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Souvenirs de « Al-Tahrir » (2)

© D.R

La police ne nous informait jamais de la raison pour laquelle la saisie était décrétée. Peut-être l’ignorait-elle. Nous étions, pour notre part, au fait des réalités de notre pays et savions à quoi nous en tenir.
Nous savions autant de nos gouvernants qu’eux-mêmes savaient de nous, les battions souvent de vitesse, les surprenons sans jamais nous laisser surprendre par eux. Souvent, nous savions bien que tel article ne manquerait pas de nous valoir une saisie, voire une suspension, mais l’imprimions néanmoins quand le but était de faire entendre aux responsables une véracité que nous les savions vouloir taire.

4- Secret professionnel
Je me permets de divulguer ici un petit «secret professionnel» resté jusqu’à ce jour ignoré de tous, à l’exception du martyr Mahdi et du frère Baçri : lors des visites qui nous rendaient deux ou trois fois par semaines, le martyr se dirigeait directement vers le bureau du secrétaire de rédaction, échangeant sourires et plaisanteries avec le personnel de la rédaction. Un jour, alors que nous discutions depuis un moment, il me lança :
– Le Fqih t’a-t-il parlé ? (il fallait entendre : d’une certaine affaire.)
– Non, répondis-je.
– Alors, il fera aujourd’hui, sinon, demain, dit-il. C’était entendu. Le lendemain, Fqih nous rendait sa visite habituelle. Pendant que nous bavardions à bâtons rompus, il me lança soudain:
– Des informations nous parviennent de toutes parts sur le pouvoir et ses appareils différents : ce qu’ils disent, pensent, etc. Or ces informations ont besoin d’être triées, classées et commentées. Nous avons jugé que tu étais le mieux à même de t’acquitter d’une telle tâche. D’abord, parce que tu jouis de la confiance de tous. Ensuite, parce que l’on peut prendre contact avec toi sans susciter de soupçons, vu que la nature de ta fonction au journal t’amène à recevoir tout le monde. Enfin ces informations t’aideront certainement dans la rédaction des éditoriaux et commentaires. – Aucun problème, répondis-je.
– Bien. Alors, tu resteras en contact permanent avec ces gens (il me cita des noms) qui viendront te rendre visite ici ou ailleurs. Bien évidemment, tu te trouveras toi-même d’autres sources. Je reste pour ma part en contact avec toi comme d’habitude. Il se tût un moment puis reprît :
– Ah !Autre chose : Mahdi nous fait savoir qu’une certaine personne cherche à prendre contact. Mahdi t’a proposé. Voici les nom et dresse de la personne concernée.
Cela se passait en l’été 1959. Je pris en charge ma nouvelle mission et continuai à m’en acquitter, sans avoir pour cela besoin que l’on me donnât de nouvelles directives. C’est ainsi que mes liens d’amitié avec Mahdi, Baçri et Youssoufi devinrent encore plus serrés. Il en advînt de même avec feu Abderrahim Bouabid : depuis qu’il fût à la tête de l’UNFP, et surtout depuis 1972, il ne tranchait jamais une question politique sans s’être auparavant enquis de ce que j’en pensais. Le résultat fût que mes relations avec ces leaders parvinrent à un niveau qui les rendit indépendante de ma présence ou non au sein de telle ou telle instance du parti. Il importait peu, désormais, que je fusse ou non membre de ces institutions, d’autant plus qu’aucune ambition personnelle ne déterminait mon comportement ni mon action. Mais fermons cette parenthèse, et revenons-en à nos relations avec la police.

