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Histoire des services : «Tuez Arafat !» (3)

© D.R

Le fait que Yasser Arafat soit sorti indemne du siège de Beyrouth s’explique uniquement par les carences des services secrets d’Israël. A moins d’y voir une ingérence des Américains qui tiraient les ficelles de certains Israéliens. Comment expliquer que le Mossad, qui a réussi à exécuter tous les responsables du massacre des athlètes israéliens à Muniche grâce à une série d’opérations aussi brillantes que complexes, ne soit pas parvenu à liquider Arafat, pris au piège à Beyrouth-Ouest ? Aucune commission n’a été nommée pour enquêter sur l’impéritie du Mossad au Liban. Tout est resté couvert du manteau du secret. La prolongation du siège de Beyrouth, avec son cortège de morts et de blessés, permet à l’opposition israélienne de commencer à saper le soutien du public à l’action du gouvernement. Pour la première fois dans l’historie du pays, le principal opposant politique – le parti travailliste – organise des manifestations contre une guerre qui n’est pas encore terminée, alors que les soldats de Tsahal sont encore sur le front. Les dirigeants travaillistes – qui ont mené toutes les guerres d’Israël jusqu’ici – accusent Begin et Sharon d’avoir déclenché une « guerre inutile » au Liban. Ces manifestations organisées par des Juifs encouragent les terroristes assiégés. Arafat téléphone à certains intellectuels de gauche français, de ses amis et leur demande d’organiser à Paris des manifestations en faveur des assiégés. Le chef de l’OLP obtient aussi l’appui de quelques dirigeants juifs aux Etats-Unis qui acceptent de se joindre aux ministres des Affaires étrangères de Syrie et d’Arabie Saoudite mandatés par la Ligue arabe pour demander au gouvernement américain de faire lever le siège de Beyrouth. Arafat ajoute qu’il « faut demander à nos amis de Tel-Aviv de poursuivre leurs manifestations qui sont pour nous un allègement… Toute la traîtrise de certains milieux politiques juifs, en Israël et ailleurs dans le monde, remonte d’un seul coup à la surface. D’abord, ils se révèlent prêts, uniquement pour faire tomber le gouvernement du Likoud, à saboter l’effort de guerre. L’essentiel est de faire trébucher Begin, de faire trébucher Sharon. Le journal Davar, organe de l’Histadrouth (syndicat ouvrier contrôlé par le parti travailliste), écrit en toutes lettres que la réussite d’Ariel Sharon au Begin – chose qu’il faut empêcher à tout prix. Les archives de certains ministères israéliens sont bourrées de documents accusateurs. S’ils n’ont pas été détruits, ils seront un jour publiés à la honte de ceux qui ont, de fait, collaboré avec les ennemis d’Israël dans le seul but de faire tomber Begin et Sharon. Un ancien ministre israélien s’adresse à l’ambassade d’Egypte en Israël pour « consulter nos amis égyptiens » sur la façon d’arrêter la guerre au Liban. Dans un autre cas, un journaliste israélien réputé « sérieux et responsable » se précipite chez l’ambassadeur des Etats-Unis en Israël pour le mettre au courant de l’interview qu’il vient de réaliser avec Ariel Sharon, en vue d’aider Washington à saboter les plans du ministre de la Défense au Liban. Ce journaliste ignore que, le soupçonnant de travailler pour le service de renseignements hongrois -, Sharon ne lui a rien révélé d’important. Le fait est qu’il est allé faire son rapport aux Américains. Il n’est pas le seul. La presse américaine révèlera plus tard qu’en pleine guerre du Liban, un officier des forces aériennes d’Israël a été arrêté pour espionnage au profit de la CIA. L’affaire fut étouffée pour ne pas nuire aux relations entre Jérusalem et Washington. Malgré son amitié pour Israël, le patron de la CIA, William Casey, traite le gouvernement Begin comme un élément hostile qu’il faut espionner, n’hésitant pas à enfreindre l’accord tacite entre pays alliés qui renoncent à s’espionner mutuellement. En 1982, Casey brise ce principe fondamental. Que des hommes politiques et des journalistes se soient transformés en « rapporteurs » volontaires par opposition à la politique de Begin et de Sharon est grave au plan intérieur, témoignant d’un pourrissement dans l’élite israélienne. Mais que les Etats-Unis