Société

Tribune libre : Gel de l’accord entre le Hamas et le Fatah

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Après que le Hamas et le Fatah aient fait savoir qu’ils étaient d’accord pour constituer un gouvernement d’union nationale présidé par Ismaël Haniyeh, un vent d’optimisme avait soufflé sur Gaza et la Cisjordanie. Car, dans la foulée, Ahmed Youssouf, un conseiller du Premier ministre palestinien, annonçait la levée prochaine des sanctions économiques édictées par l’Union européenne contre les institutions de l’Autorité palestinienne. Ces sanctions se sont traduites, depuis février 2006, par le gel des subventions avec ses conséquences frappant durement la population palestinienne : paralysie des services administratifs et publics, non versement des salaires aux fonctionnaires et arrêt de nombreux projets de développement économique.
Ahmed Youssouf(*) annonçait simultanément que les trois conditions préalables formulées par la communauté internationale pour la levée des sanctions (reconnaissance de l’État d’Israël, respect des accords signés jusque-là par l’Autorité palestinienne et Israël et renonciation aux actions terroristes) ferait l’objet de négociations que Mahmoud Abbas serait habilité à conduire au nom de tout le peuple palestinien.
Ce changement d’attitude du Hamas était dicté moins par le désir de se rapprocher d’Israël que par des considérations de politique intérieure palestinienne. Ismaël Haniyeh avait compris que la seule chance pour lui de se maintenir au pouvoir, alors qu’il était l’objet de violentes critiques, était de trouver un accord avec le Fatah, condition sine qua non pour débloquer la situation et soulager les souffrances de ses concitoyens. L’urgence commandait de faire preuve de souplesse. Il y était également incité, même s’il ne pouvait l’admettre publiquement, par la décision de plusieurs pays arabes modérés de réactiver l’initiative saoudienne de paix présentée au Sommet arabe de Beyrouth en 2003. Restait à savoir comment la communauté internationale allait réagir à ce revirement et à l’assouplissement précurseur de l’attitude de l’Union européenne. En Israël, certains analystes de la presse n’hésitaient pas à infirmer que la constitution d’un gouvernement d’union nationale palestinien serait considérée comme «un succès d’Ehoud Olmert». A leurs yeux, le boycott économique et les opérations menées par Tsahal à Gaza pour détruire les sites de lancement des roquettes Kassam et les caches d’armes, avaient affaibli le Hamas, contraint à rechercher l’alliance avec Mahmoud Abbas que le Premier ministre israélien se déclarait désormais prêt à rencontrer «sans conditions préalables».
A l’inverse, les Palestiniens estiment que leur détermination a payé. En enlevant le 25 juin dernier, au poste de Keren Shalom, le caporal Gilad Shalit et en lançant contre les localités du sud d’Israël, notamment Sdérot, des Kassam, ils ont remporté des succès. Pour Alouf Benn, éditorialiste du grand quotidien israélien Haaretz, «Ehoud Olmert a été de la sorte poussé à lancer l’idée du redéploiement en Cisjordanie et à tendre la main à Abou Mazen». C’en est fini du refrain traditionnel sans cesse utilisé par Israël selon lequel «il n’y a pas en face, avec qui et de quoi parler». Le projet de constitution d’un gouvernement d’union nationale palestinien signait «l’apparition» d’un véritable partenaire palestinien. Une donne dont les Israéliens n’ont pas encore saisi l’importance. Ainsi Tsippi Livni, la ministre israélienne des Affaires étrangères, s’est rendue à Washington pour demander que les USA fassent pression sur le futur gouvernement palestinien pour qu’il accepte de reconnaître Israël, les accords antérieurs, notamment ceux d’Oslo, ainsi que la «feuille de route» du Quartet. On peut s’étonner de voir une ancienne du Likoud, tout comme Éhoud Olmert, accorder tant de crédit aux accords d’Oslo que son parti combattit vigoureusement. Tout comme il est difficile de comprendre l’attitude du Premier ministre israélien. D’une part, il parle de la «feuille de route»  et d’un redéploiement négocié en Cisjordanie impliquant l’évacuation de colonies. D’autre part, dans le même temps, il autorise l’accélération de la construction ou du «renforcement» de certains blocs de colonies. Tout cela jette un doute sur sa sincérité alors qu’il n’est pas de son intérêt d’affaiblir l’Autorité palestinienne et de ne pas saisir la chance que constitue l’offre de paix des pays arabes modérés. Celle-ci «légitime», en échange du retour de tous les territoires occupés depuis 1967, l’existence de l’État d’Israël et affiche ainsi un cinglant désaveu au président iranien Mahmoud Ahmadinedjad.