5- Harcèlements … perspectives nouvelles :
La police montait la garde aux portes de l’imprimerie ou à proximité, contrôlant les entrées et sorties. Mais si cette surveillance permanente ne nous gênait pas outre mesure, il n’en allait pas de même des écoutes téléphoniques. En effet, les techniques d’écoutes –autant que les installations téléphoniques elles-mêmes – étant à l’époque plutôt rudimentaires, vous sentiez, quand on écoutait votre communication, que quelqu’un partageait votre ligne, accaparant parfois même la ligne entière, vous laissant, vous et votre correspondant, étranges des «Allô !» aussi exaspérants qu’inutiles. Ils nous arrivait souvent de crier dans le récepteur, interpellant l’agent chargé de l’écoute :
– Mais vous nous prenez tout le débit ! Allons bon ! Soyez raisonnable !
Autant parler à un mur, évidemment…
Un jour, nous décidâmes de jouer un tour à cet invisible gêneur.
Appelant le préposé à la permanence téléphonique au siège du parti, nous l’informâmes que nous avions besoin d’un certain document –un papier sans aucune importance particulière – que nous envoyions le coursier chercher. Parvenu sur place, ce dernier –que nous avions fait exprès de le retenir – eut la surprise d’entendre le préposé lui dire que quelqu’un d’autre s’était présenté avant lui pour récupérer le document !
Ils avaient donc donné dans le piège ! Le lendemain, al-Tarir rapportera l’anecdote. L’agent affecté à l’écoute nous laissa dès lors une part du «jus». Même hors des locaux du journal, les rédacteurs et techniciens de al-Tahrir n’échappaient pas aux harcèlements. Mais loin de se laisser impressionner, ils s’en faisaient un sujet de plaisanterie, se racontant chaque matin les «aventures» de la veille. De fait, la police nous appliquait à chacun un traitement particulier : un contrôle de loin pour les responsables du journal, y comprenait le secrétaire de rédaction, et un harcèlement –allant de la provocation aux franches menaces – pour ses ouvriers, ses vendeurs ambulants et même ses visiteurs.
Je dois dire que jamais je ne fis l’objet du moindre manque de respect de la part des éléments de la police. Bien au contraire, ils faisaient preuve, à mon égard, d’une considération proche de celle qu’ils réservaient à Abderrahmane Youssoufi lui-même. Si ce dernier forçait le respect de tous ceux qui le connaissaient, je devais pour ma part ce privilège au fait que nombre de ces agents avaient, eux-mêmes, un parent ou une connaissance à eux, ont été mes élèves au primaire.
A cela s’ajoutait évidemment ma situation au sein du journal, le soin que je prenais d’éviter toute provocation, mais aussi la place particulière que me conférait la mission de contact évoquée plus haut. Il est rare, en effet, que l’on se trompe, quand on connaît bien le chemin à suivre. Parmi les signes de «respect» que me témoignaient ces agents, je cite ces quelques anecdotes.
– Mes déplacements entre la maison et le journal étaient constamment surveillés, ce qui, au fond, était loin de me nuire. En effet, comme la nature du travail m’imposait au fond –je l’ai dit – de rester assez tard au local du journal, les rues étaient désertes quand, souvent minuit passé, je rentrais chez moi. La voiture banalisée qu’occupaient mes «anges gardiens» était donc pour moi un compagnon que j’étais bien loin de ne pas apprécier. Un jour, obéissant à une brusque impulsion, j’actionnais mon clignotant de droite et rangeai la voiture. Celle des policiers fût évidemment obligée de poursuivre sa route. Je manoeuvrais alors et pris un chemin détourné pour rentrer. Arrivé devant chez mois –j’habitais alors la maison familiale sise à la place Seraghna – je les ai trouvé qui m’attendaient.
L’un d’eux descendît du véhicule et vint à ma rencontre : «Tout va bien ? me demanda-t-il. C’était une panne de voiture ?» Je répondis par un sourire. «A votre place, je considérerais cette surveillance comme une garde personnelle», ajouta-t-il, avant de se lancer dans une violente diatribe contre eux, entendre ses supérieurs. – Quand la surveillance dont Fqih Baçri faisait l’objet devint très serrée –et surtout lorsque nous apprîmes qu’on projetterait même de le faire assassiner – il fût obligé d’entrer dans une semi-clandestinité.
Ne sortant plus jamais seul, il nous rendait visite en secret au local du journal. Les agents en faction sur place étaient ainsi surpris d’apprendre qu’il était venu, puis sorti, sans qu’ils s’en fussent rendu compte.
Parfois, lorsque pour une raison ou une autre, son accompagnateur devait partir avant lui, Baçri me demandait de le déposer. Un soir donc, nous montâmes dans la voiture –près de laquelle était garé un véhicule de police – et prîmes la direction du boulevard Ghandi, où le Fqih voulait se rendre, suivi de très près par nos gardiens.
Le Fqih, qui les observait dans le rétroviseur, en eut soudain assez : «Arrête, me dit-il. Je vais descendre parler à ces dévergondés !» je lui dis de ne pas s’en faire, que j’allais m’en occuper. Quelques minutes plus tard, en effet, je bifurquai subitement sur une ruelle donnant sur l’avenue Ibrahim Roudani, où la voiture de police me suivit. Mais j’avais quelques secondes d’avance, ce qui me permit de semer mes poursuivants en manoeuvrant dans le dédale des ruelles, pour revenir dans l’avenue, quelques dizaines de mètres plus loin. Derrière nous, nulle trace de nos gardiens. Nous poursuivîmes donc notre chemin. Je déposais mon passager et rentrai au siège du journal.
Mes «anges gardiens» étaient là à m’attendre. «Tu nous a bien eu cette fois-ci. Mais tu ne nous la joueras plus !», me lança l’un d’eux, hilare. Nous partageâmes un franc rire et j’entrai dans le journal en souriant.

• Traduction de Abdelhadi Drissi

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