis tunisiens : “Retenez bien mon nom, vous entendrez parler de moi.” Il est regrettable que l’on n’ait pas entendu parler de lui pendant que des hommes de son âge mouraient dans les maquis. » L’allusion est claire : le commandant Abdelkader, alias Abdelaziz Bouteflika, n’est pas connu pour avoir pris les armes. N’ayant jamais exposé sa vie face à l’ennemi, il ne devrait sa notoriété de maquisard qu’à l’irradiation du prestige de Boumediène dont il aurait abusé de l’aile protectrice.
Il est vrai que la bravoure antérieure de Bouteflika n’avait laissé aucun souvenir impérissable. Le nom d’Abdelaziz Bouteflika ne figure dans aucune des structures dirigeantes du FLN et ne se trouve lié à aucun épisode marquant de la guerre de libération.
Rares sont les auteurs qui le citent dans leurs ouvrages comme acteur du mouvement de libération. Cette carence allait tout de suite s’imposer comme un handicap majeur, l’homme devant se prévaloir d’une renommée dont on ne trouvait nulle trace dans les écrits historiques.
Omission révélatrice de la petite considération qu’ils portent au maquisard Bouteflika, les chefs militaires évitent soigneusement d’évoquer les antécédents guerriers du personnage parmi les mérites qui les ont incités à le coopter en 1999. Emporté par sa colère, le général Khaled Nezzar ira jusqu’à perdre retenue : « Il s’oublie. Est-il venu au pouvoir sur des exploits de foudre de guerre ? Où est donc son apport à la Révolution lorsque son nom n’est lié qu’à la sape, au complot et au coup d’Etat?» Ces accents rageurs ne sont, en fait, pas seulement ceux d’un homme en colère. En évoquant la ligne Morice, Khaled Nezzar signifiait que, contrairement à Bouteflika, lui l’avait franchie en officier de l’armée des frontières, en entrant le 3 juillet 1962 dans la Wilaya II aux côtés des colonels Selim Saâdi, Abdelghani, Bensalem, Chabou, Othmane, Abbas ou Kaïd Ahmed.
« Matakedhbou hatan imoutou kbar el houma », assène le général. Un adage populaire à l’ironie suffisamment impitoyable pour dissuader Bouteflika, s’il l’avait médité, de s’aventurer dans la comparaison des mérites.
Car l’homme s’exposera parfois, et lourdement, aux conséquences de sa vanité face aux authentiques ténors de la Révolution. On rapporte, à ce propos, la réplique cinglante qu’Ali Kafi dut opposer en 1993 à Abdelaziz Bouteflika.
L’ancien chef de la Wilaya II occupait les fonctions de président du Haut-Comité d’Etat après l’assassinat de Mohamed Boudiaf quand il reçut, en 1992, une doléance de Bouteflika, subitement disposé à reprendre du service à condition de jouir d’un poste honorable.Kafi lui fit deux propositions dont aucune n’eut l’heur de plaire au postulant. « Je suis un trop grand joueur pour rester sur le banc de touche », aurait dit Bouteflika au président du HCE. Kafi, désarçonné par l’aplomb de son interlocuteur, eut l’idée de lui rappeler son modeste passé de maquisard par cette riposte mémorable : «Mais ya Si Abdelaziz, moi j’étais déjà colonel quand tu n’étais rien du tout et j’ai pourtant accepté les fonctions sous ton règne…» Kafi faisait allusion aux différents postes d’ambassadeur qu’il occupa sous l’autorité de Bouteflika alors ministre des Affaires étrangères.
Aussi l’obstination chez Bouteflika à rappeler l’ancienneté du galon n’obéit-elle pas qu’à une velléité taquine. C’est surtout une façon pour lui d’affirmer, au moyen du souvenir, une autorité qu’il sait discutable. Quand on a eu l’audace de se comparer à Napoléon, il convient d’avoir eu celle de l’empereur des djebels. Bouteflika est conscient que l’on n’a pas de destin politique sans épopée combattante.
En tout cas, pas dans cette Algérie dont il vient de prendre les rênes et où subsiste toujours la génération des libérateurs au jugement implacable, gardienne d’une mémoire dont elle répugne à partager les mérites. Le nouveau président saisit tout de suite l’urgence d’avoir une place honorable dans cette mémoire-là.
Un certain passé plaide déjà pour lui, mais il lui faut l’enjoliver pour que trépassent les derniers doutes. Le nouveau président va donc à son tour s’autoriser des libertés avec son parcours personnel pour donner du muscle à son prestige. Du muscle, mais aussi un peu de cette honorabilité du résistant qui, seule, vous attribue la déférence gaullienne. Il n’en gardera pas d’excessifs remords : d’autres avant lui se sont laissés tenter à profiter de la brume qui enveloppe l’histoire de l’Algérie combattante, de cette indulgence intéressée qui ferme les yeux sur les fausses glorioles des uns et les vraies trahisons des autres.
Arracher cette déférence gaullienne est pour Bouteflika, en cet été 1999, un moyen providentiel d’asseoir son grand projet du moment : la main tendue aux islamistes armés, cette fameuse concorde civile sur laquelle reposent ses ambitions de nobeliste. Il lui faut décrocher l’indiscutable légitimité d’un De Gaulle imposant à l’opinion française « la paix des braves » avec le FLN. Le raisonnement du nouveau président est fort simple : seul un honorable combattant forgé à l’horreur de la guerre est fondé historiquement à parler de paix pour en connaître la valeur mieux que quiconque. Alors, à la manière de l’emblématique chef de la résistance française pactisant avec le FLN, le commandant Si Abdelkader va offrir sa main au GIA. Bouteflika va emprunter l’ascendant du grand général en enjolivant son propre passé de combattant.
De Gaulle s’adressera beaucoup aux Algériens cet été 1999 : « Moi, pour ce qui me concerne, à dix-sept ans, j’ai choisi de mourir en service commandé. Alors, ce n’est pas à mon âge que je vais marchander mes journées à mon pays. J’ai gagé ce qui me reste à vivre au redressement de mon pays », s’ouvre-t-il sur une télévision française.

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