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France : Les démons de l’islamisme (16)

© D.R

Paul Barril anéantit les mutins de l’Islam
La Mecque, 4 décembre 1979
Les relations entre l’Arabie saoudite et la France ont toujours été complexes. D’autant qu’il y a des cadavres dans le placard. Le couple a scellé sa troublante alliance dans un bain de sang le 4 décembre 1979. Giscard est à l’Élysée. Il est 10 heures du matin, dans le saint des saints de l’Islam. Ce jour-là, un fracas de mitraille retentit autour de la Pierre noire, la relique sacrée des Musulmans. Tout autour, les porte de la mosquée de La Mecque explosent. Les gardes nationaux saoudiens s’y engouffrent. Ils sont près de trois mille à se lancer à l’assaut. La sanglante fusillade qui s’ensuit fait songer à une bataille de chars dans Saint-Pierre de Rome. Il faut dire que la survie du Royaume wahhabite d’Arabie saoudite est en jeu. Deux semaines auparavant, le jour inaugural du XVème siècle de l’Hégire, un groupe d’opposants au régime du roi Khaled s’est immiscé dans les lieux.
En plein pèlerinage, des centaines de rebelles ont fait irruption en camions dans l’édifice ceint de murs longs de cinq kilomètres. Devant des milliers de fidèles réunis pour la prière de l’aube, le chef militaire des assaillants a hurlé au micro sa volonté de combattre l’oppression en Arabie saoudite, la corruption des Princes, la dilapidation de richesses, la dégradation morale. Ben Laden ne dira rien d’autre vingt-deux ans plus tard. Selon la version officielle, l’orateur a présenté l’un de ses acolytes comme le Mahdi, le nouveau Messie. Cette version a pour insigne intérêt de laisser entendre que l’Iran,le pays ennemi, était derrière le coup.
Les « hérétiques et renégats » ont investi les pourtours du lieu sacré, la Kaâba, les minarets et la multitude de salles en sous-sol. Leurs positions leur ont permis de tenir un siège. Le lendemain de leur intrusion, la troupe officielle lance des blindés à l’assaut des insurgés. Le ministre de l’Intérieur clame avec assurance : « Tout est fini». En fait, l’opération a échoué. Trois jours plus tard,le prince Nayef annonce à nouveau que les rebelles se sont rendus. Son propos est encore démenti par les faits.
Il faudra attendre dix jours de plus, soit le matin du 4 décembre 1979, pour que la monarchie saoudienne, « protectrice des lieux saints », parvienne à y rétablir sa loi. La rébellion est matée dans un bain de sang. Le gouvernement local annonce deux cent soixante-dix morts, dont cent vingt-sept soldats de la Garde nationale. Une soixantaine de membres du commando, faits prisonniers, seront décapités un mois plus tard, sans autre forme de procès. En fait l’histoire retient un bilan s’élevant à des milliers de tués, parmi lesquels des pèlerins pris au piège entre deux feux.
L’Arabie saoudite a chancelé, mais la France l’a soutenue dans ce moment crucial.
La république a en effet missionné trois conseillers auprès de l’armée saoudienne, inapte à se sortir d’affaire.
Le capitaine Paul Barril, qui appartiendra plus tard à la cellule antiterroriste de l’Élysée sous François Mitterrand, se souvient de cette tâche réalisée pour le compte de son prédécesseur alors au pouvoir. Le 23 novembre 1979 , accompagné de l’adjudant Ignace W. et du maréchal des logis chef Christian L., le turbulent gendarme s’est envolé vers le royaume fragilisé à bord d’un Falcon 20. Sur place, les trois hommes du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) procèdent à une conversion express, en récitant la chaada devant un Imam : « Il n’y a qu’un seul Dieu et Mahomet est son prophète. » Grâce à quoi les militaires français peuvent accéder aux abords de la mosquée de La Mecque, interdite aux mécréants. Le capitaine rencontre le roi Khaled lui-même – c’est dire la gravité de la situation – et discute avec les chefs d’état-major locaux. Des conseillers américains font de même, en parallèle.
