Spécial

Rencontre au siège de la CIA

© D.R

Meir Amit a joué un rôle clé dans la décision du gouvernement d’Israël de déclencher la guerre de juin 1967. Aucun chef du Mossad, ni avant, ni après lui, n’a exercé une telle influence sur une décision de ce genre. Tout repose sur un entretien entre Meir Amit et son ami Richard Helms, patron de la CIA, au début juin. Le Premier ministre et ministre de la Défense d’Israël, Lévi Eshkol, a secrètement dépêché à Washington le chef du Mossad pour sonder l’attitude possible des Etats-Unis dans le cas d’une attaque préventive israélienne. Les dirigeants israéliens ruminent encore la triste fin de l’opération Suez lancée en 1956 avec la France et l’Angleterre, malgré l’opposition des Etats-Unis. Furieux, le président Eisenhower avait aussitôt condamné « l’agression de trois pays contre l’Egypte », sans se soucier de l’objectif de cette opération, la reprise du contrôle du canal de Suez, objectif essentiel en cette époque de guerre froide entre le bloc communiste et l’Occident. La colère d’Eisenhower s’était particulièrement manifestée à l’encontre du gouvernement israélien. Il lui avait intimé l’ordre de se retirer du Sinaï sous peine de perdre l’aide économique américaine. Pour ne pas être en reste, le Kremlin avait agité la menace, prise au sérieux par Washington, d’une intervention militaire soviétique au Moyen-Orient. Fantastique coup de bluff, comme il est apparu par la suite, mais trop tard. Les troupes françaises, britanniques et israéliennes ont donc évacué le canal de Suez. Nasser a fait figure de grand vainqueur. Israël a cependant détruit l’armée égyptienne au Sinaï et obtenu la garantie américaine pour le libre passage de ses bateaux par le détroit de Tiran. C’est donc pour savoir si l’Amérique ne refera pas à Israël le même coup qu’en 1956 que Meir Amit entreprend son voyage à Washington. Il faut dire qu’en ce début de juin 1967, l’atmosphère est très sombre en Israël. Voilà plus de deux semaines dans le Sinaï, menacent les frontières d’Israël. Sans parler de concentrations de troupes syriennes sur le Golan. La mobilisation des centaines de milliers de réservistes de Tsahal paralyse la vie du pays. Moscou multiplie les déclarations de soutien à l’Egypte et à la Syrie, et accuse Israël de nourrir des intentions agressives. L’état-major de Tsahal estime que si la guerre éclate à l’initiative de Nasser, les pertes israéliennes seront considérables : au moins dix milles morts, et certains parlent même de trente mille. Pour un pays de trois millions d’habitants, c’est un pronostic effroyable. Les membres du gouvernement veulent donc éviter la guerre à tout prix. Lévi Eshkol a du mal à obtenir l’appui de son Cabinet pour une décision belliqueuse. Ses ministres redoutent la réaction de l’Union soviétique qui a ouvert en grand les portes de ses arsenaux d’armes ultra-modernes à l’Egypte et à la Syrie. Ils estiment que si les Etats-Unis s’opposent à une attaque surprise contre Nasser et son allié syrien, Israël n’a pas grande chance d’avoir le dessus. Avec, d’une part, l’embargo sur les ventes d’armes à Israël décrété par de Gaulle, et d’autre part, l’absence d’appui américain, l’Etat d’Israël se trouverait dans la situation la plus difficile qu’il ait connue depuis le début de son existence, en mai 1948. Une menace de nouvel holocauste règne dans le nombreux milieux israéliens, et même parmi certains dirigeants ; les renseignements parvenant au Mossad indiquent que Nasser prépare aussi son arsenal d’armes interdites : gaz neuroplégique et gaz moutarde. Il n’est donc pas étonnant que la mission du chef du Mossad à Washington prenne des allures de visite fatidique. Meir Amit a fait la connaissance de Richard Helms au Business Administration College de l’université Columbia. Blessé au cours d’un exercice de parachutage et plâtré pendant des mois, Amit avait décidé de s’offrir une année d’études une fois remis sur pied. C’était en 1960. Lorsqu’ils se sont connus sur les bancs de l’université, Amit et Helms n’ont probablement pas imaginé qu’ils se reverraient dans un cadre si différent, celui du renseignement. A son retour en Israël en 1961, Amit était nommé chef de l’Aman, le service de renseignements de Tsahal. Moins de deux ans après, il se retrouvait à la tête du Mossad. En 1966, le président Johnson avait nommé Dick Helms à la tête de la CIA. Ainsi, lorsque Meir Amit atterrit à l’aube du 1er juin à l’aéroport de Washington, et qu’il appelle Helms chez lui, ce dernier ne s’étonne pas d’entendre la voix de son copain d’université. – Dick, je dois te voir de toute urgence… La suite de cette journée fatidique pour Israël m’a été racontée par Meir Amit lui-même, après la victoire des Six Jours, au cours d’un petit déjeuner au fameux hôtel particulier de la rue Marbeau à Paris. – Dick m’a immédiatement invité à le rejoindre au siège de la CIA à Langley. Notre entretien s’est déroulé en tête à tête. Je lui ai décrit la gravité de la situation en Israël, la nécessité