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Bouteflika : Une imposture algérienne (16)

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«Mais je me suis surtout rendu compte que mon nouveau poste s’est décidé au détriment de Bouteflika qui avait mainmise sur le PC Ouest de l’état-major et qui avait fini par en réduire la direction à deux têtes : Boumediène et lui. Il lui suffisait d’aller une fois par mois à Rabat ou à Nador et de faire son rapport. Avec ma désignation, ce privilège avait disparu. Le PC Ouest s’est organisé sans lui, se dotant de structures militaires, sanitaires et d’autres acquis comme le journal El Djeïch, organe de l’armée. Tout avait changé pour lui. Il en a été très mécontent. Tellement mécontent que Boumediène l’a alors chargé de diriger un poste équivalent au mien : le PC de Ghardimaou. » Bouteflika ne rejoindra pas immédiatement son nouveau poste de Ghardimaou. Il passe par l’Espagne et l’Italie et s’y plaît. En ce début des années 60, l’époque du twist et du cha-cha-cha, il fait bon y vivre et le jeune Abdelaziz n’a que vingt-trois ans ! « Il s’attarde en Europe pour y faire la noce avec des copains que je connais ! raconte Chérif Belkacem. Pendant ce temps, tout le monde le cherchait. Tout le monde était intrigué… Durant des semaines, il n’a donné aucun signe de vie… Et dire que nous étions en guerre ! » Le fêtard finira par rallier Ghardimaou avec un impardonnable retard. Une fois sur place, il réalisa la gravité de la situation : sa nomination à la tête du PC avait été annulée ; il allait être sanctionné pour indiscipline. Et le colonel ne pouvait rien pour lui ! Il devait tenir compte de l’avis de l’état-major et de ses trois adjoints, le commandant Azzedine, Kaïd Ahmed (Si Slimane) et Ali Mendjeli. Le trio était intransigeant sur la discipline. Bouteflika ne restera donc pas à Ghardimaou.Mais par quelle punition pourrait-il expier une faute passible au moins de prison ? Boumediène lui évitera le cachot, mais pas la mesure coercitive : l’affectation au Mali pour y « ouvrir un front » et y faire pénitence. Il sera accompagné, dans cette mutation punitive, par d’autres fortes têtes condamnées elles aussi pour insoumission.Mohamed Chérif Messaâdia, Abdellah Belhouchet et Ahmed Draïa étaient incarcérés depuis deux ans pour subversion. Accusés d’avoir pris part au complot fomenté par le colonel Lamouri contre le GPRA, ils avaient, de justesse, échappé au sort des quatre principaux auteurs de la conspiration, tous condamnés à mort et exécutés. Le président de la Cour martiale, Houari Boumediène et le procureur Ali Mendjeli les auront sauvés de la mort, mais pas du Mali. Messaâdia et Draïa leur en seront d’une éternelle reconnaissance : en héritant l’un du FLN et l’autre de la police algérienne, ils deviendront, après l’indépendance, deux des plus puissants personnages du système. Et c’est donc sous la direction de Kaïd Ahmed, chargé de les conduire à bon port, que la joyeuse bande d’indociles prit l’avion pour Bamako à l’effet d’élargir la lutte armée aux frontières maliennes. Avec son successeur, le colonel Ahmed Nouaoura, et les commandants Lakehal et Aouacheria, il formente un complot visant à renverser le GPRA. Les quatre conspirateurs seront arrêtés en novembre 1958, ainsi que d’autres conjurés dont Messaâdia et Draïa. Jugés, ils seront tous les quatre condamnés à mort et exécutés en mars 1959. « Comme si on pouvait libérer l’Algérie à partir d’un pays du Sahel. Les gars sont en fait partis ouvrir un “front bidon” », commente Djamel. Ainsi naquit la légende d’Abdelkader El Mali : d’un acte d’indiscipline et d’une idée bizarre. Bouteflika fuguera une seconde fois. « Tout n’a été que sornettes dans ce fameux front du Mali : le front lui-même, les troupes fictives et, surtout, le sobriquet “Abdelkader El Mali”, révèle le commandant Azzedine, qui suivait l’opération depuis Ghardimaou. Bouteflika n’a supporté ni l’isolement ni les difficiles conditions de vie. Quelques semaines après que Kaïd Ahmed les eut installés, Abdelaziz Bouteflika disparut du Mali. Sans laisser d’adresse. Il n’a séjourné au Mali que le temps de déposer ses bagages. » Chérif Belkacem qui pilotait, lui aussi, le « front du Mali » à partir du PC Ouest confirme : « Il est resté très peu de temps au Mali. Et nous a plongés dans l’embarras. »
