Société

Israël : Le temps des critiques et des enquêtes

© D.R

En 1914, le général Joffre, après avoir repoussé contre toute attente l’offensive allemande sur Paris, avait eu ce bon mot: «Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne – les prétendants au titre sont légion – mais je sais très bien qui l’aurait perdue». La phrase pourrait s’appliquer à l’actuelle situation au Proche-Orient. Ainsi, le leader du Hezbollah, Cheikh Hassan Nasrallah, dans un discours à la télévision libanaise, a affirmé que, s’il avait eu conscience de l’ampleur de la riposte israélienne à l’enlèvement par ses hommes, le 12 juillet, de deux soldats de Tsahal, il n’aurait pas autorisé cette opération. Un acte de contrition émanant de la part d’un homme quasi devenu une idole aux yeux de ses concitoyens, toutes confessions confondues, et dont le parti a décuplé son audience. Mais il est vrai que, selon certains analystes, Cheikh Hassan Nasrallah aurait perdu partiellement la confiance de ses protecteurs, la Syrie et l’Iran, inquiets des répercussions pour eux de la crise en cours.
Le leader du Hezbollah est toutefois dans une position plus enviable que celle d’Ehud Olmert, qui, lui, a perdu la confiance de son opinion publique. Quatre mois à peine après la constitution de son cabinet, le Premier ministre israélien doit lutter pour la survie de sa coalition gouvernementale dont la gestion des opérations militaires fait l’objet de virulentes critiques. Il a dû mener une guerre – la plus longue guerre qu’ait connue Israël depuis la guerre de 1948 – non pas contre les armées régulières mais contre une simple milice qui s’est avérée être un adversaire redoutable. Plus de 4.000 roquettes Katioucha se sont abattues sur le nord d’Israël, faisant d’importants dégâts, et 500.000 Israéliens ont été contraints de quitter leurs foyers pour se réfugier dans le centre et le sud du pays.
Plus grave, Tsahal, considérée comme l’une des armées les plus performantes du monde, a connu de graves problèmes de dysfonctionnement. Les réservistes, rappelés pour participer à l’offensive terrestre au Sud Liban, ont trouvé des dépôts d’équipements vides. Les cartes qui leur étaient fournies étaient anciennes et dépassées. L’armement était de médiocre qualité et les blindés, en particulier les chars Merkava, n’étaient pas équipés des systèmes de protection les plus sophistiqués, d’où de très fortes pertes dans leurs rangs. Les carences constatées dépassent de très loin celle observée en 1973, lors de la guerre de Kippour, qui avait coûté la vie à plus de 2500 soldats israéliens. Cette fois, le bilan est moindre mais le choc est d’autant plus grand que les leçons du passé n’ont pas été tirées par les stratèges et par les politiques.
En effet, en 1973, ainsi que le rappelle l’éditorialiste du quotidien libéral Haaretz, Yoël Marcus, la protestation des réservistes, conduits par le capitaine  Motti Ashkenazi, contre les «mehdaIim» ( carences ou bavures) avait provoqué un vaste débat public. Les manifestations  de protestation,  rassemblant  plusieurs milliers de personnes avaient contraint le Premier ministre Golda Méïr,  à nommer une commission d’enquête, la Commission Agranath, présidée par un ancien juge à la Cour suprême, dont le rapport fut si accablant que ses résultats sont restés secrets pendant 30 ans …. Mais la Commission eut pour résultat la démission de Golda Méïr à laquelle succéda Yitzhak Rabin, et le limogeage, sous forme d’un départ à la retraite anticipé du chef d’état-major, David Elazar. En 2006, la situation est bien différente, ne serait-ce que parce qu’Israël, contrairement  à 1973, n’était pas officiellement en guerre ! Cela peut paraître  invraisemblable mais c’est la réalité. Le Premier ministre n’a pas en effet demandé a la Commission parlementaire des Affaires étrangères et de la Défense de déclarer «l’état de belligérance» une décision grave sur le plan juridique, selon l’analyste du quotidien de droite Maariv Ben Caspit. Selon certains, il aurait agi de la sorte pour des raisons financières. Il ne voulait pas que le budget de l’Etat ait à supporter le coût d’une telle décision, notamment pour tout ce qui a trait aux indemnités qui auraient alors été versées aux réservistes et à leurs familles. 
Plus grave, paraissant persister dans l’arrogance qui est son principal défaut, Ehud Olmert fait comme si de rien n’était. Selon Yoël Marcus, il n’a pas tenté de «sauver sa peau» en livrant en pâture à l’opinion publique Dan Haloutz, le chef d’état-major, dont les choix stratégiques ont conduit à l’échec. Il a tardé à envisager la création d’une Commission d’enquête pourtant indispensable car, selon Yoël Marcus «il ne fait aucun doute qu’il y a des bavures qui nécessitent une enquête». Il ne s’y est résolu qu’après avoir constaté la montée du mécontentement dans le public et plus particulièrement chez les populations du nord d’Israël, furieuses d’avoir été abandonnées à leur sort par les autorités. Encore a-t-il soigneusement mesuré les risques qu’il prenait en se contentant d’annoncer la création de trois Commissions parlementaires chargées d’enquêter sur les aspects de la crise, un moyen d’éviter la constitution d’une Commission étatique, présidée par un membre de la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire du pays sur le modèle de la Commission Agranath.
