L’océan qui martèle sans répit de ses vagues, sèches et blanches, la côte dakaroise ne passionne, pour le moment, personne. Même l’appel du large qui fascine jusqu’à la mort, les jeunes et les moins jeunes s’est estompé, graduellement. Les esprits sont ailleurs. Quand les hommes règlent leurs affaires, petites ou grandes, ils tournent le dos à la nature. «Nous avons une responsabilité vis-à-vis des nôtres et vis-à-vis des Africains. Nous devons démontrer à tous que la démocratie est aussi africaine et que sa patrie naturelle c’est le Sénégal.» Au-delà de l’emphase qui exprime une fierté certaine, le propos de ce jeune cadre n’est pas dénué de substance. Il est convaincu que son pays peut apporter beaucoup à ce continent qui doute, et qu’au Sénégal se forge, depuis des années, un art de vivre ensemble exemplaire malgré, parfois, les excès de la politique.
Le dimanche 25 février 2007, les urnes parleront. Le pays a un rendez-vous avec un président. Les deux seront à l’heure. Une des vertus de la démocratie est d’enseigner le temps et l’exactitude. Cela s’appelle la ponctualité. Me Wade ou Idrissa Seck ? Moustapha Niasse ou Ousmane Tanor ? Peu importe, au final. Ils portent, tous, à bout de bras avec rigueur et détermination, l’étendard de ce Sénégal qui entend rapatrier l’espoir dans un continent qu’il n’aurait dû jamais quitter. Cependant, Il ne faut pas croire que la vie politique sénégalaise est angélique, naïve ou factice. Les débats sont rudes, le ton est souvent mordant, les positions sont tranchées. C’est une démocratie qui fonctionne avec des outils connus. Sans concession, ni compromis avec la dose qu’il faut d’exaltation, de politique politicienne ou, parfois, même d’esbroufe.
Il est vrai que la presse privée est en avance d’une élection ou d’une décade – on connaît cela, ailleurs – mais elle est bien, dans ses excès mêmes, dans son rôle d’aiguillon. «Nous produisons, exclusivement, au Sénégal de la liberté d’expression et de la démocratie, le reste, tout le reste viendra plus tard. Ça sera plus facile», dit un jeune journaliste à l’enthousiasme confondant et qui n’a, surtout, aucun doute sur sa singularité. Il a, peut-être, raison. Il est vrai, aussi, que, comme partout ailleurs sur le continent, la politique n’attire pas toujours les meilleurs, et que le sens du service public ou de l’intérêt général n’est pas bien partagé. Mais peu importe. Il arrivera vite le jour où les ambitions individuelles voraces, les stratégies obliques ou les amalgames régressifs seront, au Sénégal d’abord, supplantés par de vrais projets collectifs car le terreau est fertile et la terre féconde. Mais, en toute circonstance, ici, la bienveillance doit rester de mise. Qui est le pays africain qui a produit en si peu de temps un leadership aussi riche et prestigieux que le pays de Teranga ? Senghor, Diouf, Wade et les prétendants actuels ne sont pas moins séduisants. Toutefois, sur le fond, il reste des défis à relever, il y a des ruptures à assumer et il demeure un avenir à construire. Comment protéger la démocratie de la culture des clans, des factions ou des tribus ? Comment consolider la laïcité de la république en ramenant les éminents acteurs religieux à leur dimension naturelle et à des fonctions strictement spirituelles ? Comment immuniser l’Etat contre la gabegie et la corruption ? Et comment faire de l’égalité des chances, grâce à un service public imaginatif et performant, un levier de la transformation sociale ? Comment créer de la richesse, de la croissance donc, et la partager ? Il ne faut pas non plus, par sévérité, conférer à ces questions une spécificité sénégalaise tellement le continent, dans son intégralité, est travaillé, de Rabat au Caire, de
Johannesburg – bien sûr –, à Lagos, de Libreville à Alger, par les mêmes interrogations. Mais aujourd’hui à Dakar, il y a un consensus réel sur le fait que le bien collectif le plus précieux à sauvegarder, c’est le projet démocratique auquel tous les protagonistes du fait politique sénégalais sont attachés. Cela n’exclut pas que la vigilance reste de mise. Les propos de campagne contiennent malgré leur nature triviale une part, même infime, de vérité : «Vous savez, Abdoulaye Wade a mis le pays en chantier, il devra finir son job. Nous avons le temps pour le juger, comme il se doit, sur son bilan. Mais l’important c’est que ni lui et ni ses amis ne doivent tirer vers le bas le pays, mettre sous séquestre ses institutions, ou confisquer sa démocratie. Parfois, il n’y a pas pire que d’ex-opposants arrivés au pouvoir. Ils connaissent mieux que quiconque la chanson.» Toute la richesse de la vie politique sénégalaise est dans l’analyse de cet entrepreneur. Il veut tout, et il a raison : le changement, la continuité, la rupture, la permanence, la stabilité, la transformation… Tout ce qui est fait d’espoir et d’espérance relève du domaine de la démocratie et de son extension. Il ne faut jamais désespérer d’un pays qui arrive à faire taire le vacarme de l’océan pour faire parler l’avenir. La mer peut bien dévorer nos enfants, faire couler nos larmes et détruire des destins, elle n’arrivera jamais à tuer nos rêves ou annihiler nos désirs.
Abdoulaye Wade : le panafricaniste
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Tanor Dieng : le challenger
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Idrissa Seck : le dauphin
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Moustapha Niasse : le diplomate
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