Société

L’école est la clé pour la réussite de l’INDH

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Plus de six mois après le lancement de la nouvelle initiative par le Souverain, il est de notre droit de nous demander si on est sur la bonne voie en ce qui concerne la mise en place de projets, programmes et politiques susceptibles de créer la différence sur le terrain et contribuer de manière significative et indiscutable à la réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité sociale ? Bien qu’il soit encore tôt pour évaluer l’impact de ce qui a été fait jusqu’à maintenant, il est de notre devoir de dire si les approches et méthodes adoptées sont adéquates pour arriver aux résultats escomptés? Il est peut-être trop tôt pour se prononcer sur les choix de projets et la façon de faire qui sont encore en pleine gestation, mais on peut au moins voir si on est en train de préparer le terrain pour des projets novateurs notamment dans les domaines- clefs tels que l’éducation, la santé, l’intérieur, la justice et les affaires sociales. Il est évident que les risques d’échec, ou tout au moins de non atteinte de tous les objectifs escomptés, peuvent provenir aussi bien de la façon de faire que de l’absence de mesures d’accompagnement volontaristes et rigoureuses. C’est le cas particulièrement du secteur éducatif.
L’école accompagne-t-elle l’INDH en assurant un accès durable à une éducation de qualité pour tous les enfants pauvres, vulnérables et à risque ? Y a-t il encore des enfants qui ne vont pas à l’école ou qui la quittent prématurément ou qui ne bénéficient pas d’une éducation convenable ? Les reproches adressées au système d’éducation sont nombreux : le taux encore élevé des abandons, l’absentéisme endémique des enseignants, l’existence de classes sans instituteurs, le sureffectif des classes, le niveau très bas des élèves, le soutien scolaire "forcé", la violence répandue à l’encontre des élèves, la non implication des parents dans la gestion, la non pertinence des programmes, le caractère abstrait de certains programmes et manuels (surtout l’arabe), l’existence d’une approche basée sur l’apprentissage par cœur, l’absence d’une approche basée sur l’analyse et le développement de l’esprit critique etc. Au regard de tous ces handicaps, il semble qu’au lieu de jouer ce rôle d’accompagnateur, l’école marocaine contribue en fait à augmenter les effectifs des analphabètes, des bénéficiaires de l’éducation non formelle,  des enfants en situation de  travail, des enfants de la rue, etc.
Quand l’école s’engagera à ne perdre aucun garçon et aucune fille qui s’inscrit, à récupérer tout enfant en deçà de quinze ans, à trouver des enseignants pour toutes les classes (faute de quoi les directeurs doivent prendre en charge ces classes), à tenir les directeurs et enseignants responsables des résultats aussi bien au niveau des abandons qu’au niveau des tests administrés par les Académies,  à organiser des cours de soutien en interne (et couper l’herbe sous les pieds de ceux et celles qui forcent les parents à les payer pour des cours de soutien "bidons"), à développer des méthodes d’enseignement centrées sur l’élève, à produire des manuels conviviaux et faciles à utiliser, à ce moment-là, on pourrait dire qu’elle s’acquitte bien de son rôle d’une façon rigoureuse, rationnelle et efficace. Pour le moment, il y a une disparité flagrante entre les discours et la réalité sur le terrain. Certes, il y a beaucoup de choses qui se font, mais à un rythme qui n’apportera de solutions aux problèmes posés que dans trente ans, tout en créant d’autres problèmes pour d’autres secteurs. L’école est la clé pour la réussite de l’INDH mais elle doit être beaucoup plus proactive, plus efficace, plus centrée sur la solution des problèmes réels, plus dynamique que ce qu’on a vu jusqu’à maintenant.
Sans une gestion dynamique basée sur les résultats et sur un système de suivi et d’évaluation axé sur la responsabilisation des acteurs éducatifs directs, tous les discours et les promesses resteront des vœux pieux qui n’ont rien à voir avec une réalité peu reluisante et peu rassurante. Nous devons comprendre aujourd’hui qu’une partie de la mission des services chargés de l’éducation non formelle, de l’alphabétisation, du développement social, des handicapés, des enfants en situation de travail etc. est de gérer des problèmes qui auraient pu être résolus à la source, par l’école elle- même. Du fait que l’école n’accomplit pas correctement sa mission, elle contribue à la prolifération des problèmes pour lesquels on crée des services, des directions, des secrétariats d’Etat, voire même des ministères. On budgétise doublement pour résoudre ces problèmes et avec l’INDH, on risque d’allouer des fonds supplémentaires pour des problèmes qu’on tarde à solutionner une fois pour toute et à la source. Le coût est énorme et on ne voit même pas le bout du tunnel.  «Tolérance zéro» (concernant l’abandon scolaire, l’absentéisme des enseignants, le manque de sérieux et de qualité, la non scolarisation, la violence en classe, etc.) doit être le slogan de toute école, toute délégation, toute académie et bien sûr du ministère.
