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Bouteflika : Une imposture algérienne (15)

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Heureusement pour sa réputation de commandant Si Abdelkader, il y eut cette tranche de sa vie de six à dix mois que le jeune Abdelaziz passa à contrôler pour le compte de la Wilaya V, en Zone IV, située dans le territoire algérien, aux limites de la Wilaya IV, notamment dans l’Ouarsenis.
Les quelques enquêtes que l’inspecteur Bouteflika eut à réaliser enfantèrent parfois des rapports pas très élogieux pour leur auteur. L’un d’eux aurait même contribué à la mort du commandant Boucif, en 1957.
Parent de Boumediène, Boucif porte le même nom que celui du propriétaire du hammam d’Oujda dont la mère de Bouteflika était gérante. Il est connu pour avoir convoyé les premières armes destinées à l’ALN en 1955, à bord du Dina, le navire. Il s’est trouvé mêlé à une trouble histoire d’inconduites morales et sur laquelle le contrôleur Bouteflika était chargé d’enquêter. Les conclusions de ce dernier achevèrent de persuader les dirigeants qu’il fallait exécuter le commandant Boucif, ce qui fut fait. « La seule action d’éclat que tu as faite au maquis est d’avoir fait exécuter un héros national », se rappelle lui avoir dit Chérif Belkacem. « Il n’a pas réagi, mais la remarque l’a irrité. » L’affaire est, en effet, de celles dont Abdelaziz Bouteflika répugne à parler. Interrogé sur la mort de Boucif en mars 1999 par le journaliste et écrivain H’mida Layachi lors d’un débat télévisé, le candidat Bouteflika, à l’énoncé des questions, prit un air renfrogné et marmonna une réplique outrée pour toute réponse.
Bouteflika eut d’autres tâches sombres dans sa courte carrière de maquisard. L’entourage du général Nezzar raconte qu’il a abandonné au combat une jeune résistante, qui l’accompagnait lors d’une inspection aux confins de l’Ouarsenis.
Surpris par les soldats français, Abdelaziz Bouteflika aurait fui à l’aide du mulet qui transportait les deux contrôleurs, laissant derrière lui la jeune combattante seule face à l’ennemi.
Après une héroïque et vaine résistance, à court de munitions, la moudjahida tombera au champ d’honneur. « Ensuite, il le connut. » Notre interlocuteur signifiait par là qu’en quittant ses fonctions de contrôleur, la jeune recrue de l’ALN venait d’entrer dans son époque dorée, celle dont il ne sortira plus jamais, l’ère de l’ascension ininterrompue, des énigmes et des étranges connivences : la période Boumediène. Comme le colonel était grand, Bouteflika devint son prophète. De la puissante protection de Boumediène, qui durera vingt ans, Abdelaziz gardera trois héritages : une carrière politique, un caractère capricieux et mégalomaniaque, une vocation d’auxiliaire du pouvoir militaire.
La générosité paternelle qui s’abattit dès 1957 sur la jeune recrue Abdelaziz lui ouvrit les yeux sur son destin autant qu’elle ferma ceux de Boumediène sur ses fantaisies. Bouteflika passera ainsi une partie de ses cinq années de maquisard en Europe ou dans la douceur citadine marocaine, inaugurant une espèce très rare de résistant. Boumediène couvrira au maquis toutes les escapades de son officier. Il préservera plus tard la tradition avec son ministre des Affaires étrangères. Abdelaziz ne lâchera plus le colonel. « Son maquis, il l’a fait avec un stylo. » L’étiquette sarcastique collée à Bouteflika vient de la première gratification accordée par Boumediène au jeune Abdelaziz dès 1957 : l’élever au-dessus de l’emploi peu gratifiant de contrôleur pour lui attribuer celui de secrétaire administratif.
Le jeune officier, qui avait pour lui une formation de bachelier, embrassera ce poste pour toujours. Il l’exercera dans un premier temps au sein du poste de commandement de la Wilaya V dont Boumediène venait de prendre le contrôle en octobre après le départ de Boussouf pour Tunis. Il se rapprochera davantage de Boumediène pour en devenir le secrétaire particulier au PC de la Wilaya V, mais aussi au PC de l’état-major «Ouest» et, à sa création en janvier 1960, au PC de l’état-major général. L’activité avait le double avantage de mettre le jeune homme au contact des centres de décision et de l’éloigner des zones de combat.
Quand Ferhat Abbas regrette ironiquement, à propos de Bouteflika, que l’on n’ait pas entendu parler de lui « pendant que des hommes de son âge mouraient dans les maquis», il fait allusion à cette confortable planque dont a joui le jeune Abdelaziz Bouteflika depuis toujours. Il y prendra cependant du galon. Abdelaziz sera promu capitaine en 1960. Nezzar n’y voit que frauduleuse ascension : « Le grade de capitaine de l’ALN qu’a arboré Bouteflika n’a pas été en rapport avec un commandement opérationnel, comme cela se pratique dans les autres Wilayas combattantes…
L’apport personnel d’Abdelaziz Bouteflika, inconsistant en termes de présence effective au corps et de sacrifices personnels, deviendra à grands renforts de grades octroyés le parcours d’un grand combattant.» Derrière le dépit se profile l’accusation : ses galons, Abdelaziz les devrait donc pour une bonne part à Boumediène. Même ceux de commandant. Bouteflika n’est devenu le commandant Si Abdelkader qu’au printemps 1962, à trois mois de l’indépendance. Rien ne l’y disposait, sauf Boumediène qui l’aurait imposé. « Houari Boumediène, qui voyait loin, désirait disposer, dans les structures de l’Algérie indépendante, d’un escadron de cadres dévoués, grandis et valorisés par des épaulettes fabriquées de sa main », explique Nezzar.
Le commandant Azzedine certifie que Bouteflika n’a jamais été promu au rang de commandant durant la guerre : « Si tel était le cas, il aurait été membre du CNRA. Depuis 1957 et le Congrès du Caire, le système de cooptation fonctionnait mécaniquement : le colonel et les trois commandants de chaque Wilaya devenaient automatiquement membres du Conseil de Wilaya du CNRA. Donc, il était impossible à cette époque d’avoir le grade de commandant sans être membre du CNRA ! Celui qui prétend avoir eu à l’époque le grade de commandant sans qu’il fût membre du CNRA est un menteur ! »
En partant de ce postulat, les faits lui donneraient raison : le CNRA s’est réuni à Tripoli le 27 mai 1962 sans que Si Abdelkader y soit associé. Ce sera ce commandant à l’existence incertaine qui plastronnera, quarante années plus tard, devant les généraux, démontrant la puissance des épaulettes fabriquées de la main de Boumediène.
Dans ce qui allait devenir l’obscur mariage de la miséricorde et du caprice, Boumediène commença par fermer les yeux sur la fugue de Ghardimaou. Nous sommes fin 1960. L’état-major général, créé en janvier, a besoin de cadres. Deux postes de commandement attendent, aux frontières tunisienne et marocaine, d’être structurés, celui de Ghardimaou et celui d’Oujda. Boumediène et le colonel Lotfi finissent par remarquer Chérif Belkacem et le désignent au PC d’Oujda. Il y glanera un nom de guerre – Djamel – et le privilège de faire partie du redoutable groupe d’Oujda.

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