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Mokhtar Lamani : «La solution doit concerner tous les Irakiens»

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ALM : Malgré votre démission du poste d’envoyé spécial de la Ligue arabe en Irak, vous êtes resté lié aux questions concernant ce pays. Comment voyez-vous l’évolution de ce dossier?
Mokhtar Lamani : Après ma démission de ce poste, ma relation avec l’Irak n’est pas finie. En fait, j’ai reçu une offre afin de rejoindre le plus grand Centre de recherches au Canada dénommé le CIGI, un Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale. Ce centre travaille sur des projets sur le Moyen-Orient, notamment l’Irak. Après avoir rejoint ce centre, nous avons organisé plusieurs activités. Ainsi, on vient de signer un accord avec un centre de recherches à Washington pour entamer une série d’activités pour l’Irak. On a organisé récemment plusieurs ateliers. Le premier concernant la dimension humanitaire en Irak. Le deuxième qu’on avait également organisé à Washignton, il y a deux mois, concernait le volet sécuritaire. Le troisième, qui aura lieu au Parlement canadien, les 14 et 15 octobre prochain, débattra des problèmes de gouvernance. Cet atelier sera suivi d’une rencontre entre des personnalités irakiennes et américaines. Nous aurons également au mois de décembre un quatrième atelier sur le voisinage de l’Irak. Nous comptons également envoyer une mission à Bagdad, à Arbil, à Damas et à Amman pour rencontrer tous les leaders irakiens afin de préparer un rapport intitulé «Opinions irakiennes».

Comment a débuté votre expérience en Irak ?
Au fait, j’étais nommé par le Sommet arabe qui a eu lieu en mars 2006 au Soudan, à Khartoum, comme envoyé spécial porteur d’un message de réconciliation nationale, mais ma relation avec l’Irak remonte à plus loin que cela. Après la guerre de l’occupation du Koweït, j’étais le premier officiel à mettre les pieds en Irak chargé à l’époque d’assister le Conseil des ministres pour essayer de régler la question des prisonniers de guerre.
A l’époque, toutes les questions de l’Irak étaient entre les mains du Conseil de sécurité. L’unique chose qu’il y avait, c’était la dimension humanitaire. Donc, j’y allais très souvent pour négocier avec le gouvernemnet irakien de 1991 à 1995.

En quoi consistait votre mission en Irak?
Avant que je sois nommé au poste d’envoyé spécial, la Ligue arabe avait organisé l’unique réunion qui a eu lieu à l’époque entre toutes les fractions irakiennes. Etant conscient de la complexité de cette époque, notamment l’occupation de l’Irak en plus de l’agenda de certains pays riverains, à savoir l’Iran et l’absence totale des Arabes, ma mission était donc de dialoguer avec toutes les parties irakiennes afin de les convaincre de s’asseoir autour d’une même table pour une réconciliation nationale car la solution en Irak dépend d’un projet politique qui englobe tous les Irakiens. Mais les problèmes étaient majeurs, notamment la grande division parmi les Irakiens.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées durant votre mission?
La chose que je n’ai pas réussi après une année, c’est de pouvoir passer de l’étape du dialogue vers celle de négociation. Pour passer à cette étape, il fallait avoir plusieurs moyens. Et ces moyens n’ont jamais été mis entre mes mains. En se référant à la résolution du Sommet arabe qui m’a envoyé à Bagdad, il était clair que l’ouverture d’une mission en Irak était la toute première étape sur laquelle on pouvait bâtir un travail sérieux. Mais la réalité est toute autre. Pour les Arabes qui ne voulaient rien faire, cette étape était un objectif en soi. Pour eux, ils avaient un ambassadeur qu’ils pouvaient voir sur la chaîne de télévision Aljazeera. D’un côté, c’était un honneur pour moi si je pouvais faire quelque chose pour les Irakiens. Mais, je n’étais pas prêt à leur mentir ou mentir à moi-même.

Que reprochez-vous à la vision arabe sur le conflit irakien ?
Ce que je reproche à la vision arabe c’est qu’il n’y avait pas de vision. Il n’y avait pas de vision claire pour s’attaquer aux problèmes et assister un peuple frère qui a beaucoup souffert durant les quarante dernières années. Pire que cela, il y avait une position de la part des Etats arabes comme si l’Irak existait sur la Lune. Il n’y avait pas de conscience sur la dimension des problèmes surtout quand cela a pris une division sectaire qui pourrait se répandre dans toute la région. Je pense que si on réussit en Irak, c’est bien pour toute la région. Et si on échoue c’est toute la région qui va payer le prix fort.

Que reprochez-vous également à la vision de l’ONU en Irak ?
En 2004 après l’assassinat de Sergio Demello, qui était l’envoyé spécial de l’ONU en Irak, j’ai été approché par le secrétaire général pour aller en Irak au nom de l’ONU. Je me suis dit pourquoi faire ? Il n’y a eu aucun mandat pour les Nations unies et il n’y a pas de résolution, car les Américains occupent le pays. Donc j’avais souhaité si on pouvait demander au Conseil de sécurité une résolution claire à propos de l’Irak. Même le secrétaire général de l’ONU avait peur de demander cela à l’époque. Ce que je reproche à l’ONU c’est que les Américains, après l’occupation, croyaient qu’on allait leur jeter des fleurs. Ainsi on ne voulait ouvrir la porte à personne. Même l’ONU n’était pas admise. Les Américains n’ont décidé de donner un petit rôle à l’ONU que lorsqu’ils ont réalisé qu’ils ont beaucoup de problèmes.

Au moment où plusieurs diplomates ont fui l’Irak vers Amman, pourquoi avez-vous choisi de rester dans la zone rouge?
En fait, personne ne m’a obligé de vivre dans la zone rouge. C’était là un choix personnel. Ce n’était pas par héroïsme mais j’avais un principe. Je ne voulais surtout pas être protégé par les forces d’occupation. Et d’autre part, la grande raison c’est que j’étais porteur d’un message de réconciliation nationale et j’ai facilité le contact à chaque citoyen irakien. En habitant dans la zone verte, personne ne pouvait me voir sauf les officiels, notamment ceux qui ne faisaient pas l’opposition aux Américains. Je ne regrette pas ce choix.

Mais votre mission n’a pas abouti finalement?
Ma mission n’a pas abouti parce qu’on n’avait aucun moyen sérieux entre les mains. J’avais expliqué cela de façon détaillée dans la lettre. On ne s’intéressait pas à la réussite de la mission. Et même quand j’ai quitté mon poste qui est resté vacant pendant deux ans, celui qui m’a remplacé l’a quitté après deux mois seulement pour les mêmes raisons que moi. Maintenant Amr Moussa déclare haut et fort qu’il était le premier à ouvrir une mission et qu’il va continuer. Je me demande : Que va-t-il continuer à faire ? C’est comme si la mission, après avoir réussi la réconciliation nationale, va maintenant préparer un plan Marshall pour la reconstruction.

Quelle est la solution pour faire sortir l’Irak de l’impasse ?
La solution en Irak ce n’est pas pour demain. Le problème est tellement compliqué. Une fragmentation énorme marque ce pays. En trente ans de fonctionnariat international, je n’ai jamais vu une situation politique qui ressemble à l’Irak au niveau de la fragmentation. Les partis politiques qui sont inscrits officiellement pour les élections dépassent les 400 et la même chose pour la résistance, auxquels il faut ajouter tous les groupes insurgés. Il s’agit d’une fragmentation terrible. Et le plus difficile c’est que cette fragmentation se passe dans un climat de non confiance totale.

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