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Santé : Ces blessés de la vie indésirables…

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Lorsqu’on évoque «l’exclusion», chacun croit savoir ce que ce mot désigne. Pourtant, la multiplicité des situations et des handicaps qu’il recouvre le rend difficile à cerner, et même si on parvient à distinguer et à différencier les handicaps physiques, psychiques et sociaux, on ne se rend compte que d’une partie de ce comportement irresponsable (de la part de ceux qui les «jettent» dans les urgences) et de cette misère. C’est la souffrance consciente ou non qui en est le dénominateur commun. La souffrance et ses conséquences dans les rapports avec le reste du monde. Elle induit une relation profondément altérée avec les autres, qu’elle soit amoindrie ou pathologique, se traduisant parfois par de la violence, mais bien plus souvent par la solitude et la dépression. Les dispositifs publics, urgences des hôpitaux sont censés répondre aux besoins des personnes les plus défavorisées. Un personnel dévoué et compétent devrait être mis à leur disposition, une assistance sanitaire et sociale devrait leur être attribuée, non en tant qu’aumône mais en tant que droit à part entière. Mais l’on s’aperçoit que ces personnes sont toujours «un pas de côté» par rapport aux dispositifs censés répondre à leurs besoins, que ce soit pour l’accès à leurs droits, l’accès aux soins, au logement ou même à l’emploi. Comme si l’exclusion entraînait l’exclusion en un cercle vicieux : plus on est exclu, moins en a facilement accès aux dispositifs d’assistance. Peut-être parce que ceux-ci ne sont pas assez souples, peut être et surtout parce qu’ils ne regardent pas l’individu dans sa singularité, car l’exclusion traduit la rencontre d’une destinée personnelle avec les contraintes de la précarité.
Combattre l’exclusion demande que l’on regarde chacun comme un cas particulier, tant il est vrai qu’il n’existe pas de procédure automatique pour sortir de l’exclusion. Certes, et c’est l’essence même de la démocratie, il est important d’avoir un même droit pour tous. Le droit commun de tous pour tous, mais les personnes exclues sont souvent trop déprimées, trop désocialisées, trop perdues pour attendre quoi que ce soit de l’institution dont elles ne connaissent plus les rouages. Elles sont trop délaissées pour savoir formuler d’elles-mêmes des appels à l’aide.
Toutefois, approcher les personnes en grande détresse demande beaucoup de doigté, de patience et de professionnalisme. Elles ont souvent perdu toute notion du danger et toute initiative puisqu’elles ont bien constaté qu’elles n’ont intéressé personne dans leur chute et dans leur dégradation.
La grande exclusion et son cortège d’immenses souffrances exigent que les professionnels soient mobilisés : il s’agit bien sûr, pour la traiter, d’avoir acquis une formation préalable dans le domaine médical, social ou logistique mais aussi et surtout de savoir écouter, regarder, toucher, pour «re-créer du lien», ce qui oblige à la plus grande des exigences, être à chaque fois dans la vérité de la rencontre…. Ceci ne s’apprend dans aucune école…. Ces qualités impliquent d’avoir trouvé soi-même au préalable un sens à sa vie permettant d’aider l’autre à sortir peu à peu de sa souffrance dans une démarche fraternelle, sans arrière pensée, sans juger, mais menée avec une grande rigueur professionnelle.
Au lieu de les conduire manu-militari, et les «jeter» dans les services des urgences, les responsables devraient s’engager à respecter et faire respecter en toute circonstance la dignité, la solidarité et la citoyenneté de ceux qui sont exclus du droit commun, du fait même de leur précarité.
Si l’on veut vraiment les aider, il faut s’approcher de ces femmes et de ces hommes avec tact et humanité pour leur rendre la dignité dont ils ont droit et à laquelle chacun a droit, avec amitié et sans brusquerie, en se faisant admettre, en leur paraissant un recours possible pour recréer un lien avec les autres hommes, lien qu’ils avaient cru rompu. En les «apprivoisant» en somme, pour leur porter secours en les convaincant, en les persuadant, en les réconciliant avec eux-mêmes et avec la vie… en obtenant leur accord pour envisager à nouveau l’existence sur le thème de l’espérance.

• Par Pr. Houcine Louardi
Chef du Service d’Accueil des Urgences
CHU Ibn Rochd- Casablanca

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