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Entretien avec Lamia Chraibi, productrice marocaine : «La reconnaissance nous motive à hisser le cinéma marocain toujours plus haut»

© D.R

Lamia Chraibi, qui a produit le long-métrage «Mica» du réalisateur franco-marocain Ismaël Ferroukhi, s’exprime sur son attachement à cette œuvre cinématographique qui a fort séduit lors de sa projection en avant-première au Festival du film francophone d’Angoulême ayant eu lieu du 28 août au 2 septembre. Elle parle également de sa passion pour le cinéma indépendant afin d’y inscrire sa griffe, son expérience et ses projets.

ALM : Le film «Mica» a séduit au festival d’Angoulême. Qu’est-ce que cela vous a fait en tant que productrice ?

Lamia Chraibi : Le but de tout producteur est de pouvoir montrer ses films. Les producteurs dont les films ont la chance d’être sélectionnés au festival d’Angoulême sont contents de l’occasion qui les rassure quant à la possibilité de sortie en salle de leur film. Le travail de promotion et l’investissement qu’il restera à faire pour la distribution sera justifié. C’est une audience non professionnelle, et donc idéale pour le crash-test. Ce festival a su donner rendez-vous chaque année à un public friand d’un cinéma francophone et avide de regards singuliers de jeunes auteurs. La sélection des films reste pointue. Ce festival est également fort de la confiance de son public pour une sélection de films toujours au niveau d’un public de plus en plus exigeant. Le succès public est un vrai plaisir, Ismael a été pris d’assaut à chaque fin de projection par des spectateurs restés émus par le film pour être félicité et interrogé encore et encore sur le sort du petit Mica. Les commentaires ont été extrêmement enthousiastes, la promesse d’un travail de bouche-à-oreille est un beau cadeau. C’est une consécration. Une joie énorme. Faire un film est une épreuve d’endurance, avec des hauts et des bas… Il faut s’accrocher pour lui donner toutes ses chances. Il va de soi que la reconnaissance, qui plus est, internationale, nous motive à vouloir donner plus et hisser le cinéma marocain toujours plus haut, toujours plus loin. Et comme le cinéma est un travail d’équipe, j’en profite pour partager ma joie et ma gratitude infinie avec tous les membres de l’équipe technique et artistique ainsi que toutes les personnes qui ont participé de près ou de loin à concrétiser la vision du réalisateur.

Au-delà de la sincérité du film «Mica», vous avez sûrement accepté de produire cette œuvre pour d’autres raisons. Pourriez-vous partager celles-ci avec nous ?

Mica, c’est d’abord l’histoire d’une success story à vocation sociale. Il faut des histoires de ce genre pour redonner de l’espoir à des générations de jeunes qui ne pensent qu’à migrer vers un sombre eldorado, car ils ont l’impression que toutes les portes se ferment devant eux dans leur pays. Le cinéma est un outil d’inspiration incroyablement accessible de nos jours. Ce film illustre le discours que je défends à travers d’autres films comme celui de Mohcine Besri «Une urgence ordinaire», qui traite de l’immigration aussi. En tant que productrice engagée envers mon pays, telle la légende du colibri, je fais ma part du travail…
Ceci dit, chaque film est une aventure qui vient avec son lot de rencontres et de péripéties. J’ai eu le plaisir de travailler auprès de la production française Elzévir Films et cette expérience a été une véritable collaboration positive, car une confiance et une estime mutuelle nous accompagnent durant la production de ce film.

Et si l’on parlait un peu de vous ? Comment faites-vous valoir votre expérience par rapport à d’autres producteurs professionnels marocains ?

Il n’y a pas de recette standard pour produire un film, chaque producteur y va de sa propre expérience, de son propre mode de fonctionnement. Si certains préfèrent aller vers les films de commande, de mon côté je me suis naturellement dirigée à un moment de ma carrière vers le cinéma indépendant. Cela émane d’une vraie passion pour ce type de cinéma et d’un fort désir d’accompagner le processus créatif afin d’y inscrire ma griffe aussi. Je suis ravie d’avoir d’excellents rapports avec mes consœurs et confrères et bien que nos modes de production soient différents, il n’en est pas moins vrai que l’entraide est le maître mot dans cette histoire. Plus que jamais nous producteurs devons être soudés et solidaires dans notre fabrication de films. Je suis incroyablement fière de voir que de plus en plus de films marocains arrivent à voyager et à séduire des publics d’autres pays.

Qu’en est-il de la reprise du secteur de la production après la crise due au coronavirus ? Quelles prévisions en faites-vous ?

La crise a affecté le secteur (comme tous les autres secteurs) de façon très tragique. Les salles sont toujours fermées donc il n’y a pas à proprement parler de reprise pour ma société, La Prod ; j’ai deux films qui étaient en salle quand leur exposition a été interrompue par la Covid, et pour lesquelles des frais de promotion ont été engagés. Je ne fais pas de film de commande (publicité, télévision, service pour film étranger), ma trésorerie est toujours très fragile. Il faut dire que je me consacre entièrement au cinéma indépendant, c’est toute une logistique pour trouver des financements, beaucoup de temps et d’investissement. Les télévisions ont lancé des appels à projets pour remplir les grilles de programme de l’année à venir et pour lesquels j’aurais bien voulu répondre pour pallier les problèmes de trésorerie mais c’est le poisson qui se mord la queue; car il faut mettre de grosses sommes d’argent pour les cautions que je n’ai pas. Mais nous gardons le cap ! Il faut continuer, réfléchir, innover et être dans une écoute active. Être en confiance sur ce qui nous attend. La situation est effrayante en soi et ce qui arrive ne sera peut-être pas facile, mais la peur est un frein bien plus dangereux. J’essaye de trouver des modèles de productions différents pour proposer du contenu de qualité et de diversifier les supports d’exploitation.

Auriez-vous d’autres projets ?

Je viens de finir la post-production des documentaires «School of Hope» de Mohamed El Aboudi (coproduction Maroc/Finlande/France) et Ziyara de Simone Bitton (coproduction Maroc/France/Belgique). Je m’engage aussi à finaliser le documentaire de la regrettée Dalila Ennadre, Jean-Genet notre Père des Fleurs (coproduction France/Maroc). Aujourd’hui, les spectateurs sont friands de documentaires, de réalités plus proches de l’individu, une vision d’auteur est souvent une meilleure manière de comprendre les choses. Par ailleurs, je développe le prochain film de Hicham Lasri «Un couple heureux» qui est en phase de montage financier. Forts de l’avance sur recette du CCM, la somme doit être complétée de manière conséquente pour faire un film à la mesure de nos ambitions. En parallèle, je me suis mise au défi de challenger de nouvelles formes de production en lançant le projet «Et Après ?» à cette sortie de confinement. Un appel à projets public a été publié pour les jeunes talents et en parallèle j’ai sollicité des artistes marocains pour y participer dans le cadre d’un incubateur artistique. L’idée étant d’interroger les créateurs toutes disciplines confondues sur la manière dont ils questionnent cette période étrange… J’ai hâte !
Pour finir, nous travaillons également sur des projets de séries d’envergure panarabe/panafricaine impliquant un processus de fabrication en coproduction avec d’autres pays arabes et africains pour une plus large exploitation.

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