de mobiliser tous les réservistes à cause des concentrations de troupes égyptiennes et syriennes aux frontières du pays, la paralysie de l’économie, la ruine à courte échéance de l’agriculture et de l’industrie si la situation devait se prolonger. Je lui ai dit qu’une offensive égyptienne dans des circonstances aussi défavorables causerait des pertes considérables. On creuse déjà des tombes à Tel-Aviv. Israël se trouve acculé à agir. Sa seule issue est l’attaque préventive, pour desserrer l’étau arabe qui l’étrangle et regagner sa force de dissuasion qui s’effrite depuis la mi-mai et risque de s’effondrer. Amit dépeint à Helms le tableau des forces en présence : le grand nombre de chars égyptien et syrien face au petit nombre de blindés israéliens. Il souligne qu’Israël ne demande qu’une seule chose : qu’on le laisse maître de son destin. Aucune aide américaine, pas un seul soldat américain. Sauf le souhait que Washington persuade Moscou de s’abstenir de toute intervention militaire au côté des Arabes. En présence de Meir Amit, Helms convoque les officiers de la CIA chargés de la surveillance du Moyen-Orient. Munis des dernières photos aériennes du Sinaï et du Golan, ils confirment que le gros de l’armée égyptienne se trouve déjà au Sinaï, et que des troupes syriennes ne cessent de se déverser sur le Golan, Amit revient à la charge. – Nous n’avons pas d’autre choix que de tirer les premiers. Nous devons prendre l’initiative. Durant les heures que passe le général israélien à Langley, le patron de la CIA consulte ses principaux adjoints. Il téléphone au président Johnson pour le mettre au courant de la situation, puis appelle le secrétaire d’Etat à la Défense, Robert McNamara, et lui demande de recevoir Meir Amit. – Je suis arrivé au bureau de McNamara à la tombée de la nuit, mort de fatigue, avec le sentiment angoissant que chaque heure, chaque minute comptait. J’ai donc retracé le tableau de la situation dans les moindres détails, en insistant sur le danger de voir tomber toute la région sous la coupe soviétique dans le cas d’une victoire arabe sur Israël. McNamara, le technocrate en chef du Pentagone, bombarde Amit de questions : quelles sont les chances d’une offensive israélienne dans l’état actuel des choses ? Ni Amit, ni personne d’autre n’envisage alors que la Jordanie entrera, elle-aussi, en guerre, donnant ainsi à Israël l’occasion d’occuper la Cisjordanie, de libérer Jérusalem-Est et de faire de la ville unifiée la capitale d’Israël, pour la première fois depuis deux mille ans. Comme Richard Helms, Robert McNamara prend soin de ne pas dire à Meir Amit que Washington «autorise» ou «pousse» Israël à déclencher une guerre préventive. Après tout, les Etats-Unis, comme d’ailleurs la France, ont la majeure partie de leurs intérêts dans les pays arabes, notamment dans les gisements de pétrole saoudiens et de la péninsule arabique. Vingt-trois ans après, ces mêmes Etats-Unis déclencheront une guerre au Moyen-Orient. Contre l’Irak. Non pas pour voler au secours du Koweït, mais pour protéger le pétrole du Koweït et celui de l’Arabie Saoudite. McNamara se contente donc d’une déclaration générale portant sur le droit d’autodéfense de tout pays démocratique. A ce moment, le téléphone sonne dans le bureau du secrétaire d’Etat. Il écoute la communication, puis se tourne vers Meir Amit: – On m’annonce que le général Dayan vient d’être nommé ministre de la Défense. Un homme brillant. Je l’ai rencontré après sa visite des champs de bataille au Vietnam en 1965. Dites-lui que je lui souhaite plein succès dans sa nouvelle fonction. Tout est donc clair. Washington ne dit ni oui ni non. Et c’est déjà énorme. Si Israël décide de lancer son offensive, il ne rencontrera pas d’opposition de la part des Etats-Unis. Au contraire, leur sympathie lui est acquise. Amit repart le soir même. L’état d’urgence ayant dérangé la circulation aérienne, il est obligé de passer par Francfort. – J’ai dû me contenter d’un avion-cargo d’El Al. Il était bourré de masques à gaz fournis par l’Allemagne. On pouvait craindre à juste titre que Nasser ne fasse usage de gaz toxiques. Un vol pénible, dans l’odeur écoeurante du caoutchouc traité. A peine rentré en Israël, Amit se présente devant le gouvernement réuni en séance extraordinaire. Son compte rendu positif sera déterminant. Rassurés par la promesse tacite des Etats-Unis de fermer les yeux, les ministres qui hésitaient à donner leur aval appuient maintenant la décision d’Eshkol et de Dayan. La date de l’attaque-surprise est fixée au surlendemain.Le lundi 5 juin, Israël déclenche la guerre la plus décisive pour sa sécurité et son avenir, et remporte une éclatante victoire militaire, une des plus grandes du XXème siècle. Aucune fusée égyptienne ne tombe sur Tel-Aviv pour la bonne raison que Isser Harel et Meir Amit ont fait en sorte que Nasser soit privé de missiles sol-sol.
• D’après «Mossad, 50 ans de guerre secrète» de Uri Dan

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