Société

France : Les démons de l’islamisme (47)

© D.R

Les espions entrent dans la danse
Paris, 15 avril 2000

En fait, la France est devenue sans le savoir l’un des principaux théâtres d’opération d’une guerre secrète sur fond d’islamisme. Des États étrangers conduisent à leur guise de grandes manoeuvres. Des factions s’étripent. Des services secrets s’affrontent. La salle de la Mutualité, dans le Quartier latin de Paris, située juste en face de l’église intégriste Saint-Nicolas-du-Chardonnet, a été au centre d’un de ces conflis qui se déroulent en coulisses.La «Mutu» résonne encore des clameurs de meetings, des discours gaullistes ou socialistes. Le 15 avril 2000, ce haut lieu du combat politique héberge une réunion des mosquées affiliées à la Mosquée de Paris. Dans le rôle du grand ordonnateur, l’incontournable Boubakeur, plus onctueux que jamais.
Devant une affluence des grands jours, près de deux mille personnes, le recteur s’emploie à expliquer l’alpha et l’oméga de la consultation sur l’Islam, engagée à l’initiative de Jean-Pierre Chevènement. Cette assemblée est cruciale. Les services de renseignements français n’en perdent pas une miette. Mais les Renseignements généraux ne sont pas seuls sur le coup. La DST, chargée de détecter les espions étrangers, s’apercevra vite qu’une nuée d’agents algériens a joué aux gentils organisateurs. Par une note confidentielle du 2 mai 2000, consacrée à la réunion de la Mutualité, la DST avertit les autorités de la République que «les autorités algériennes y portèrent une attention particulière comme en témoignent les nombreuses interventions des services de renseignement algériens dans le cours de son organisation 1». Le service remarque la mobilisation de la représentation diplomatique algérienne à Paris. Mieux encore : «Des réunions prépratoires portant sur l’organisation du colloque étaient initiées par le colonel Bendaoud, chef de poste à Paris de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure.» À ces briefings assistaient l’avocat de la Mosquée, Chems-Eddine Hafiz, considéré comme le dauphin de Boubakeur, et le responsable financier de l’établissement, Miloud Benamara. Tout ce petit monde a décidé du plan de table et écarté les «principaux opposants» de la tribune officielle. En toute indépendance, bien entendu. Parmi ces exclus, un proche de l’imam de la rue Myrha, liée au Front islamique du salut. La seconde guerre d’Algérie se livre aussi à Paris.Mais il y a plus sidérant encore. Une phrase de la note de la DST impose de rester assis avant d’être lue : «Le discours d’ouverture prononcé par le recteur était rédigé par les services de l’ambassadeur et corrigé par le colonel Bendaoud lui-même.» Si le service de contre-espionnage dit vrai, Dalil Boubakeur ne parle pas sous l’influence d’ Alger, mais sous sa dictée. Interrogé sur la question, l’intéressé ne fera pas connaître sa position. Au cours même de la réunion, le poste parisien de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure envoie, en tout cas selon les services secrets français, des messages à la centrale à Alger pour la tenir au courant.
Le colonel Ali Bendaoud, qui a près de dix ans d’ancienneté à Paris, s’est donné beaucoup de mal. Un mois avant le meeting musulman de la Mutualité, il s’efforçait de réprimer «toute perspective de remise en cause du processus, voire tout slogan hostile1». Alger a perçu que Paris se méfie de Boubakeur. Place Beauvau, on se demande en effet si le recteur ne joue pas double jeu: pour la consultation en public, contre en privé. Alger veut rassurer Paris. La tâche n’est pas toujours facile. Car le colonel Bendaoud confie parfois à ses proches «les difficultés qu’il a à travailler avec le recteur Boubakeur». Même si, à vrai dire, l’agent secret «a été souvent sollicité par les responsables de la Mosquée de Paris quant aux orientations à promouvoir». La preuve que les marionnettes s’attachent à leurs ficelles.
Correspondant de l’ancienne Sécurité militaire, le colonel Bendaoud ne chôme pas. Quelques mois plus tard, il s’intéresse au directeur de la Grande Mosquée de Lyon, Kamel Kabtane. Un honorable correspondant est venu chuchoter à l’oreille de l’espion que Kabtane a lancé «une attaque en règle contre Alger», en créant une coordination nationale des mosquées indépendantes. Le 7 décembre 2000, la DST écrit à propos du lyonnais : «Ayant jusqu’à présent fait montre, par opportunisme, d’une certaine déférence et docilité vis-à-vis des autorités algériennes, il n’hésite plus, semble-t-il, à se démarquer de celles-ci et à s’opposer ouvertement à Dalil Boubakeur qu’il accuse de leur être inféodé 2.» L’indépendance a toutefois des limites. Au printemps 2002, le numéro un de l’Islam rhodanien se retrouve au centre d’une polémique après avoir évoqué les origines juives de sa mère. Il en a fait la confidence après une attaque à la voiture bélier contre la synagogue de la Duchère. Un rapport des RG du 8 avril 2002 indique que «juifs et musulmans lui ont alors demandé de «choisir son camp»». Le service de renseignements remarque que «le directeur de la grande Mosquée de Lyon est particulièrement surveillé». Par Bendaoud? Non, «par les responsables de la Grande Mosquée de Paris». Qui n’ont de cesse de sermonner Kabtane. Et qui le convoquent d’ailleurs plusieurs fois au consulat d’Algérie à Lyon.
La République française ne s’offusque guère que l’islam algérien en France soit un véritable nid d’espions. Déjà, Si Hamza Boubakeur, le père de Dalil, n’hésitait pas à faire appel à ses amis, anciens officiers du 5ème bureau. Puis la Direction générale de la sécurité nationale, la police d’Alger, se met de la partie. Au début des années 90, la Direction du renseignement et de la sécurité (DRS), l’ancienne Sécurité militaire, reprend le dossier de la Mosquée de Paris. Le ministère algérien des Finances, qui accorde l’argent, ou celui des Affaires religieuses, qui exerce une certaine tutelle sur les imams, semblent relégués au second plan. Un rapport rédigé par un conseiller de Daniel Vaillant relève que «le personnel de la Mosquée de Paris est nommé ou révoqué au gré des différents «résidents» de la DRS, ce qui antraîne une certaine anarchie dans la gestion du personnel». Même l’inspecteur général des mosquées, fin connaisseur des réseaux islamistes, est issu des services de renseignements. À noter que la DRS estime «plus prudent de conserver à la tête de la mosquée un homme (…) maniable plutôt que d’être confrontée à une personnalité algérienne possédant un certain poids politique». Et c’est sur cet homme qu’est censée reposer la paix civile entre les communautés, dont on parle sans cesse depuis quelques années!

1- «Les autorités algériennes se sont efforcées de contrôler de bout en bout le rassemblement des musulmans de France organisé par le recteur de la Mosquée de Paris le 15 avril», DST, 2 mai 2000.
2- «Organisation de culte musulman : commentaires du représentant des services de sécurité algériens en poste à Paris sur la situation de la Grande Mosquée de Paris», DST, 7 mars 2000.
3- «Le directeur de la Grande Mosquée de Lyon a créé une coordination des mosquées indépendantes», DST, 7 décembre 2000.

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