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France : Les démons de l’islamisme (4)

© D.R

Sarkozy rend visite au cheikh Tantaoui
Le caire, 30 décembre 2003
Comment calmer justement les radicaux prêts à passer à l’acte ? La vérité est que tous les moyens sont bons. Y compris les mises en scènes symboliques. C’est ce que va tenter Nicolas Sarkozy en cette fin 2003. Dans l’ombre, son conseiller diplomatique au ministère de l’Intérieur, David Martinon, s’affaire à une mission très délicate. Martin est un jeune homme volubile aux allures de dandy. Un jour où il arrive les cheveux plus courts que d’habitude, le directeur de cabinet, Claude Guéant, qui cultive la sobriété, lui dit qu’il est «mieux comme ça».
Place Beauvau, les humeurs colorées détonnent. Le bleu marine ou le gris y sont le rigueur. Début décembre 2003, le diplomate gominé a l’idée d’un rendez-vous entre le ministre et le cheikh Mohamed Tantaoui. Grand imam de la mosquée al-Azhar du Caire, ce religieux est la plus haute figure de l’Islam sunnite. Comme Sarkozy a décidé de passer ses fêtes de fin d’année en famille à l’hôtel Old Cataract sur les bords du Nil, là même où François Mitterrand est venu méditer à l’article de la mort, l’occasion est belle. David Martinon demande à l’ambassadeur de France en Egypte, Jean-Claude Cousseran, d’arranger l’affaire.
Diplomate d’expérience, Cousseran est le genre d’homme qui connaît les filières de l’ombre. Conseiller économique à Téhéran en 1979, il avait flâné dans les manifestations chiites et prévu la révolution iranienne. Ancien ambassadeur à Ankara et à Damas, ancien membre de plusieurs cabinets ministériels socialistes, il a dirigé la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de 2000 à 2002. Le monde du secret ne lui est pas étranger. Arabopbone, Cousseran obtient un rendez-vous avec Tantaoui, mais, selon un proche de Sarkozy, il revient «sans garanties» sur le parti que prendra le cheikh dans le début sur le foulard.
Garanties ou pas, Sarkozy a toutes les raisons de se méfier. En avril 1998, son prédécesseur, Jean-Pierre Chevènement, dont l’épouse est d’origine égyptienne, s’était rendu auprès de l’imam d’al-Azhar. Le ministre avait d’abord entendu un discours doux à ses oreilles. Le hiérarque avait signifié que la France avait le droit d’obliger les élèves à retirer le foulard. Sauf que des ouléma du Caire s’étaient émus auprès du cheikh.
Pour accentuer la pression, un haut responsable de l’UOIF lui avait passé un coup de fil pour se plaindre. Si bien que Tantaoui avait fini par revenir sur sa parole quelques jours plus tard en publiant un communiqué assurant que «la femme ne peut montrer de son corps que le visage et les deux mains». Chevènement en avait été dépité. Il aurait dû faire plus attention, «al-Azhar ayant encore beaucoup à faire pour se dégager d’une solide réputation d’obscurantisme1».
Le 17 décembre 2003, à l’Elysée, Jacques Chirac annonce sa décision de faire voter une loi sur la laïcité à l’école. Le calendrier est idéal. Au Caire, le cheikh Tantaoui se prépare à nouveau à rencontrer les Français. Il appelle au téléphone le président du tout nouveau Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur, pour le sonder sur le personnage politique qu’il va recevoir. Tantaoui refuse en revanche de prendre en ligne les responsables de l’UOIF, qui aimeraient bien peser sur lui, mais cette fois-ci avant qu’il parle. Dans l’appareil d’Etat aussi, on décroche beaucoup son combiné. Le 29 décembre, le secrétaire général de l’Elysée, Philippe Bas, appelle Sarkozy sur un téléphone crypté pour lui faire passer un message du président de la République.
Jacques Chirac lui donne mission d’obtenir de Tantaoui une «déclaration positive» sur la loi. Nommé en 1996 par le président égyptien, Hosni Moubarak, le cheikh est un fin stratège. Nul n’est à l’abri d’une surprise, mais Paris suppose qu’il ne dérogera pas trop de la ligne politique de son pays, qui ne met pas en question la souveraineté française sur le sujet. Au Caire, Sarkozy rend d’ailleurs visite au ministre de l’Intérieur, à celui des Affaires étrangères et enfin au général qui commande les services de renseignements égyptiens.
