Société

Le cri du coeur d’un agriculteur

© D.R

Le soir du mercredi 26 avril, 2M organisa une émission sous le thème «le Maroc est-il un pays agricole ?». Ont pris part au débat, le ministre de l’Agriculture, le président de la toute nouvelle COMADER, une confédération des associations agricoles à peine née il y a quelques semaines, et enfin, deux éminents chercheurs Najib Akesbi économiste, et Larbi Zougdani enseignant à l’Institut agronomique Hassan II de Rabat. Tout présageait d’un débat d’un niveau autre que ces verbiages récurrents et stériles de surcroît qu’on a l’habitude d’écouter à l’occasion de chaque émission consacrée au secteur agricole. Un secteur marginalisé de l’avis de tous ses opérateurs.

Malheureusement, dès le départ, c’est le dérapage. On s’engage dans des discussions rituelles assez entendues et qui n’aboutissent à rien en fin de compte. On reviendra sur l’éternelle histoire des petits et grands agriculteurs, sans savoir si les petits doivent grandir, ou si les grands sont à bannir. On n’a jamais dit clairement qui développe l’agriculture ? Les petits ou les grands promoteurs. On a évoqué les difficultés, c’est normal, l’activité est très aléatoire, mais qui sont ceux qui sont réellement en difficulté les petits ou les grands ? Ceux qui investissent et supportent le poids de l’endettement,ou ceux qui emblavent un ou deux hectares pour leur subsistance et vont ensuite travailler dans les grandes exploitations ou vont dans les villes en quête d’un travail pour joindre les deux bouts ? Il faudrait savoir ce qu’on veut. Si on tient au développement du secteur, à sa modernisation, dans ce cas il faut encourager les gens qui ont l’audace de s’y mettre au prix de gros risques et de déboires et cesser d’argumenter les problèmes des petits agriculteurs. Il y a mille possibilités de les sortir de leur misère. Il suffit d’y croire et d’agir. En Espagne, juste en face, la moyenne de l’exploitation agricole ne dépasse guère les cinq hectares, mais il n’y a pas ce dilemme du petit ou grand. Ce langage démagogique est à proscrire. On parle d’entité agricole, de coopérative où ces petits sont regroupés pour constituer une force de production. Pourquoi nous continuons de complexer les gens qui font des efforts (au point qu’ils doivent se justifier quand ils portent une cravate). Pourquoi se lamenter sur l’avenir des petits qu’on devait prendre en charges, encadrer et leur donner la chance de devenir grands à leur tour. Ça suffit s’il vous plait ! Ayons le courage d’affronter la réalité. Si on veut faire de l’agriculture une activité rentable et prospère il faudrait imaginer les moyens à mettre à la disposition des opérateurs, leur donnant les possibilités d’investir pour moderniser les exploitations, pour mieux produire et résister à la concurrence étrangère. Le Maroc a fait son choix, il a opté pour le libéralisme. Il était parmi les premiers à intégrer l’OMC. Sinon de quelle  façon et comment va-t-il se faire une place dans cet univers ? C’est à cette question plutôt qu’il faut répondre.

La politique des barrages a été au centre des débats. On s’est demandé si l’investissement était justifié ou pas, si la rentabilité était à la taille de la mise engagée pour la réalisation de ces ouvrages. On a dit que la production n’a pas évolué, le Maroc continue d’importer du blé, que nos exportations ont régressé etc…c’est vrai, la production de céréale n’a pas augmenté pour atteindre l’autosuffisance, pourquoi ? D’abord, la population a plus que triplé depuis l’indépendance, ensuite le Maroc a connu une longue période de sécheresse. Il n’est pas le seul. Ce phénomène cyclique est lié aux caprices de la nature. Il touche toutes les régions de la planète. Chez des pays asiatiques, ça été pire ! le Tsunami, un désastre !. C’est pas pour autant qu’ils ont remis en cause leur agriculture. Le Maroc a introduit depuis l’indépendance de nouvelles cultures (betteraves, canne à sucre) entre autres, ils ont occupé des surfaces au détriment des céréales. L’urbanisation galopante se fait sur les terres agricoles. Dans toutes les régions, les périmètres se développent à pas géant toujours au détriment des espaces de l’agriculture. Les autoroutes, les nouvelles routes et les pistes réalisées dans le cadre de la politique gouvernementale pour le désenclavement des agglomérations rurales, toutes ces réalisations ont réduit les surfaces cultivables. L’importation des céréales ne met pas en cause le dynamisme de notre agriculture, loin de là. La France est un géant agricole. Est-ce qu’elle n’importe pas ? Bien sûr que si. Nous sommes les premiers à déverser sur ses marchés des dizaines de produits. Importer des produits qu’on ne peut pas produire en quantité suffisante localement, n’explique pas une carence ou l’incompétence des agriculteurs.

