Spécial

France : Les démons de l’islamisme (14)

© D.R

Les salafistes entrent dans les toilettes du pied gauche
Aulnay-sous-Bois, juillet 2001
C’est un spectacle d’un autre temps, devant la mosquée al-Irchad. Le scène se déroule rue Louison-Bobet à Aulnay-sous-Bois (seine-Saint-Denis). Agés de vingt à trente-cinq ans, les hommes arborent une longue barbe. Ils tiennent à la main des enfants de moins de trois ans. Les femmes ont le visage recouvert d’un voile noir, sans laisser paraître un bout de peau. Elles entrent par une porte séparée. L’assistance comprend aussi des convertis. Leurs conjointes en rajoutent dans la rigueur. Elles portent une «tenue encore plus stricte que leurs coreligionnaires d’origine maghrébine1».
Venue de la région parisienne et du Nord-Pas-de-Calais, la foule de fidèles se presse à un séminaire salafiste. Né d’une scission du wahhabisme saoudien, le salafisme prône un retour à la religion des «anciens». À chaque seconde de leur vie, ces orthodoxes cherchent à imiter le plus possible les faits et gestes du Prophète. Ils sont à l’Islam ce que les visiteurs de Jean-Marie Poiré sont au christianisme, des anachronismes en chair et en os, voués à vivre au XXIè siècle avec des principes du VIIè siècle. L’un des organisateurs du séminaire d’Aulnay est un Néerlandais, Jacques «Yacoub» Leenen. Cet homme de trente-sept ans agit en concertation avec une association, Anas Ibn Malik, dont les membres, issus des quartiers sensibles de Lille,Roubaix et Tourcoing, ne seraient pas tous de purs esprits. Selon les RG, «certains ont par le passé agi au sein des réseaux de soutien au GIA 2».
Le cycle de conférences dure plusieurs jours. Hommes, femmes et enfants sont d’une ponctualité exemplaire. Face à une assistance calme et studieuse, les principaux orateurs, trois cheikhs de l’université de Médine, n’ont aucun mal à asséner leurs vérités. À la tribune, Abdullah al-Bukhari, Salih az-Zubaydi et Muhammad Bazmoul tiennent «des discours encourageant une pratique très rigoureuse et rétrograde de l’Islam, à défaut d’attaques réelles contre l’Occident». Au micro, les prêcheurs saoudiens vantent la polygamie, un «droit pour tout musulman, quel que soit le pays dans lequel il vit». Le féminisme n’influence pas trop ces maîtres à penser. Pour eux, les femmes doivent être «accompagnées de leur mari ou par un autre homme de la famille pour tout déplacement hors du domicile conjugal» ! «Que faire lorsqu’une femme ne veut pas porter le hijab ?» interroge un apprenti salafiste . «L’homme doit s’efforcer de démontrer à sa femme qu’elle a tort de ne pas vouloir le porter», répond le cheikh Bazmoul. Si elle n’est pas convaincue ? «L’homme peut divorcer.» Un autre se pose une question métaphysique : «Peut-on parler à une femme ?» Le Alem lui rétorque : «Il est est interdit à tout musulman de parler à une femme qui n’est pas sa propre femme. On ne doit pas entendre la voix d’une femme. Elle se doit de parler doucement.» Les consignes sont strictes, d’un archaïsme qui défie la raison. Un cheikh s’enflamme : «Les musulmans doivent vivre en dehors des valeurs et des traditions occidentales.»
Les théologiens évoquent le haram (les interdits, en Islam). La liste est longue ! Il est interdit à un musulman de pénétrer dans cimetière catholique, «y compris pour un Français converti souhaitant assister à l’enterrement d’un membre de sa famille». Il est aussi interdit «pour les personnes malades d’appeler le médecin ou de prendre des remèdes car seul Dieu guérit». Il est interdit d’avoir un chien chez soi et d’entrer dans des toilettes, endroits réputé satanique, sans prononcer d’implorations telles que : «Dieu, protège-moi de Satan !» Il vaut mieux entrer avec le pied gauche, pour en sortir avec le pied droit. Les gourous ont leur idée sur tout. Répondant aux questions des fidèles, le cheikh Bazmoul délivre des recommandations fondamentales : la peau de cochon peut être utilisée en vêtements et le vinaigre servir d’assaisonnement. Mais après avoir mangé de la viande de chameau, les ablutions sont obligatoires. En attendant, les disciples doivent faire bonne figure. Le cheikh Bukhari professe : «Même si un musulman a un profil rude, il doit compenser par sa gentillesse. À travers son comportement, il doit être remarqué comme un homme doux. Ce sont tous les musulmans qui y gagnent, c’est l’Islam qui est reconnu.»
