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Hassan Benjelloun : «Mon nouveau film traite une cause sérieuse avec beaucoup de légèreté»

© D.R

ALM : Vous venez de présenter votre nouveau film « Pour la cause». Pourriez-vous nous en expliquer les dessous ?
Hassan Benjelloun : «Pour la cause» parle de la cause palestinienne. Je l’ai réalisé parce que j’ai vu que cette question passait au second plan. Tous les pays arabes sont occupés par des causes internes, guerres et conflits. La cause palestinienne est complètement oubliée. Donc, j’ai essayé de chatouiller, de pousser un peu la conscience arabe pour tenter de redonner à cette question la place qu’elle mérite. J’ai même choisi un acteur palestinien habitant Jérusalem, Ramzi Makdessi, pour jouer le premier rôle qu’il partage avec une comédienne française de confession juive et d’origine marocaine, Julie Dray. Dans le casting, il y a plein de comédiens marocains comme Abderrahim Meniari, Aicha Mahmah, Cheraga, Sandia Tajeddine, Imad Fijaj et sa femme Fairouz, Jamila El Meslouhi, Fadoua Ettalib et plein d’autres. Pour rappel, le film est déjà passé en avant-première mondiale au Festival international du Caire. C’était une chance de passer dans cet événement. Le 1er janvier, le film sortira dans toutes les salles marocaines et il est prévu d’être programmé dans d’autres festivals.

Mais qu’est-ce qui vous a décidé à vous intéresser à la cause palestinienne ?
C’est que nous avons grandi avec cette cause depuis notre enfance. Je me rappelle toujours qu’on en parle. Je crois, depuis 1948, qu’elle occupe la première place chez tous les Arabes. Pour ma part, j’ai grandi à Settat où il y avait les juifs et les musulmans. Un de ces jours, cinq maisons étaient, du jour au lendemain, fermées. J’ai posé la question à ma mère sur la destination des familles. Elle m’a dit en arabe qu’elles sont peut-être parties à « Phelestine » (Palestine). Cela était traumatisant pour moi comme j’étais tout jeune puisque cela remonte aux années 60. Depuis, j’entends parler de cette cause et j’avais toujours envie d’en parler. Il y avait des priorités qui sont passées dans mon cinéma comme la cause de la femme, les années de plomb, l’exode des juifs marocains vers la Palestine, l’immigration clandestine. Maintenant, il est temps de parler de la cause palestinienne.

Vous venez d’utiliser l’expression «mon cinéma». Comment toute génération de public peut-elle le reconnaître?
Chacun a et fait son cinéma même ceux qui ne le font pas (rires). Quand on regarde, sans voir le générique, on sent que c’est Hassan Benjelloun. Il y a des subtilités et une façon de filmer. Dans le mien, un film ne ressemble pas à un autre. Mais il y a une ressemblance dans l’approche et le traitement. Je prends des thèmes pour casser les tabous, essayer de faire avancer la société marocaine. Comme je le dis toujours, nous avons la chance de faire des films, mais nous n’avons pas la chance de rêver comme nous voulons parce que notre société a encore besoin de nous, d’ajuster des petites choses. L’image, c’est le seul moyen pour arriver à le faire. Nous rêvons en essayant de faire un apport sans s’amuser parce que ma conscience ne me le permet pas.

Votre parcours est long, voire réussi. Qu’en est-il de la préservation que vous en faites en pleine vague de nouveaux réalisateurs ?
Je crois que le seul moyen de rester présent c’est de travailler, de chercher et de continuer à faire du cinéma. Il ne faut pas, bien sûr, rester sclérosé dans ses idées. Il faut plutôt s’ouvrir, voire fréquenter des jeunes. C’est ce que je fais. Je suis entouré de jeunes, je vois leurs travaux, j’essaie de les aider. Je suis en contact permanent avec eux. Donc, je ne me sens pas déphasé. Pour persister et rester dans la bataille, il faut participer et accepter les règles du jeu. Par exemple, je présente des projets à la commission d’aide, parfois ils sont acceptés parfois ils ne le sont pas sans me fâcher. J’accepte les remarques et les critiques avec un esprit sportif. J’essaie aussi de m’améliorer et d’être à la page.

Seriez-vous alors inspirant ou concurrent pour cette nouvelle génération?
Pour moi, il ne s’agit ni de référencer ni de concurrencer. Je crois que le cinéma est très personnel et que tous ces jeunes se basent sur tout ce qui a été fait. C’est tout à fait normal et humain. Pour ma part, je suis confiant parce que nous avons des jeunes cinéastes qui assurent le relais et j’en suis heureux. Ce n’est même pas de la concurrence, c’est plutôt de la continuation, voire le parcours normal du cinéma marocain. Il y a maintenant des jeunes qui s’expriment autrement puisqu’ils disposent de moyens différents, comme Internet et les réseaux sociaux, par rapport à ma génération. Il y a un autre genre d’expression et une fraîcheur. Par exemple, je travaille beaucoup sur la mémoire, j’y ai fait des fictions documentées. Peut-être que mes travaux peuvent aider ces jeunes comme références pour pouvoir s’exprimer en se mettant à jour sur la mémoire. En tout cas, nous travaillons tous la main dans la main pour le cinéma marocain afin de faire avancer la société, toucher le Marocain et l’inciter à réfléchir.

Puisque vous parlez du cinéma marocain, qu’est-ce qui lui manque pour s’affirmer à l’international ?
Je crois que nous voyons le cinéma marocain présent dans tous les festivals même les grands. Il nous faut des producteurs qui introduisent les films, toute une politique de propagande et d’influence pour installer les films marocains dans les grands festivals que j’appelle « un ». Il faut aussi qu’il y ait une stratégie et une politique parce que le cinéma est un très grand moyen de propagande, de publicité, de prestige d’un pays. Je crois que c’est ce pouvoir de propagande qu’il faut développer même en termes de vente et distribution à l’étranger.

Le digital est un bon prétexte pour certains pour ne pas fréquenter les salles. Que répondez-vous à cela ?
Le numérique n’est pas la cause. Dans les pays où il est développé, les salles sont toujours fréquentées. Mais malheureusement, nous voyons qu’il y a une absence de salles. Il faut qu’il y ait une volonté politique pour rétablir et renouveler voire construire de nouvelles salles. Je crois qu’il y a tout un travail sur cela au niveau du CCM et de la CGEM en contactant des communes pour créer des multiplex. Si on construit des salles de proximité, les gens vont commencer encore à aller voir des films dans des salles respectables. C’est le travail qu’il faut et c’est ce qui manque aussi au cinéma marocain.

Pourriez-vous nous donner une idée de vos projets ?
Je travaille sur le rapport amazigh arabe et sur le monde soufi qui m’intéressent et m’interpellent.

Et que faites-vous quand vous n’êtes pas derrière votre caméra ?
Je suis pharmacien avant d’être cinéaste. J’essaie d’aider les gens, de les guérir, de les accompagner pour trouver de l’espoir et du bonheur. Soit je fais du cinéma pour les distraire, soit je vends les médicaments pour les guérir.

Un dernier mot…
Je souhaite que les gens aillent voir «Pour la cause» dans les salles parce que nous traitons une cause sérieuse avec beaucoup de légèreté. D’ailleurs on rigole dans le film. L’approche est complètement différente d’un film politique mais en même temps il l’est.

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