Comment déloger les insurgés réfugiés dans les soixante dix mille mètres carrés de sous-sols ? Il y a bien cette idée consistant à inonder les caves, puis éliminer les opposants par des décharges de courant électrique. Mais la tentative échoue. Considérant que la fin justifie les moyens, Paul Barril songe alors à « gazer tout le monde ». Il s’explique : « J’avais demandé tout le stock de gaz de l’armée française et mille masques à gaz. Pour livrer le matériel, Giscard m’a fait envoyer la Caravelle du général de Gaulle. » Pour disséminer les gaz asphyxiants et lacrymogènes dans les galeries, des explosions étaient prévues. Les troupes saoudiennes ont la main lourde : « Elles ont tiré huit mille grenades au fusil dans un couloir. » C’est le ministre saoudien de la Défense, le Prince Sultan, qui avait eu l’idée d’appeler le capitaine à la rescousse. En juin 1979, quatre mois avant la prise d’otages, le ministre assiste au salon militaire de Satory, en banlieue parisienne. Sous ses yeux, l’adjoint du commandant Christian Prouteau procède à une petite démonstration maison. L’intéressé raconte que, pour épater son éminence, il descend d’un hélicoptère en rappel, casse des tuiles au poing et muni d’un 357 Magnum, tire sur un compère vêtu d’un gilet pare-balles. Question du ministre : Combien de temps faut-il pour former chez nous des gens comme vous ?» Barril : « Quel niveau ont-ils ? Sultan « Ce sont des bédouins.» Réponse fulgurante du capitaine : « Jamais on en fera des nageurs de combat. » Reparti vexé,le ministre songe, devant la difficulté, à rappeler le « petit lieutenant arrogant » qui l’avait nargué. Le gendarme exécute sans état d’âme cette mission considérée comme « honteuse ».
De retour à Paris, l’as du GIGN s’entend dire par sa hiérarchie, inquiète des répercussions possibles: « Oubliez tout, cette affaire n’a pas existé. En février 1980, le ministre français de la Défense, Yvon Bourges, affirme à l’Assemblée nationale qu’il n’y a eu «aucune participation de militaires français aux opérations conduites à La Mecque par les autorités saoudiennes».
Un mois plus tôt, il a pourtant envoyé un courrier «confidentiel défense» au directeur général de la gendarmerie pour féliciter le capitaine et les deux gradés qui ont participé « à la préparation d’une opération de rétablissement de l’ordre conduite par les forces spéciales d’un pays ami». Le ministre ajoute que les «autorités concernées» adressent les «appréciations les plus élogieuses» aux Français pour leurs initiatives « hardies et efficaces ». Au sommet de la République, les responsables se frottent les mains.
L’Arabie saoudite saura prouver sa gratitude par des contrats mirobolants. Un document établi en décembre 2003 par le Service des études historiques de la marine assure même que « si le bilan humain de l’opération demeure controversé, le bilan politique et commercial fait, lui, l’unanimité». En février 2004, Valéry Giscard, d’Estaing refuse toujours que les lots d’archives AG 3, AE74 et AE 75, contenant les documents de l’Élysée relatifs à l’Arabie saoudite durant cette période, soient consultés aux Archives de France.
Les coulisses de ce dossier regorgent encore de mystères. Paul Barril se souvient que l’opération a pu être mise sur pied grâce à des plans des lieux fournis par une société de travaux publics saoudienne ayant construit l’extension de la mosquée de La Mecque. Laquelle firme n’était autre que le Saudi Binladin Group, la société fondée par Mohamed Ben Laden. Le père d’Oussama.
À l’époque, celui qui deviendrait le chef d’Al Qaïda travaillait justement au siège de la société, à Djedda. « Je me souviens très bien que c’est là, au siège central de la société SBG, que nous avons récupéré ces fameuses cartes des sous-sols de l’édifice», confirme Pierre Lafrance, à l’époque premier conseiller à l’ambassade de France à Riyad.
Le diplomate ajoute qu’il ignore « si la remise des plans s’est faite avec l’accord d’Oussam Ben Laden ou à son corps défendant». En tout cas, avec la répression de la rébellion de La Mecque, la France et l’Arabie saoudite concluent un solide pacte, sans traités ni conférence de presse, qui résistera au temps.

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