Au final, les policiers concluent : «D’une manière générale, les cheikh ont invité les musulmans à quitter dès que possible les terres non musulmanes.» Le message est claire : éviter les impies et –si possible- les fuir. En mai 2001 déjà, un rassemblement du même acabit avait rassemblé plus de deux mille personnes à Argenteuil (Val-d’oise). Un orateur expliquait qu’il n’etait pas question d’accepter le RMI ou l’allocation chômage : «Chacun doit chercher du travail ou alors, s’il n’en trouve pas, il faut quitter la France, l’immigration vers les pays arabes étant souhaitable 3.» Sachant qu’il n’est pas facile pour un salafiste d’être employé. À l’un de ses fidèles, facteur à la Poste, qui lui demande un jour s’il peut conserver son travail, l’imam répond «non». La raison ? les enveloppes peuvent contenir des catalogues avec des femmes dénudées en photo ! Un autre adepte demande à son imam s’il a le droit de se marier avec une femme dont le frère travaille dans un café. Réponse à nouveau négative. La prohibition de l’alcool s’étend aux collatéraux. Est-il possible de prendre des médicaments pendant le Ramadan ? Chaque geste de la vie quotidienne, naissance, mariage, repas, est ainsi régi par la religion. Il n’est pas rare de voir certains fidèles interroger des cheikhs saoudiens par Internet avant de prendre une décision.
Quelques jours après 11 septembre 2001, la DST prononce un premier diagnostic : «Le salafisme, même dans sa version la plus modérée, demeure l’expression la plus rigoriste et obscurantiste de l’Islam sunnite. Celle-ci exclut, d’emblée, toute interprétation nécessaire à l’adaptation à la modernité d’un environnement occidental 4.» Les experts de l’antiterrorisme craignant «que le discours salafiste, même non radical, n’entraîne des dérives, suscitant chez certain jeunes musulmans des banlieues de l’Europe la découverte d’une identité meurtrière». A leur avis, le «risque de radicalisation et dérapage se trouve accru en raison du flou qui entoure la frontière entre le salafisme «politiquement» correct de Médine et celui qui anime les djihadistes et leurs réseaux de soutien en occident». En octobre 2001, une association basée à Sartrouville (Yvelines), la communauté musulmane de la cité des Indes, envisage de tenir un congrès salafiste dans un parc des expositions à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Les organisateurs voient grand : le salle réservée mesure trois mille mètres carrés et peut accueillir quatre mille personnes, le tout est loué pour la coquette somme de plus de 15000 euros. «Il convient de s’interroger sur l’opportunité de laisser une telle manifestation organisée sur notre territoire dans le contexte actuel, écrit alors la DST. Il ne fait pas aucun doute que certaines des interrogations porteront sur les attentats du 11 septembre et ses conséquences pour l’oumma. On ne peut exclure (…) que les savants salafistes invités ne dénoncent la croisade qui se prépare contre les musulmans 5» et de rappeler : «Il y a lieu à cet égard de constater que ces actes terroristes ont été accueillis avec satisfaction par toute une frange de jeunes musulmans à travers la France» La manifestation sera finalement annulée. Le responsable du parc des expositions se souvient d’avoir reçu d’aimables pressions des autorités pour qu’il en soit ainsi. Depuis, les salafistes ne cessent de gagner du terrain en France. Début 2004, les RG parisiens recensent trente-deux mosquées sous le contrôle des plus radicaux. L’année précédente, les salles de prière salafistes n’etaient qu’une vingtaine .
Une dizaine sont installées dans des quartiers dits «sensibles», où les populations les plus fragiles passent sous la coupe des islamistes. Ces derniers préparent une révolution silencieuse.

1- «Séminaire salafiste d’Aulnay-sous-Bois»,DCRG, 3 Août 2001
2- Ibid
3- «Conférence salafiste au centre Al Ihsan d’Argenteuil», RG, 29 mai 2001.
4- «Le salafisme : ses origines saoudiennes et ses prolongements en France», DST, 18 septembre 2001.
5- «La mouvance salafiste en France organise un nouveau congrès du 5 au 7 octobre 2001 à Cergy-Pontoise», DST, 18 septembre 2001.

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