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Nourriture pour chiens dans les plats des séquestrés

© D.R

Aujourd’hui, et après vous avoir longuement parlé des conditions insoutenables de séquestration dans les camps de Tindouf, je tiens à aborder la question de la nourriture. Cet aspect est très important, car c’est ce peu de vivres qu’on nous jetait comme des chiens (je vais vous montrer que cette comparaison n’est pas fortuite) qui nous permettait de survivre. Depuis le premier jour de notre enlèvement, nous n’avions le droit qu’à un seul pseudo-plat par jour. Pas de petit déjeuner. Nous mangions une seule fois par jour. C’était généralement vers 13 heures que nous étaient servis quelques grains de riz dans de l’eau bouillie. Parfois le polisario remplaçait le riz par des lentilles, de la vermicelle ou des spaghettis. Ce sont les prisonniers eux-mêmes qui s’occupaient de la cuisine. Mais les gardiens avaient toujours l’oeil sur tout. En termes clairs, les repas se résumaient au mélange de deux ingrédients: de l’eau et du riz. Ni huile, ni sel, ni aucune autre épice. Le riz passait du sac de 50 kg vers les marmites d’eau bouillie puis dans nos bouches. S’il reste un peu de riz, il nous est servi vers 1 heure du matin. Car les soirs de pleine lune, nous travaillions dans des chantiers jusqu’à 3 heures et même 4 heures du matin. Sinon, le reste du riz nous est servi le lendemain. Au début des années 1980, nous sommes restés deux années entières sans manger un seul morceau de pain. Les Marocains adorent manger le pain lors des repas. Nous l’avons bien senti lors de cette période. A tel point que certains d’entre nous prenaient des pierres pour des morceaux de pain et pleuraient de déception. Oui, tous les prisonniers marocains détenus avant 1984 vous confirmerons cela. Un détail important. Le riz bouilli nous était servi dans une brouette. Chaque jour la même. Le malheur c’est que nous faisions un usage particulier de cette brouette. Comme il n’y avait pas de toilettes dans les camps de détention, les prisonniers faisaient leurs besoins un peu partout dans les alentours du camp. Chaque matin, il fallait procéder à un nettoyage du camp. Et c’est cette fameuse brouette qui servait à ramasser les excréments des prisonniers à l’aide d’une pelle. Quelques heures plus tard, le riz était versé dans la même brouette à l’aide de la même pelle. Je vous laisse imaginer la couleur du riz et son odeur. Aucun être humain ne peut accepter de manger cela. Je pense qu’aucune prison au monde ne réserve un tel traitement à ses détenus. Le polisario, lui, excellait dans l’art d’humilier, de torturer et de briser le moral des séquestrés. Par écoeurement, bon nombre de prisonniers refusaient de manger. C’était au début de leur détention bien sûr, car après deux ou trois jours, personne ne pouvait plus snober le riz à l’odeur de l’excrément et de l’urine. La faim que nous ressentions tous les jours, toute l’année était insupportable. Nous n’avions pas de choix. Même si on refuse de manger, personne nous compatira. A l’heure de manger, dix prisonniers se regroupaient autour d’une grande assiette en aluminium. Nous mangions en plein air, à même le sol. En cas de vent fort, le riz qui est déjà infecte et de couleur noire, le devenait encore plus à cause de la poussière et du sable qui s’y mélangeaient. Dès que l’assiette est posée par terre, le riz qu’elle contenait disparaissait en une fraction de seconde. Nous étions tellement affamés et la quantité de riz tellement insignifiante qu’il n’y avait de place aux bonnes manières. Pour faire vite, certains prisonniers mangeaient avec les deux mains ou remplissaient leur poche le plus rapidement possible. D’autres versaient le maximum de riz dans un bout de papier ramassé par terre. Tout cela, se passait en une fraction de seconde, après laquelle, la grande assiette en aluminium devenait complètement vide. De temps en temps, les