Les autorités locales, la police et les juges ont également un rôle énorme à jouer de prévention, d’application de la loi et d’intervention. Imaginons une situation où les chefs de cercles, les caïds, la police, les chioukh et les moqaddems, en collaboration avec les juges, les élus locaux et les associations locales travaillent quotidiennement pour qu’aucun enfant ne soit en dehors de l’école, pour qu’aucun enfant ne soit exploité en tant que "petite bonne" , artisan, berger ou mendiant, pour qu’aucun enfant ne soit exploité par le maître dans des cours de soutien "bidon", pour qu’aucun parent ne trouve d’excuse pour ne pas envoyer un enfant à l’école, pour qu’aucun «samsar» ne soit impliqué dans le trafic des enfants, pour qu’aucun jeune adolescent ne prenne la rue pour son domicile et s’engouffre dans le "sniffing", la prostitution, le vagabondage ou le banditisme. Imaginons des autorités locales et des acteurs locaux adoptant un slogan du genre : «Nous sommes tous responsables ! Assez d’exploitation ! Assez de non respect de la loi ! Nous ne tolérons plus ce genre de comportement». Avec une école qui fait son travail correctement et des autorités locales, des juges, une police, des élus et des associations locales qui agissent immédiatement et d’une façon efficace, on aura un autre Maroc qui produira des résultats sur le terrain et pas seulement des discours et des plans qui n’ont qu’un impact mitigé et limité sur la situation sociale des gens. Il en va de même des services du Pôle Social. Il ne suffit pas de financer des projets ; il est indispensable de faire un suivi régulier et rigoureux. Si on ne fait pas de suivi, c’est comme si "on jette de l’argent par la fenêtre". Bien sûr qu’il y a des associations qui sont sérieuses et professionnelles mais il y en a pas mal qui ne le sont pas. Hormis le problème de la malhonnêteté des uns ou des autres, il y a aussi des objectifs qu’il faut se fixer et voir si les efforts financiers consentis contribuent à les atteindre.  Les projets qu’on finance doivent contribuer à la réalisation de résultats tracés dans une stratégie bien conçue et accompagnée de chiffres et d’indicateurs. Les problèmes ne se résolvent pas magiquement et uniquement en y affectant des fonds.
L’argent est un moyen mais doit être utilisé d’une façon à créer la différence, à produire des résultats tangibles et chiffrés. L’octroi de l’argent n’est pas une fin en soi ; c’est un maillon dans une chaîne qui va de l’étude du problème à la conception de sa solution, au timing de la réalisation, à l’identification des acteurs et des populations cibles et au suivi du travail et l’évaluation de l’impact.  En l’absence de tout cela, on risque de contribuer à la création d’une élite locale qui se spécialise dans l’intermédiation associative et empêche les fonds de vraiment toucher la population qui en a besoin. Le problème de la lutte contre la pauvreté est le risque de voir les moins pauvres bénéficier financièrement des programmes et des projets plus que les pauvres. On commence à le voir au Maroc : les élites locales créent des associations pour intercepter les fonds destinés aux gens qui en ont besoin ; c’est pour cela que malgré les efforts consentis depuis maintenant sept ans on n’a pas vu d’amélioration significative du point de vue social. La pauvreté a certes reculé mais ceci est dû beaucoup plus à l’accès aux infrastructures de base qu’à une quelconque amélioration des revenus des pauvres et des vulnérables.  
L’autre grand défi est celui de la santé. La plupart du temps, en milieu rural ce n’est pas l’accès physique qui fait défaut ; le problème réside dans le manque d’accès à des structures d’accueil bien organisées et bien gérées par des ressources humaines qui ne cherchent pas à monnayer le service ou le médicament contre un billet de vingt dirhams. On peut créer des centres d’accouchement dans le rural afin de réduire le taux de mortalité maternelle, mais si ceux et celles qui gèrent ces centres ne font pas leur travail et voient dans tout cela un cas compliqué qu’il faut référer à l’hôpital provincial, il y aura toujours de cas de mères qui meurent en route ou en attente de l’ambulance ou d’un autre moyen de transport. Etablir un système de suivi qui recoupe les motivations des décisions à chaque niveau de la chaîne de référence et demande à tout un chacun de motiver ses décisions et d’en être responsable est un moyen de réduire ce paradoxe de l’existence de centres de soins et la non disponibilité des services et/ou médicaments.
L’implication des associations des usagers et autres membres de la société civile locale et des élus locaux dans la gestion et la supervision des centres de santé entraînerait une connaissance des besoins de la population et une ouverture sur la communauté et ses problèmes. Un autre moyen est l’évaluation du taux de satisfaction des usagers qui permettrait aux responsables aux niveaux local et provincial de déterminer les responsabilités, d’établir des objectifs pour corriger les défauts, tout dans la perspective d’une gestion basée sur les résultats et la responsabilisation.
En conclusion, je dirai que la meilleure façon d’accompagner l’INDH est pour tout un chacun d’essayer de faire les choses autrement, de gérer autrement, voire de penser autrement. Les solutions timides et mitigées qui tolèrent un certain degré de laisser-aller et qui dépendent de la bonne volonté de ceux et celles à qui on a confié la gestion de la chose éducative, sociale ou médicale ne risquent pas vraiment de créer le changement. Il faut passer à la vitesse supérieure et sans stratégies cohérentes basées sur des résultats concrets et sur la détermination des responsabilités, on risque d’ici peu de retomber dans la case de départ avec toute la déception qui prendra le relais de l’espoir engendré par ce grand projet visionnaire qu’est l’INDH.    

Par Lahcen Haddad
Expert international en planification
et management stratégique

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