L’heure du rendez-vous avec Tantaoui arrive. Le ministre français s’attend à une rencontre en petit comité. Il n’a gardé à ses côtés que l’ambassadeur, Jean-Claude Cousseran, et le diplomate de son cabinet, David Martinon. Présents lors du voyage, le directeur général de la police nationale, Michel Gaudin, et le directeur de la DST, Pierre de Bousquet de Florian, ont été priés de rester en retrait. Lorsque Sarkozy entre dans le bureau du cheikh, au premier étage, il a la stupéfaction d’y voir une cinquantaine de personnes. Ses officiers de sécurité sont débordés par la foule. Mais Tantaoui ne s’arrête pas là. Il emmène son hôte dans une salle immense à côté. La petite délégation française à l’impression que «tous les ouléma de la terre et toutes les télés du monde arabe» s’y sont rassemblés . cela ressemble à un piège. Le ministre se tourne vers son conseiller : «David, c’est quoi cette histoire?» D’un geste, Martinon mime son ignorance. Cousseran n’est pas plus averti. Tantaoui débute une allocution : «J’ai l’honneur de porter à votre connaissance, monsieur le ministre, quelques explications sur la chariâ.» Cela commence mal. Tantaoui poursuit : «La question du voile, en ce qui concerne la femme musulmane, est une obligation divine. Si elle fait preuve de négligence quant à l’observation de cette prescription, Allah la jugera en lui demandant de rendre des comptes.» On imagine la mine contrite de Sarkozy. En fait, le cheikh ménage ses effets. Car il finit par certifier que «si la femme musulmane réside ailleurs que dans un pays musulman, et que les responsables de ce pays décident d’adopter des lois opposées au port du voile, c’est leur droit le plus absolu». Il répète trois fois : «C’est leur droit.» Ouf ! Sarkozy peut prendre congé le sourire aux lèvres: «Je vous remercie, grand imam d’al-Azhar.»
Dans l’assistance, des «savants» maugréent. Le docteur Ali Jumaa, mufti d’Egypte et membre de l’Académie de recherches islamiques, s’emporte contre le cheikh. Les Frères musulmans d’Egypte dénoncent la fatwa d’al-Azhar. Le bloc parlementaire de cette organisation religieuse qui est aussi le principal mouvement d’opposition en Egypte publie un communiqué affirmant que «Les déclarations du cheikh d’al-Azhar ont frappé les enfants de la nation musulamane comme la foudre, causant tristesse et colère». En France, des responsables musulmans font preuve d’énervement. L’avis de l’imam «n’est pas un quitus», proteste Dalil Boubakeur. Le président de la Fédération nationale des musulmans de France, Mohamed Bechari, s’insurge auprès de Sarkozy : «Vous n’avez pas réussi à arracher l’accord du CFCM ni de Tariq Ramadan, alors vous allez au Caire. A quoi sert alors le CFCM ?» Quant au secrétaire général de l’UOIF, Fouad Alaoui, il écrit sur le site Internet de son organisation : «Nos responsables politiques ont tout intérêt à privilégier de dialoguer avec les instances religieuses françaises (il fait allusion au nouveau Conseil français du culte musulman), au lieu de se référer à des autorités religieuses étrangères.» Imagine-t-on en effet un ministre français aller demander son avis au pape, sans que cela déclenche une polémique ? «Je ne cherchais pas une caution, je cherchais à convaincre», plaide aujourd’hui Sarkozy.
Cela étant, l’UOIF n’est pas très bien placée pour donner des leçons d’indépendance vis-à-vis de l’étranger. Le 16 janvier 2004, le nouveau guide suprême des Frères musulmans en Egypte, Mohamed Mehdi Akef, confie qu’il compte sur l’UOIF pour empêcher le vote d’une loi sur le foulard : «Je sais que l’Union des organisations islamistes de France compte parmi ses membres des gens sages qui peuvent faire face à ce courant malveillant (…) qui combat le voile.» En Egypte, les Frères musulmans veulent instaurer un Etat islamique. Et ailleurs aussi.

1-Note du conseiller pour les affaires religieuses, ministère des Affaires étrangères, 10 juin 1997.

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