Certes, Ehoud Olmert peut s’estimer conforté par le fait que, actuellement, le président américain George W.Bush n’a pas changé d’avis sur le Proche-Orient. Pour combien de temps ? Car le chef de l’exécutif américain sait que sa majorité républicaine risque de perdre les prochaines élections au Congrès s’il n’obtient pas un résultat lui permettant de faire oublier son enlisement en Irak. Il pourrait donc être tenté de rejoindre Tony Blair et Kofi Annan qui plaident en faveur d’une reprise du dialogue.
Pour l’heure, Ehoud Olmert, pris dans la tourmente politique provoquée par les ratés de la guerre du Liban, ménage les uns et les autres pour ne pas indisposer les partis de droite dont il pourrait avoir besoin pour sauver sa coalition. Mais s’il sort relativement épargné par la commission Vinograd nommée pour enquêter sur les carences de Tsahal et du gouvernement lors des opérations contre le Hezbollah, peut-être sera-t-il tenté de revenir à son «agenda» initial et de reparler de ce fameux redéploiement de Cisjordanie.
Conseiller d’Ismaël Hanieh, Ahmed Youssouf a tendu une perche en envoyant des messages rassurants à l’opinion publique israélienne : «Vous devez promouvoir les solutions pacifiques et ne pas choisir la voie de la violence militaire. Vous devez mettre fin à l’occupation.. Le Hamas ne s’oppose pas que à ce que Abou Mazen mène la négociation avec vous» . Et d’ajouter : «Israël doit se fondre dans le monde arabe. C’ est une question de temps. Même si les Israéliens restent, ils ne peuvent que demeurer un corps étranger au sein de la région. Les parties doivent parvenir à un cessez-le-feu, sinon à un accord global». Mais, précise-t-il, «nous sommes des forcenés, voilà pourquoi nous ne pouvons pour l’instant arriver à un accord. Dans plusieurs années, viendront peut-être des hommes plus intelligents. Ils sauront décider de l’avenir. Jusque-là, nous devons parvenir à vivre dans la tranquillité et à nous occuper, chacun, de nos affaires». Si Ahmed Youssouf estime que le Hamas, en l’état présent, ne peut reconnaître Israël, il ne reproche pas au Fatah d’avoir fait ce geste. Et pour cause. La rue palestinienne ne le comprendrait pas . Un sondage réalisé par l’université Al Najah de Naplouse montre que les électeurs palestiniens ont considérablement modifié leur attitude depuis le dernier scrutin législatif. En cas de nouvelles élections, ils ne seraient plus que 18,8% à voter pour le Hamas contre 34, 8% pour le Fatah. En cas de présidentielles, Mahmoud Abbas obtiendrait 37,9% contre 17,4% pour Ismaël Haniyeh.
Voilà pourquoi Abou Mazen, à la veille de son départ pour New York, a pu annoncer le gel de la constitution du gouvernement d’union nationale et des négociations avec le Hamas. C’est que George W.Bush n’était pas disposé à le rencontrer s’il venait lié par un accord avec un Hamas qui n’aurait pas accepté l’existence d’Israël, les accords signés, renoncé à la violence et adhéré à la «feuille de route».
De la sorte, Abou Mazen se privait de la possibilité de rencontrer le président américain, la Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice et la ministre israélienne des Affaires étrangère, avec laquelle il entend discuter du «timing» de la reprise des négociations entre lui et Ehoud Olmert. Tout comme Paris valait bien un effort, New York valait bien un gel des négociations avec le Hamas. Et il est vrai que Ismaël Haniyeh ne pouvait lui donner satisfaction d’autant plus qu’il n’est pas libre de ses décisions, celles-ci incombant en dernier lieu à Khaled Méchaal, le chef de la branche extérieure de son mouvement, installé à Damas.  Mahmoud Abbas a donc choisi de mener sa propre stratégie en tablant sur le succès des négociations secrètes menées avec Israël, par le biais de l’Egypte, pour obtenir, en échange de la restitution du caporal Gilad Shalit, la libération de centaines de détenus palestiniens en Israël, en particulier les femmes, les mineurs et ceux qui ont purgé plus de 20 ans de prison. Un accord dont une indiscrétion du quotidien palestinien, très bien informé, Al Yam, estime qu’il n’est qu’une question de jours et dont Abou Mazen sera le grand bénéficiaire tant sur la scène internationale que sur la scène intérieure palestinienne.

(*) Note

Un ami, lecteur d’Aujourd’hui Le Maroc, m’a demandé d’où je tenais les informations publiées chaque semaine dans mes articles. La réponse est simple : de la lecture des dépêches d’agences et de la presse israélienne que j’analyse chaque jour pour la station parisienne Radio Shalom qui, depuis 10 ans, soutient l’idée d’une paix entre l’État d’Israël et un État palestinien libre et souverain. Lorsqu’une citation est particulièrement longue, il m’arrive de citer son auteur et le journal où ce texte a été publié. Ainsi, les propos d’Ahmed Youssouf, cités dans cet article, ont été tenus le 12 septembre, commentés par la presse les 13 et 14 septembre et publiés in extenso le 15 septembre. Il va de soi que je suis à la disposition de tous les lecteurs et lectrices d’Aujourd’hui Le Maroc pour répondre, selon mes capacités, à leurs questions.

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