Autour du ring du club de boxe de Sahat Toma, une quarantaine de jeunes athlètes en survêtement forment lundi une haie d’honneur, en attendant Mohammed Ali, en visite à Kaboul en tant que «messager de la paix» des Nations Unies. Leur cadre d’entraînement se résume à cette pièce commune, au plafond crevé et aux murs de torchis recouverts d’articles de presse et de posters jaunis. plusieurs représentent l’homme qu’ils considèrent comme le plus grand champion poids lourd de tous les temps. Et qui, fait inespéré, a tenu à venir les voir.
Le colosse voûté de 60 ans que l’on extrait d’un gros 4×4 de l’Unicef ne ressemble hélas guère à celui des affiches. Très handicapé par la maladie de Parkinson, il peut à peine marcher, tremble, chancelle, ne prononce mot.
Il se penche toutefois pour embrasser des enfants qui lui offrent des fleurs. Puis, soutenu aux aisselles, grimpe les trois marches de la porte d’entrée de Sahat Toma (Santé Publique). Le voilà en terrain connu. Son cou est raide, mais, de son oeil vif, il inspecte les cordes du ring, les barres parallèles sommaires, les haltères dans la poussière. Face à un jeune boxeur afghan, il se met en garde. S’approche d’un sac de sable pendu à une poutre. Le frappe d’un poing, puis d’un autre. L’émotion est immense, à la mesure de l’effort du champion, qui se mord la lèvre inférieure. Il s’interrompt pour glisser sa montre dans sa poche. Lui qui par deux fois est tombé dans la matinée, en visitant une école de filles, se met à enchaîner les coups.
Ceux-ci sont encore puissants et résonnent dans le silence respectueux. Mohammed Ali reçoit des pétales de rose sur son costume noir. « C’est le plus grand des boxeurs de tous les temps. un maître, une idole », s’enthousiasme Mahmoud Shah, 26 ans, sur un ton de vénération. Il relate avoir vu plus jeune tous les combats d’Ali, de son vrai nom Cassius Clay.
Aujourd’hui il peine à croire que celui que l’on a surnommé «The Greatest » se trouve dans son petit club, placé en état de survie sous les talibans, qui avaient décrété que les coups portés au visage étaient interdits. Quand Mohammed Ali accepte d’enfiler des gants et de rentrer sur le ring, des bouquets passent au dessus des têtes. Abdullarud, un apprenti-boxeur, est désigné pour lui faire face. L’idole américaine, qui s’est convertie à l’Islam dans les années 1960, tente, au ralenti, quelques directs ou uppercuts. Incapable de parler, il claque de la langue, gonfle ses joues et souffle, en provoquant les rires.
Durant quinze secondes, il parvient même à sautiller, comme s’il avait retrouvé son jeu de jambes. Ce dernier effort sera la dernier. Epuisé, il est ramené à sa voiture.