Spécial

«Cadrer la libéralisation»

© D.R

ALM : En tant qu’opérateur aérien national, quelles sont vos attentes par rapport aux Assises nationales du tourisme, prévues les 12 et 13 février à Casablanca?
Mohamed Berrada : Nos attentes sont celles de tout opérateur dont l’activité est liée au tourisme. Notre voeu le plus cher est de voir le développement du tourisme se concrétiser, de faire connaître le Maroc en tant que destination touristique de qualité. C’est également pour nous, comme pour tous les acteurs concernés de faire le point sur la situation du tourisme nationale par une meilleure connaissance de ses forces et faiblesses en la matière.
Ces assises seront en grande partie consacrées à la libéralisation de l’aérien. A cet égard, faut-il, à votre avis, libéraliser aujourd’hui l’espace aérien marocain ?
Il faut avant tout préciser que l’aérien n’est qu’un des dossiers chauds qui sont débattus lors de ces Assises. D’autant que faire de l’aérien le facteur exclusif du développement, ou non, du tourisme national, et l’unique instrument pour atteindre l’objectif de 10 millions de touristes à l’horizon 2010 est une perception quelque peu réductrice. Dépendre dans le développement du tourisme du seul aérien revient à être déçu. Le tourisme est une interrelation entre plusieurs facteurs et un apport de plusieurs secteurs, liés par une politique globale et une vision commune du développement du tourisme. La libéralisation est en soi une bonne chose dans la mesure où elle libère les initiatives, améliore la productivité et incite à la baisse des coûts et, donc, à l’augmentation de la demande. Elle permet à de nouveaux concurrents d’accéder au marché, et par là d’augmenter la demande. Un concurrent ne vient jamais prendre une part de marché, mais l’élargir, en augmentant l’offre et en faisant connaître le produit.
Quelles sont, dans ce sens, les limites auxquelles une libéralisation doit se tenir ?
Il faut que cette libéralisation soit impérativement accompagnée de la mise en place de règles. La libéralisation, oui, mais pas à n’importe quel prix et pas n’importe comment, ce qui risque de créer une véritable anarchie dans le secteur. Il faut qu’elle soit cadrée, surtout dans le secteur aérien. On le constate dans tous les pays. Toutes les libéralisations qui sont menées sont relativement cadrées, régies avec des règles et suivies par des organismes publics qui veillent à l’application de ces règles. Ces mesures trouvent leurs fondements dans la nature même de l’activité , à commencer par l’aspect de la sécurité, ensuite par la forte concurrence dont elle fait l’objet et qui implique, plus que tout autre secteur, une réglementation ferme et applicable. Si on libéralise tous azimuts, les compagnies vont s’attaquer à des créneaux où il y a de la demande, mais vont abandonner ceux où il n’y a pas beaucoup de trafic. Le grand perdant n’est autre que le pays dans son ensemble.
Pensez-vous que la solution envisagée par le ministère du Tourisme et celui du Transport, visant à subventionner des lignes régulières, aussi bien étrangères que marocaines, représente une solution sérieuse pour le développement des flux touristiques vers le Maroc ?
Il est tout à fait normal que lorsqu’on veut ouvrir de nouvelles destinations, on ne sait pas si la demande va réellement suivre, ou pas. Dans le cas où cette dernière ne se fait pas ressentir, il faut bien que quelqu’un supporte les frais aussi bien préliminaires que les pertes éventuelles de l’ouverture d’une ligne donnée. Il se peut qu’une destination marche dans l’immédiat et qu’il y ait de la demande. Mais si ça ne marche pas, une compagnie aérienne qui supporte toute seule des pertes liées à l’ouverture d’un marché nouveau, risque tout simplement de faire faillite. C’est pour éviter cela que le gouvernement doit inciter les compagnies, en donnant une contre-partie, à se lancer dans de nouvelles lignes. Nous le voyons en Europe par exemple. Ce sont les communes qui subventionnent, directement ou indirectement, notamment par la participation à certaines charges, de communication de publicité, pour que certaines compagnies puissent desservir certaines destinations. Pour cela, il faut une réglementation précise, établie à l’avance. Sinon, on risque de voir disparaître toutes les compagnies.
