Société

France : Les démons de l’islamisme (17)

© D.R

Sarkozy récuse les «puissances étrangères»
Mosquée de Paris, octobre 2002
«Il ne faut pas que l’Islam de France soit dirigé par des puissances étrangères.» Le 5 octobre 2002, dans le patio de la Grande Mosquée de Paris, Nicolas Sarkozy, le ministre qui n’a pas peur des mots, parle d’un ton ferme. La situation ne manque pas de sel. Face à lui, le vénérable Dalil Boubakeur garde le doigt sur la couture du pantalon. Chacun sait qu’il est le recteur d’un institut assujetti aux subventions et aux ordres de l’Etat algérien.
Personne ne l’ignore au ministère de l’Intérieur : «Les «surveillants» directs de l’établissement sont les agents de la Direction du renseignement extérieur (DRE) algérienne». Pour Alger, Dalil Boubakeur est un bienfait. Il est préférable à «une éventuelle personnalité algérienne, qui pourrait s’appuyer sur des soutiens moins contrôlables au sein du pouvoir algérien1».
Cela n’empêche pas Nicolas Sarkozy de poursuivre : «Les Musulmans de France n’ont nul besoin de voir leur liberté de croire, de pratiquer, de prier mise sous la tutelle de qui que cela soit.» Sous les colonnes orientales, le discours est louable, mais sonne comme un voeu pieu. L’Islam en France s’apparente à un grand échiquier où les pays étrangers poussent leurs pièces. Le Roi du Maroc veut-il damer le pion de l’Algérie? L’Arabie saoudite engage une diagonale du fou pour s’imposer. La Turquie, cavalier solitaire, poursuit son avancée. Au final, échec et mat pour l’indépendance de l’«Islam de France». L’ancien responsable de l’antiterrorisme à la DST, Louis Caprioli, se rappelle: «Lorsque, vers 1985, après la révolution iranienne, nous avons mis en place une structure de réflexion sur les effets déviants d’un Islam exporté de l’étranger, nous avons informé les autorités des ingérences et des luttes d’influence.» La DST a-t-elle été entendue ? En novembre 2002, Nicolas Sarkozy, soucieux de ne fâcher personne, fait état des «entretiens» qu’il a eus avec les ambassadeurs d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et de Turquie : «Il ne s’agit pas d’impliquer des pays étrangers dans les travaux de la commission d’organisation, mais de les informer des résultats et des perspectives qui concernent leurs ressortissants vivant en France et dont ils ont la responsabilité.» L’auditoire est prié de croire qu’aucune négociation secrète ne s’est déroulée avec des puissances étrangères. Après l’accord de Nain-ville-les-Roches, où la création du CFCM est entérinée, le président d’une coordination de mécontents, Abderrahmane Dahmane, proteste que l’Islam de France sera dorénavant «entre les mains des fascistes islamistes et des services étrangers». Fin connaisseur du monde musulman, l’historien Sadek Sellam expédie un courrier enflammé à la commission Stasi : «Les membres du CFCM ont été choisis dès le départ parce qu’ils bénéficient des soutiens d’un ou de plusieurs Etats admis à exercer un véritable protectorat sur l’Islam en France.»
Aux termes de cet accord très complexe, le secrétariat général du CFCM est réservé… aux Turcs ! Ou plus exactement au Comité de coordination des Musulmans turcs de France, en la personne de Haydar Demiriyurek. Celui-ci n’est autre, selon des notes des RG, qu’un conseiller aux affaires du consulat de Turquie en France. Il y fut longtemps interprète.
Entendons bien : le secrétaire général de l’instance représentative de l’«Islam de France» aurait fait sa carrière pour un Etat étranger ! L’effet est presque comique. L’intéressé dément ce curriculum vitae. Il n’aurait été interprète qu’une fois, et jamais conseiller. Mais les spécialistes du ministère maintiennent. Mystère. En tout cas, Haydar Demiriyurek est un agent administratif de l’Union turco-islamique d’affaires théoriques (DITIB).
Via cette organisation qui contrôle cinquante-quatre lieux de culte, l’ambassade de Turquie garde la main sur le principal courant de l’Islam turc en France. Le prédécesseur de Demiriyurek au consulat général de Turquie présidait déjà la DITIB. La diplomatie d’Ankara en «contrôle le fonctionnement et le financement 2».
L’association, qui a son siège place de la Nation à Paris, gère les imams officiels détachés par le gouvernement turc, qui «sont chargés d’encadrer spirituellement leurs compatriotes installés en France et d’organiser des réunions à l’approche des principales fêtes religieuses, comme le Ramadan ou l’Aïd El-Kébir». La DITIB prône «un Islam relativement rigide, mais dénué de connotation politique 3».
