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Il était une fois Tchernobyl

Il ne manque plus que les 4X4 de safari et les boutiques de souvenirs. Avec ses lynx, ses loups et ses aigles, la zone "d’exclusion" de Tchernobyl est devenue involontairement en vingt ans une incroyable réserve naturelle.
Dangereusement radioactive après l’explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986, cette zone de 4.000 km2 a été évacuée et fermée, laissant ainsi la nature reprendre ses droits.  Instinctivement, un cheval de Prjevalski, à la vue de visiteurs curieux, jette un coup d’œil prudent. Son "harem", une douzaine de juments, broute un  peu plus loin dans la prairie.
Ils sont 80 à 90 aujourd’hui alors que seulement 17 ont été introduits en 1998, selon Sergueï Tchernov, accompagnateur de Tchernobylinterinform, société responsable des visites de la zone hautement surveillée. Moins il y a d’hommes, plus les animaux sont heureux et plus ils se reproduisent. C’est le constat de tous les experts, biologistes, ornithologues et zoologues qui étudient le phénomène.
En une journée, le visiteur chanceux peut découvrir élans, renards, loutres, castors, sangliers sauvages, grues grises et aigles criards en voie de disparition. Le Laboratoire international de radioécologie de Tchernobyl a récemment répertorié 400 espèces différentes, dont 280 d’oiseaux et plus d’une cinquantaine menacées.
Les prophéties apocalyptiques sur des monstres mutants ne se sont pas réalisées. "Les mutants n’ont jamais ressemblé à ce qu’ont décrit les médias et sont morts très rapidement", explique Sergueï Gachak, ornithologue. En fait, l’environnement a subi plusieurs phases d’adaptation à la catastrophe. La première, d’un an, a vu mourir les plantes et les animaux les plus sévèrement irradiés, explique Rudolph Alexahin, directeur de l’Institut de radiologie agricole de Moscou. Ce fut le cas de la "forêt rousse", une forêt de pins, qui dut être rasée et ensevelie sous terre. Pendant six ans, la nature a ensuite pansé ses blessures et finalement, elle a repris le dessus.
Des bébés pins plantés à l’endroit de la "forêt rousse" grandissent aujourd’hui allègrement, assure Sergueï Frantchouk. Une croyance locale partagée par Sergueï veut même que le renouveau de la faune et la flore soit dû à la chélidoine, une plante qui pousse en abondance et aurait "nettoyé le sol" juste après 1986. Tout est si encourageant que les autorités, ont commencé à inviter les touristes, il y a trois ans.
La "saison" devrait battre son plein tout l’été, espère Sergueï, qui s’amuse de l’intérêt morbide pour Pripiat, une ville de 45.000 habitants abandonnée après la catastrophe, aujourd’hui envahie par les arbres. Le guide y a emmené l’an dernier un couple de jeunes mariés, qui voulait y terminer son voyage de noces. Certains des employés et experts de la zone, qui n’y passent pas plus de 15 jours d’affilée, espèrent la création d’une véritable réserve naturelle protégée.
Mais 20 ans après, de nombreux signes témoignent encore de la catastrophe : les check-points interdisant l’accès aux endroits les plus contaminés, le cimetière des autobus, camions de pompiers et hélicoptères qui ont servi à évacuer les populations et éteindre le réacteur en feu. L’emballement du dosimètre, chaque fois que le taux de radioactivité grimpe un peu trop. Moins visibles, mais tout aussi sinistres : les monticules de terre hautement radioactifs, sous lesquels ont été enfouis les maisons, les voitures et le bétail.
Et puis le césium 137 et le strontium 90 présents dans le sol et les rivières pendant encore longtemps.

Adèle Brard (AFP)

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