prisonniers se disputaient à cause de la nourriture. C’est surtout le cas, quand l’un d’entre eux prenait toute l’assiette pour la manger tout seul. La misère dans les camps était telle que ce genre de dépassement survenait souvent. Aujourd’hui, nous rions de ces anecdotes, entre nous et même avec les gardiens. Je rappelle qu’une grande relation nous lie aujourd’hui à certains gardiens, les Sahraouis marocains. Ces derniers sont devenus comme des frères pour nous. Avec le temps nous avons réussi à pardonner énormément de choses. En somme, malgré la qualité dégoûtante de cette nourriture et les travaux forcés sans interruption, certains prisonniers tenaient absolument à jeûner. En fait, nous n’avions aucune information sur la date et donc sur le début du mois de Ramadan. En d’autres termes, on jeûnait au hasard. Le prisonnier qui avait assez de courage pour cela, mettait sa part du repas dans un sachet en plastique et le laissait à part, pour le manger le soir. Ce sachet de nourriture devait être scrupuleusement bien caché des autres détenus. A cause de la faim dont souffrait tout le monde, la part du prisonnier qui jeûne pouvait facilement disparaître. En fait, ce dernier ne pouvait pas rompre son jeûne à la tombée de la nuit, car c’est l’heure où les corvées sont les plus rudes. Le repas caché dans un sac en plastique, le matin, n’était en fin de compte consommé que vers minuit. Tous les prisonniers qui jeûnaient sont aujourd’hui atteints de scorbut et autres problèmes de santé. Pour leur part, les polisariens ne jeûnent jamais. Ils ont une manière bizarre d’aborder la religion. Par exemple, ils ne font jamais leurs ablutions, même s’ils ont devant eux un océan d’eau douce. Ils se contentent du « tayamoum ». Parler de la religion, me pousse à préciser quelque chose d’important. Malgré toutes les souffrances que nous avons endurées dans les camps du polisario, certains se demandent comment nous avons pu tenir le coup. La réponse se trouve dans la prière et la religion. C’est la foi en Dieu qui nous a permis de résister. La religion a joué un grand rôle, un rôle essentiel. D’autres peuples, les Occidentaux par exemple, n’auraient pas pu supporter ce que nous avons enduré. C’est la raison pour laquelle en 30 ans environ de séquestration, de torture et d’humiliation, nous n’avons recensé que deux suicides seulement. Et encore. Les suicidaires souffraient de graves troubles psychiques et avaient complètement perdu la raison avant de mettre fin à leurs jours. Revenons à la nourriture. Lors de la deuxième moitié des années 1980, la Libye a envoyé des quantités impressionnantes de boîtes de conserves aux polisariens. Bien entendu ces conserves ne nous étaient pas destinées. Elles étaient stockées dans des hangars couverts de zinc. A cause de la chaleur torride, 48°C à l’ombre, bon nombre de ces conserves gonflaient, pourrissaient et parfois même explosaient comme des grenades. Elles devenaient donc impropres à la consommation. C’est sans compter sur l’ingéniosité criminelle des polisariens. Tous ces conserves pourries ou périmées nous étaient fourguées aux repas. Il nous les présentaient comme une faveur, un luxe. Nous les mangions malgré l’odeur nauséabonde qui s’en dégageait. A la suite de ce type de repas pratiquement tous les prisonniers tombaient malades. L’allergie, des intoxications et autres infections intestinales ont même tué certains d’entre nous. Pendant plusieurs années, le polisario nous servait à manger quelque chose dont nous avons toujours ignoré la nature. Cet aliment, on l’appelait le « Ferchi » (le polyester). Il s’agit de granulés qui avait la même texture que le polyester de couleur marron. Les gardiens ne nous laissaient pas lire les sacs de 50 kg où cet aliment bizarre était emballé. Je viens de savoir, il y a quelques jours, qu’il pourrait s’agir de nourriture pour chiens. Sans commentaires.

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