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Bouteflika : Une imposture algérienne (21)

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Je devais apprendre, plus tard, qu’au mois de février de cette même année, c’est-à-dire quelques semaines avant cette conversation, une promesse avait été faite aux Français que leurs intérêts ne seraient jamais plus touchés en Algérie. Donc, il y avait là un jeu que je ne connaissais pas. Il y avait eu des gens qui s’étaient engagés en disant aux Français que leurs intérêts ne seraient plus touchés en Algérie, alors que le président lui-même préparait son coup sans crier gare à personne.
Au cours de cette même année 1968 éclatait l’affaire du vin algérien boycotté par les Français et que Boumédiène décida de vendre aux Soviétiques, provoquant une crise bilatérale. Le rôle qu’y joua Bouteflika était tout aussi teinté de suspicions.
« La France ne voulait ni du gaz algérien ni du vin algérien, rappelle Belaïd Abdesselam.Mais chacun de ces accords – celui passé avec les Américains sur le gaz et celui passé avec les Soviétiques sur le vin – cassait une stratégie française en Algérie.
Evidemment, cela soulevait la réaction de leurs amis (alors qu’on était à la deuxième année de stockage, sous la pression des agriculteurs français et italiens qui ne voulaient pas que les vins non européens entrent sur le marché européen). Il ne faut pas oublier que nous étions en 1967-1968 et que la valeur des exportations de vin était alors équivalente ou supérieure à celle du pétrole ! C’était donc un grand coup qui venait d’être accompli dans la lutte contre l’emprise française sur notre économie.
Mais il y avait toutes les forces contrôlées par les Français, qui s’étaient lancées dans une violente campagne de dénigrement…
C’est à partir de ce moment-là, après les nationalisations de 1968, que nos adversaires commencèrent à se manifester. » Bien plus tard, Abdelaziz Bouteflika se chargera de conforter ses adversaires du sérail en se livrant à d’étranges actes d’allégeance diplomatique à la France qui finirent, selon Abdesselam, par faire sortir Boumédiène de ses gonds.
« L’actualité de l’été 1978, chez nous, était marquée par le renversement du régime d’Ould Dada en Mauritanie et la nouvelle donne que cet événement introduisait dans l’évolution du problème du Sahara occidental. Des consultations s’étaient engagées à ce sujet entre Alger et Paris. Bouteflika en profita pour rendre visite, deux fois de suite en l’espace d’un mois, à Giscard d’Estaing à l’Elysée. Le recevant pour un compte rendu à Brioni où, à l’invitation du Maréchal Tito, il prenait quelques jours de repos après le sommet de l’OUA à Khartoum, Boumédiène l’interpella en ces termes : “Enfin, es-tu le ministre des Affaires étrangères de Giscard ou le mien ? Tu lui as déjà rendu une visite pour une première consultation ; pour la seconde consultation, c’était à lui à m’envoyer son ministre des Affaires étrangères et non à toi de te précipiter une seconde fois dans son bureau !” Mais Bouteflika n’en avait cure ! Lors du retour de Boumédiène de Moscou, quelques jours avant d’entrer dans le coma qui devait se terminer par sa mort, Bouteflika s’arrangea pour faire survoler le territoire français par l’avion qui le ramenait d’URSS en Algérie. »
Dans le contexte de l’époque, pareilles suspicions de forfaiture politique condamnaient au mieux au bannissement, au pire à la mort, le plus souvent à la prison. Sur Bouteflika, ils ont donné un costume d’apparat : diplomate d’exhibition.
Plutôt que d’écarter Bouteflika des Affaires étrangères, Boumédiène a choisi d’en faire un leurre : aux yeux des partenaires étrangers, le ministre devait apparaître comme l’interlocuteur officiel sur certains dossiers dont, en réalité, il était tenu dans l’ignorance et sur lesquels il n’avait aucun pouvoir de décision.
Cette ruse de guerre permettait à Boumédiène d’exploiter l’image conciliante de son ministre à des fins tactiques : endormir l’adversaire et donner le temps à la propre stratégie du colonel de mûrir.
C’est dans l’épisode des nationalisations du pétrole que Bouteflika campera le mieux, et à son insu, ce rôle de « diplomate de paille » : il n’en a rien su jusqu’à la veille de leur annonce par Boumediène le 24 février 1971.
Il était pourtant chef de la délégation algérienne à ces fameuses négociations algéro-françaises de 1970 qui débouchèrent sur les nationalisations. Boumédiène, qui avait son projet arrêté, l’a utilisé comme anesthésiant : il laissait son ministre des Affaires étrangères illusionner les Français sur la possibilité d’éviter les nationalisations. Belaïd Abdesselam, qui suivait les réunions en qualité de ministre de l’Industrie et de l’Energie, confirme: « A partir de décembre, les Français ont compris que, du côté de Boumédiène, il y avait une ferme détermination.Mais du côté de notre délégation, qui négociait à Paris, des assurances avaient été données aux Français… Je ne peux pas raconter tous les détails ; cela demanderait beaucoup, beaucoup… (hésitation) beaucoup… de choses. »
Sid-Ahmed Ghozali, qui participait aux pourparlers en tant que président de Sonatrach, est plus explicite : « En vérité, Boumediène avait exclu dès le départ Bouteflika de la conception et de la conduite de la stratégie qui devait mener aux nationalisations.
Depuis trois ans, Boumédiène faisait mûrir une crise qui justifierait les nationalisations et comptait sur l’échec des négociations pour précipiter la décision. Mais Bouteflika n’en savait rien. Il était persuadé que sa mission à la tête de la délégation algérienne était de trouver un accord alors que le but était d’arriver à un divorce. »
La stratégie pétrolière secrète de Boumédiène à laquelle fait allusion Sid-Ahmed Ghozali, et dont Bouteflika ignorait l’existence, tient en un document confidentiel de 50 pages que Belaïd Abdesselam a rédigé de sa main en 1965 et déposé en personne sur le bureau de Boumédiène. Il s’agit, en fait, d’un plan qui prévoyait, de façon opérationnelle, toutes les étapes devant mener au 24 février 1971 : engager dès 1968 les négociations techniques avec les Français pour la révision des prix du pétrole, créer un climat de tension politique en passant des négociations techniques aux négociations politiques, faire durer ces dernières afin de permettre à Sonatrach d’être prête et, enfin, provoquer l’impasse qui déclencherait les nationalisations.Cette feuille de route aura été parfaitement respectée.
« Ce document existe, j’en ai une copie, atteste Ghozali. Il a été discuté entre trois personnes : Boumediène, Belaïd Abdesselam et moi-même. Boumédiène voulait qu’il restât secret, absolument secret. C’est pourquoi Bouteflika n’en a jamais été informé de l’existence. » C’est ainsi que le ministre algérien des Affaires étrangères crut diriger, pendant plus d’une année, une délégation algérienne à une négociation qui lui échappaient autant l’une que l’autre. « Les instructions je les recevais directement d’Alger, de Boumédiène ou de Belaïd Abdesselam, jamais de Bouteflika, affirme Ghozali. Bien au contraire, c’est moi qui les transmettais à Bouteflika pour la “bonne exécution générale” ».
Bouteflika fut à ce point tenu éloigné du déroulement des négociations pétrolières qu’il ne sut jamais rien de la fameuse « affaire Tony ».
Tony est le surnom de cet ancien boxeur algérien, play-boy introduit dans le Tout-Paris et dont les négociateurs algériens eurent l’idée d’utiliser les qualités de don Juan pour espionner la partie adverse.

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