Nos exportations régressent ? Naturellement ! Comment voulez-vous qu’elles évoluent quand nos concurrents bénéficient de subventions substantielles. Quand ils produisent, utilisant un gasoil subventionné. En Espagne, par exemple, le producteur achète son gasoil à l’équivalent de deux dirhams. Au Maroc il est facturé aux agriculteurs au même prix que n’importe quel autre utilisateur. Un participant au débat a rappelé la subvention américaine à l’agriculture, 30 milliards de dollars. Effectivement, c’est vrai  les américains ne le cachent pas, les Européens non plus. Ils soutiennent copieusement leur agriculture. Chez nous c’est l’inverse, les intrants sont surtaxés. L’agriculture débourse plus de cinq cents milliards à titre d’impôt indirect sur les composantes de son prix de revient. Pourquoi s’étonner du regréssement de nos exportations ? L’Etat ne fait rien pour les promouvoir. L’étonnement c’est qu’on continue d’exporter.

En réalité, c’est la politique de notre administration qui est défaillante, elle ne fait rien pour aider l’agriculture. Elle l’accable quand elle a l’occasion de le faire. Monsieur le Ministre dans cette émission n’a pas manqué de s’en prendre à la production de banane. Il a dit que le climat n’est pas adapté à la culture de l’espèce au Maroc, s’appuyant sur les dégâts occasionnés par le gel la campagne précédente. On se demande si le ministre s’est donné la peine d’examiner de près ce qui s’est passé l’année dernière. Un hiver rigoureux, très froid, engendrant des températures exceptionnelles -8° durant des semaines. Un autre phénomène se reproduisant en moyenne tous les quarante ans. Est-ce une raison pour condamner une activité ?
D’autre part, le gel de Janvier 2005 a affecté toutes les cultures. Les agrumes, la canne à sucre, les fraisiers, le maraîchage, tout a cramé. Les rosacées précoces ont perdu leur floraison. Même le gibier volatil a ressenti l’effet du gel, il ne s’est pas reproduit normalement, consultez le Haut commissariat des eaux et des forêts. Il vous donnera l’information. Et de toutes les manières l’Etat n’est pas intervenu pour alléger les pertes des producteurs. Les trois milliards destinés par le gouvernement aux producteurs sinistrés ont été utilisés pour apurer des comptes douteux sans soutiens de garantie chez la  CNCA. Très peu sont ceux qui ont bénéficié réellement de ces allocations pour atténuer les conséquences des dégâts.
S’il faut le rappeler, la banane occupe seulement 5000 hectares dans des zones utilisées autrefois pour le parcours, sans grand intérêt. La culture banannière occupe beaucoup de jeunes cadres lauréats des instituts que l’Etat n’a pu employer, des jeunes promoteurs. Ils ont réussi à couvrir le besoin national économisant annuellement à l’Etat plus de 1.5 milliard de dirhams.

En vingt ans, depuis l’existence de la culture, c’est 30 milliards de dirhams qui auraient aggravé le déficit de la balance commerciale. D’autre part, le secteur ne bénéficie d’aucun soutien étatique. Même le financement pour l’entretien des exploitations a été arbitrairement suspendu sur recommandation d’un ancien ministre ultralibéral. Ces jeunes producteurs techniciens et ingénieurs ont le mérite d’avoir initier la rationalisation de la consommation d’eau en introduisant la micro irrigation, elle est en train de se généraliser. En quoi ça gène tant nos responsables la culture bananière? C’est sans doute la pression des multinationales américaines qui est à l’origine. Elles veulent s’accaparer le marché national. Ils n’auront pas cette chance. La volonté de nos producteurs est inébranlable, ils ne céderont pas aux pressions ! C’est un pari.Enfin, pour revenir au thème objet du débat (le Maroc est-il un pays agricole ?), il ne fait place à aucun doute. Outre l’aspect social (60% des Marocains sont des ruraux vivant de l’agriculture) le Maroc a des atouts et des potentialités qui font de lui un pays agricole par excellence. Son terroir riche et diversifié, se prête à toutes les cultures. L’irrégularité du climat et la sècheresse sont des phénomènes naturels propres au bassin méditerranéen. Elles sont  compromettantes certes, mais pas rédhibitoires. Les pays européens chez qui les précipitations sont régulières et abondantes, ont connu des périodes de sècheresse ou, des calamités encore plus dévastatrices. Est-ce qu’ils ont reconsidéré la politique agricole ? Au contraire, ils privilégient le secteur. Il s’agit de la sécurité alimentaire. Nous avons, Dieu merci, l’eau grâce à la politique des barrages. On peut doubler nos capacités en construisant de nouveaux. C’est une nécessité. La denrée se fait de plus en plus rare. Cependant, il faut impérativement équiper les périmètres liés à l’ouvrage. Sad El Wahda est un exemple déplorable. 3 milliards de m3 que représente la retenue de ce grand barrage, le deuxième de l’Afrique, sont tout simplement déversés dans la mer à défaut d’équipement. Ça fait plus de 12 ans que ça dure. C’est inadmissible.

L’handicap qui fait défaut à notre agriculture et aux agriculteurs c’est l’organisation professionnelle. C’est à travers des institutions professionnelles qu’on peut régler beaucoup de problèmes et optimiser les rendements, réglementer et maîtriser la commercialisation qui constitue une lacune. Maintenant que la COMADER a vu le jour, nous espérons pouvoir nous prendre en charge et affronter l’avenir avec de nouvelles conceptions pour le mieux de notre métier, que nous exerçons non pas pour nous enrichir, mais parce que nous l’aimons tant, cette agriculture.

Par Yahi Mohamed
Président de l’APROBA
Vice-président de la COMADER

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