Que pensez-vous de la faillite déclarée des deux compagnies charters marocaines ? Selon vous, quelles en sont les raisons ?
Franchement, c’est une déception. C’est triste de voir deux nouvelles compagnies, créées il y a à peine deux ans, disparaître. Ce résultat peut être dû à une multitude de raisons. La première en serait la faiblesse de la structure financière. Mon métier m’a appris que n’importe qui ne peut pas le faire. Il faut être grand et avoir la capacité de faire de l’aérien. Il faut surtout avoir les capacités financières de perdre un certain temps et disposer d’une masse critique. Faire une compagnie avec un avion n’est pas viable comme entreprise. Et quel que soit le nombre d’avions dont une compagnie dispose, il ne faut pas oublier les structures commerciales, les agences, qu’un tel projet implique. Il y a donc une masse de charges fixes qu’il faut pouvoir supporter pour monter une compagnie aérienne.
Les professionnels du tourisme, rejoints en cela par leur ministre de tutelle, considèrent que le hub de Casablanca constitue une entrave majeure au développement des flux touristiques à destination du Maroc. qu’en pensez-vous ?
C’est une position que je ne comprends pas. Aujourd’hui, on est en train de pousser à la création de point à point. Sur le court terme, plus on développe «le point à point», plus cela limitera le développement du hub. Mais sur le long terme, le trafic au niveau du hub est également appelé à se développer. Donc, je ne vois pas comment la politique du hub peut nuire au développement des flux touristiques. On est en train d’augmenter le nombre des fréquences des points à points partout dans le pays. L’objet de la filiale touristique n’est pas uniquement de faire du charter, mais également de faire du régulier point à point, surtout vers des destinations régionales ayant des atouts et des objectifs touristiques.
Peut-on comprendre par là que la RAM est en train de diversifier ses activités, en investissant directement dans des créneaux liés à l’activité touristique ?
Si on développe une filiale à caractère touristique (charter et point à point), il est évident qu’il faut que la RAM se concentre sur son vrai métier, régulier, traditionnel et de qualité, à l’image des grandes compagnies. A titre d’exemple, Air France ne fait pas de charter. Et désormais, Royal Air Maroc ne fera plus de charter. Ce sera notre filiale, fondée sur le principe du bas coût qui va mener des vols charter et des point à points. Ces derniers auront la particularité d’être réguliers, mais avec une qualité inférieure. Par réguliers, j’entends des vols qui seront toujours lancés, quel que soit le taux de remplissage et durant toute l’année. La compagnie doit le faire, au risque de souffrir vu les taux aléatoires de remplissage et le facteur coût qui en découle. Mais il faut bien que quelqu’un le fasse. Et seule la RAM peut s’y risquer. Réussir cela est un facteur essentiel dans la réussite de la vision 2010. Et je suis fier qu’on ait fait appel à la RAM pour qu’elle puisse être la compagnie qui va accompagner le gouvernement dans sa vision.

• Propos recueillis
par Tarik Qattab et Bensalem Fennassi

Related Articles

EconomieSpécialUne

12ème édition de Logismed : Comme si vous y étiez!

Les travaux de la 12ème édition du Salon international du transport et...

SpécialUne

PortNet organise les Rencontres du digital

Défis PortNet S.A. organise une nouvelle édition des Rencontres du digital, mercredi...

EconomieSpécialUne

Le projet de Zenata conçu pour répondre aux besoins de Casablanca les plus pressants

Le directeur général de l’Agence marocaine de développement de la logistique (AMDL),...

EconomieSpécialUne

Secteur du transport et de la logistique: Un levier clé de la compétitivité économique du Maroc

«Le secteur du transport et de la logistique occupe une place stratégique...