recrutent des espions en Israël est un acte hostile, ou du moins inamical, de la part d’un pays qui se prétend être un allié. La CIA entretient d’étroites relations avec le Mossad, des relations institutionnalisées, semblables à celles qui lient le Mossad à d’autres services de renseignements étrangers pour l’échange d’informations dans le domaine de la sécurité. Dans un cas cependant, le représentant officiel de la CIA chargé du contact avec le Mossad a noué des liens d’amitié avec son homologue israélien. Outre l’échange régulier d’informations, ce dernier a pris l’habitude de le consulter sur toutes les questions délicates, de la guerre du Liban à l’aide d’Israël au chef de l’Etat tchadien, Hissène Habré, en lutte contre des rebelles appuyés par la Libye. Le soupçon existe, bien-fondé, que l’officier de liaison israélien – qui a entre-temps quitté le Mossad pour de plus verts pâturages – ait tenu son collègue américain au courant des moindres détails de la guerre du Liban, permettant ainsi à Washington d’exploiter les difficultés de la campagne pour mettre en échec la politique du gouvernement Begin. Ce fonctionnaire israélien peut évidemment arguer du fait que ses contacts avec la CIA étaient officiellement autorisés et encouragés… Malgré la traîtrise politique et les carences du Mossad, Begin et Sharon ne renonceront pourtant pas à leur exigence : Arafat et ses bandes terroristes doivent quitter Beyrouth et le Liban. L’envoyé extraordinaire du président Reagan, Philip Habib, met sur pied un corps expéditionnaire américano-français qui se dirige vers Beyrouth pour forcer Israël à lever le siège en débarquant des Marines américains et des parachutistes français, destinés à former une barrière entre les troupes israéliennes et Ras-Beyrouth (un quartier de Beyrouth-Ouest), la capacité du terrorisme palestinien. J’assiste à un entretien dramatique, qui se déroule sur une terrasse vitrée dominant Beyrouth, au cours duquel Ariel Sharon déclare à Philip Habib au nom du Premier ministre d’Israël. – Il n’est pas question que vos soldats se déploient entre nous et les terroristes. Tout ce que vous pouvez annoncer à Arafat, c’est qu’il dispose de trois moyens de quitter la ville : en autocar climatisé, à bord d’un bateau confortable, ou dans un cercueil. Entre-temps, dans une tentative désespérée d’obéir à l’ordre de Begin de liquider Arafat, le Mossad se fie aux renseignements fournis par les milices d’Elias Hobeika. A chaque nouvelle information, des avions israéliens sortent bombarder la planque supposée du chef de l’OLP. Comme les terroristes ont l’habitude de se dissimuler parmi la population, les bombardements font évidemment d’innocentes victimes civiles. L’opinion publique mondiale s’émeut. Chacun peut voir sur son écran de télévision les bombardements en piqué des avions israéliens, filmés du sommet des collines environnantes. En Israël, ces bombardements provoquent la création de mouvements de protestation contre la guerre. Des politiciens et des journalistes exploitent cyniquement la naïveté du public israélien qui s’oppose naturellement à la violence sous toutes ses formes, surtout lorsqu’elle s’exerce sur des civils innocents. Pendant que les déficiences du Mossad affaiblissent la position du gouvernement, le chef de l’OLP est toujours retranché à Ras-Beyrouth. En qualité de ministre de la Défense, Ariel Sharon décide alors de mettre sur pied une équipe spéciale pour exécuter l’ordre de Begin : « Tuez Yasser Arafat ! » Sharon mobilise Rafi Eytan, conseiller pour la lutte antiterroriste auprès du Premier ministre, et Zvi Malhin. • D’après «Mossad, 50 ans de guerre secrète» de Uri Dan Eytan, chef du commando de récupération d’Eichmann, et Malhin, qui a exécuté l’enlèvement, sont les deux hommes les plus indiqués pour réunir les informations, afin de faciliter la tâche du Mossad en vue de liquider le symbole du terrorisme mondial. De l’avis de tous ceux qui participent au siège de Beyrouth, il est évident que la mort d’Arafat entraînerait la reddition de ses cohortes démoralisées, mettant ainsi fin au siège et aux pertes en vies humaines. En juin 1982, Malhin se trouve aux Etats-Unis où il se livre à son passe-temps favori, la peinture. Dès le