Ce choix renseigne sur la psychologie d’Ehud Olmert, qui se montre incapable de faire amende honorable et de reconnaître publiquement ses erreurs.
Reste que le Premier ministre ne pourra peut-être pas se contenter de cette solution minimale. Son principal allié, le travailliste et ministre de la Défense, Amir Peretz, s’est ainsi déclaré, après avoir longtemps hésité, en faveur de la création d’une commission d’État aux pouvoirs élargis. Il a été contraint de le faire sous la pression de son groupe parlementaire et de ses militants et cette prise de position, si elle était confirmée, pourrait sonner le glas de l’actuelle coalition gouvernementale.
C’est une solution à laquelle Ehud Olmert fera tout pour échapper car il n’a guère envie d’avoir à rendre compte de ses gestes devant l’aréopage des dix juges de la Cour suprême. Il pourrait être tenté de se ménager une porte de sortie en élargissant son gouvernement aux partis de droite (Likoud, Israël Beitenou) actuellement dans l’opposition.
Ce serait, selon Ben Caspit, de Maariv, l’auteur de ce scoop, à la fois un élargissement et un remaniement de l’équipe ministérielle, puisque Amir Peretz abandonnerait la Défense confiée à un revenant, l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, pour prendre la tête d’un super ministère des Affaires sociales.
Les Finances reviendraient à Benyamin Netanyahou, lui aussi ancien président du Conseil et, pour l’heure, chef du Likoud. Quant à Shimon Peres, actuellement en charge du développement de la Galilée et du Néguev, il serait –enfin ! –élu président de l’Etat du fait de la démission contrainte de l’actuel titulaire, Moshé katsav, impliqué dans une affaire de harcèlement sexuel envers deux secrétaires dont l’une l’accuse de «viol». Les nouveaux venus, principalement Benyamin Netanyahou, exigeront alors, pour prix de leur participation, le gel des négociations avec les Palestiniens.
Ehoud Barak et le leader d’Israël Beïtenou, Avigdor Liberman, qui se soucie moins de politique étrangère que des intérêts de ses électeurs, dans leur quasi-totalité d’origine russe, se montreront sans doute plus conciliants pour un « redéploiement » en Cisjordanie.
Leur modération pourrait aider Ehud Olmert à rabaisser les exigences de Benyamin Netanyahou qu’il lui serait difficile d’entériner. Outre que ce serait trahir la politique d’Ariel Sharon, son mentor, une telle décision le placerait en minorité au sein de sa propre formation  Kadima, et pourrait provoquer l’éclatement de celle-ci. De toute manière, elle se solderait par un échec grave car la crise au Proche-Orient durera tant que le problème palestinien ne sera pas résolu.
Voilà pourquoi Ehud Olmert serait bien inspiré de revenir à la table des négociations avec Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, comme les deux hommes en avaient convenu, lors de leur rencontre, sous l’égide du Roi Abdallah de Jordanie, à Petra, fin juin.
Cette reprise pourrait être facilitée par le succès éventuel des négociations menées actuellement par l’Egypte et l’Allemagne avec le gouvernement Hamas d’Ismaïl Haniyeh et Israël pour obtenir la libération du caporal Gilad Shalit, enlevé le 25 juin dernier à Keren Shalom, à la frontière avec Gaza. Pour récupérer le militaire, le gouvernement israélien serait disposé à l’échanger contre 800 prisonniers palestiniens – sur un total de 8700 détenus en Israël-, en particulier les femmes, les mineurs et les détenus ayant purgé plus de vingt ans de prison.
A cela s’ajoutent les rumeurs sur la constitution, dans les jours à venir, d’un gouvernement palestinien d’union nationale, composé de membres du Hamas et du Fatah, sur la base du fameux document dit des prisonniers qui prévoyait la reconnaissance implicite par le Hamas du droit à l’existence d’Israël et de l’arrêt de la lutte armée, en opposition avec la ligne dure défendue de Damas par Khaled Méchaal, le chef de la « branche extérieure » du Hamas.
Les conditions seraient alors réunies pour la reprise du dialogue bilatéral israélo-palestineien. A défaut de pouvoir prononcer le mot « guerre », Ehud Olmert pourra peut-être alors se résoudre à prononcer celui de « paix » et à faire en sorte que celui-ci ne soit pas un vœu pieux.

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