La disparition de Bouteflika, censé diligenter en personne le lancement du « front du Mali », suscita toutes les interrogations. « Nous demandions fréquemment de ses nouvelles aux Maliens dont nous assurions la maintenance des transmissions par une sorte de coopération technique, affirme Azzedine. Ils ignoraient où se trouvait Bouteflika, qui n’avait même pas prévenu les autorités locales de son départ… » Boumediène eut ainsi l’occasion de fermer les yeux une seconde fois sur les escapades de son protégé. « Je m’en suis inquiété auprès de Boumediène, poursuit Azzedine. Il me répondit d’un ton impavide : “Je n’ai aucune nouvelle de lui, mais attends quelques jours. Peut-être va-t-il réapparaître…” Je l’ai relancé quinze jours après : “Qui sait si on ne l’a pas tué ? Il faut s’inquiéter… Ce n’est pas normal qu’il disparaisse comme ça et qu’on en ait aucune nouvelle…” », l’ai-je interpellé. Boumediène me fit la même réponse. Nous étions désarmés devant cette situation. »
Azzedine mettra quarante-deux ans pour avoir la clé de l’énigme de la bouche d’un ami intime de Bouteflika : le fugueur vivait à Tanger, où il avait une relation sentimentale. « Il est resté longtemps à Tanger, dans un confortable appartement qu’il venait de louer », confirme Chérif Belkacem, l’une des rares personnes à avoir percé le mystère à l’époque et qui en a gardé le secret jusqu’après le retour de Bouteflika aux affaires, en 1999. Quand il réapparut, plusieurs mois après, Bouteflika ne rejoindra pas son poste au Mali, mais regagnera directement le siège de l’état-major à Oujda où Boumediène le récupéra. Azzedine en suffoque encore de colère : « Je l’ai fait savoir en son temps : pour moi en tant que responsable, membre de l’état-major général, il a disparu pendant plusieurs mois ! Est-ce qu’on a le droit de disparaître durant des mois en pleine révolution ? » Bouteflika sera resté, au plus, quelques semaines au Mali. Suffisant pour se fabriquer un sobriquet célèbre et une réputation. La propagande officielle se chargea du reste.
Boumediène était d’autant plus disposé à pardonner au fugueur Bouteflika qu’il avait un projet pour lui en cet automne 1961 où une course pour le pouvoir opposait l’état-major au GPRA. Entre l’armée et le gouvernement provisoire, le divorce était déjà consommé : l’état-major avait annoncé sa démission le 15 juillet dans un mémoire envoyé aux ministres et le remplacement, le 9 août suivant, de Ferhat Abbas par Benyoucef Benkhedda, à la tête du GPRA, n’avait rien arrangé. Il ne restait plus à Boumediène qu’à barrer la route du trône au gouvernement provisoire, le prendre de vitesse en plaçant un chef d’Etat acquis à l’armée parmi les cinq leaders du FLN détenus à Aulnoy.
L’homme idoine pour contacter les cinq était Abdelaziz Bouteflika. Pourquoi lui ? Un peu parce qu’il en avait la capacité intellectuelle, beaucoup parce qu’il avait la confiance de Boumediène.
Dans un entretien avec Rédha Malek, Bouteflika a livré quelques détails sur le déroulement insolite de cette mission dont Boumediène attendait beaucoup. Pour approcher les cinq, Boumediène et Bouteflika pensent tout de suite à exploiter la filière marocaine. Le roi Hassan II venait, en effet, de désigner son représentant personnel auprès des leaders algériens détenus en la personne de l’ambassadeur du Maroc en France, Cherkaoui. Ce dernier, après concertation avec son gouvernement, accepte d’aider à la réussite de la mission.

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