déclenchement de la guerre du Liban, il rentre en Israël, réaction typique des patriotes israéliens qui s’empressent de regagner leur pays dans les moments graves pour apporter leur aide. Eytan et Malhin se mettent aussitôt au travail. Ils commencent par étudier les renseignements fournis par les Phalanges sur les déplacements d’Arafat. C’est, nous l’avons dit, sur la foi de ces renseignements que les avions israéliens bombardent les gratte-ciel de Beyrouth-Ouest où Arafat est supposé se cacher. Un général de brigade a été chargé par le chef d’état-major de centraliser les renseignements et de pointer les bombardiers dans la bonne direction. Zvi Malhin découvre que les bombardements israéliens servent parfois les règlements de comptes entre chrétiens et musulmans, sans aucun rapport avec Arafat. Les chefs des Phalanges profitent de la situation pour faire liquider par les Israéliens leurs ennemis personnels. Dans un cas précis, Malhin me téléphone à Tel-Aviv de son point d’observation à Beyrouth pour me demander de prévenir le ministre de la Défense d’une fausse information concernant la cachette d’Arafat. Tout cela est, bien entendu, dit à mots couverts. Je transmets d’abord au chef du service de renseignements militaire la mise en garde de Malhin. Puis, pour plus de sécurité, je téléphone à Ariel Sharon qui se trouve à Jérusalem dans le bureau du Premier ministre. Le ministre de la Défense réagit sur-le-champ et ordonne d’annuler le raid, sans doute à la grande déception des Phalanges. Tout cela démontre à quel point le Mossad manquait d’informations fiables sur le principal ennemi à Beyrouth-Ouest, et aussi – c’est bien plus grave – que les Phalanges ont délibérément induit Tsahal en erreur. Très vite, l’activité de Malhin et d’Eytan irrite le Mossad. Menahem Begin reçoit une lettre le priant de prévenir son conseiller de se garder d’entreprendre quoi que ce soit à l’insu du Mossad. Plus tard, un officier supérieur du Mossad a laissé indirectement entendre que Rafi Eytan et Zvi Malhin étaient impliqués dans le massacre de Sabra et Chatila – une calomnie qui s’est, bien entendu, révélée mensongère. Non seulement le Mossad n’a pas exécuté l’ordre venu d’en haut de liquider Arafat, mais il a tenté d’empêcher des hommes sortis de ses rangs de le préparer. Dans un cas au moins, il a interdit à Malhin de se servir d’un agent pour préparer un coup contre Arafat en lui disant : « Cet homme est à nous, pas question de le recruter ! » Finalement, Malhin réussit à mettre au point un plan qui obligerait Arafat à se trouver à un certain endroit à un moment donné. Mais il est trop tard. Le 7 août 1982, à la suite du lourd bombardement d’objectifs palestiniens réels – identifiés cette fois par des photographies aériennes -, Arafat annonce à Philip Habib qu’il est prêt à quitter Beyrouth avec dix mille de ses hommes. Washington exige aussitôt qu’Israël s’engage à laisser Arafat sortir vivant du Liban. Le tireur d’élite israélien qui tient dans son viseur télescopique le chef de l’OLP en train d’embarquer le 30 août sur le bateau à destination de Tunis reçoit donc l’ordre de ne pas tirer à cause de l’engagement de Begin vis-à-vis des Etats-Unis. Une fois de plus, Yasser Arafat est sauvé par la monumentale impéritie du Mossad. La voie vers la reconnaissance internationale, y compris celle des Etats-Unis, s’ouvre ainsi devant le chef de l’OLP et son organisation terroriste, lui permettant en 1993 de diriger à partir de Tunis la négociation avec Israël sur l’établissement d’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Les erreurs du Mossad ont donc entraîné le prolongement inutile de la guerre du Liban, le siège de Beyrouth et, finalement, l’inexécution de l’ordre de Menahem Begin. Personne au Mossad n’en a payé le prix. Aucune commission d’enquête n’a été nommée. Parce que Menahem Begin a toujours été indulgent à l’égard des services de sécurité. De plus, le mandat de Yitzhak Hoffi se terminait de toute manière. Avec sa générosité de caractère, Begin ne pouvait porter atteinte à l’honneur du chef du Mossad et entacher sa future carrière. Noblesse oblige.
• D’après «Mossad, 50 ans de guerre secrète» de Uri Dan

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