La plupart des imams en France sont directement envoyés par les ministères des Affaires religieuses de Turquie, d’Algérie et surtout du Maroc. Autant de relais du discours d’Etats étrangers, en déphasage avec la présentation officielle du nouveau Conseil et la vie des fidèles évoluant dans une société sécularisée. Sur les huit cents à neuf cents imams officiant actuellement en France, au statut très variable, moins d’un dixième ont la nationalité française! Conscients du retard pris, les pouvoirs publics ont décidé de réfléchir à un projet d’institut de formation des imams dans le cadre du Conseil : «La finalité est de disposer d’imams français formés en France dans le contexte socioculturel français», explique Vianney Sevaistre, chef du bureau central des cultes 4. Sur le plan financier, l’institut défendu par le gouvernement devrait prendre la forme d’une fondation. Cela dit, les ministres ayant annoncé un tel institut sont nombreux, et pas un n’a tenu ses promesses.
L’influence étrangère sur l’Islam en France transite par d’autres biais que les imams déclarés comme tels. Par exemple les «enseignants de langue et culture d’origine», plus connus sous l’abréviation d’ «elco».
Comme leur nom l’indique, ces professeurs, rémunérés par les Etats étrangers, sont censés dispenser dans les établissements publics français un enseignement linguistique et culturel, en vertu d’accords bilatéraux signés depuis les années 70 avec la Turquie, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, et aussi l’Espagne et le Portugal. Mais il y a souvent loin de la règle à la réalité. Ancien maire de Dreux, la féministe Françoise Gaspard relève que «beaucoup d’elco professent la religion» et qu’ils ont été « les noyaux de la création de structures fondamentalistes radicales 5».
Déjà en 1997 le Quai d’Orsay se méfiait des quelque deux cents elco rémunérés par la Turquie : «Généralement ignorants de notre langue, ils sont soupçonnés de faire de l’enseignement coranique dans un esprit fondamentaliste 6.» De son côté, l’Algérie envoie en France des dizaines d’imams sous statut elco. Ils transmettent en même temps les directives d’Allah et celles d’Alger. Supposés retourner dans leur pays après un séjour de quatre ans, les imams elco sont pour la plupart restés en France.
Tentant de mettre fin à cette pratique, Paris propose de leur délivrer un titre de séjour de visiteur pour qu’ils soient gérés «directement par la Mosquée de Paris et non plus, formellement, par le ministère français de l’Education nationale».
Mais Alger traîne les pieds. La commission Stasi préconise la suppression «progressive» de ces curieux enseignants : «Sur fond de droit à la différence, on a glissé vers le devoir d’appartenance. Cet enseignement relève d’une logique communautariste.» Destiné à qui ? A des jeunes Français. Père Ubu est de retour.
Même les régimes laïques étrangers se servent donc de l’Islam pour inciter les citoyens français originaires de leurs pays à s’en détacher le moins possible. Ils «s’efforcent de conserver le contrôle de ces communautés par le biais religieux 7». Mais le même outil peut servir à des Etats rivaux: «Ces communautés sont l’enjeu de stratégies d’influence de la part de pays disposant de moyens financiers comme l’Arabie saoudite (accessoirement les pays du Golfe) dont une partie transite par les organisations islamiques de leur mouvance (Ligue islamique mondiale) ou de l’Egypte, forte de son prestige politique et intellectuel.»
Au milieu des années 90, les spécialistes du ministère de l’Intérieur comprennent que les associations musulmanes doivent être scrutées sans s’en tenir aux hiérarchies officielles : «Les véritables détenteurs du pouvoir ne sont pas nécessairement les présidents des structures, mais des gens discrets, situés à moindre niveau, du genre intermédiaires du culte, officiers de renseignement étrangers ou conseillers diplomatiques.» Mais que connaît-on, au fond, de cet organigramme secret de l’Islam français ?

1- «Les principaux pays musulmans et l’Islam de France», note interne du ministère de l’Intérieur, 24 novembre 2000.
2- «Eléments sur la représentativité des organisations islamiques turques en France», DCRG 2000.
3- «L’Islam turc en France», DCRG, mars 1999.
4- Séminaire de la Medina, 22 octobre 2003.
5- Audition de Françoise Gaspard par la commission Debré, 16 septembre 2003.
6- Note du conseiller pour les affaires religieuses du ministère des Affaires étrangères, 10 juin 1997.
7- Ibid.

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