Ces craintes avaient été manifestées publiquement en décembre 2004 par le roi Abdallah II de Jordanie, qui avait mis en garde, dans une interview au quotidien américain Washington Post, contre l’avènement à Bagdad d’un gouvernement pro-iranien qui favoriserait la création d’un « croissant » régional sous influence chiite regroupant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban. La question est particulièrement importante pour les six monarchies du Golfe, toutes gouvernées par des sunnites, en raison de leur proximité avec l’Irak et parce que la population autochtone, estimée à environ 21 millions de personnes, comprend près de 12% de chiites.
Au Koweït, pays limitrophe de l’Irak, la proportion de chiites approche même du tiers. Le sujet est considéré comme tabou dans les milieux dirigeants et le silence est donc de rigueur. La semaine dernière, le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Mohamed Sabah Al-Salem Al-Sabah, dont les propos étaient rapportés par l’agence Kuna, avait toutefois exprimé les craintes de son pays face au risque d’une résurgence du sectarisme, terme désignant dans sa bouche une affirmation du particularisme chiite.
Interrogé par la presse sur des déclarations de dirigeants chiites irakiens concernant l’établissement d’une région chiite dans le sud de l’Irak, cheikh Mohamed avait souligné que toute vision sectaire « inquiète non seulement le Koweït, mais tous les pays » de la région et recommandé à l’Irak de « ne pas s’engager dans cette voie dangereuse ». Le Centre d’études et de recherches stratégiques, basé à Abou Dhabi, a lui aussi mis en garde les Irakiens à ce sujet. « Le plus important pour les Irakiens, c’est de se débarrasser du sectarisme lié à des considérations chauvines, alors que la démocratie souhaitée leur recommande de chercher l’entente et l’acceptation de l’autre », soulignait-il récemment dans un éditorial sur son site internet. Dans son interview au Washington Post le 8 décembre, Abdallah II avait accusé le régime chiite iranien d’ingérence en Irak, affirmant que son but était d’obtenir la mise sur pied à Bagdad d’un gouvernement « qui soit très pro-iranien ».
En réaction, l’Iran, qui se défend de s’ingérer dans les affaires de l’Irak, a annoncé dimanche que le chef de sa diplomatie, Kamal Kharazi, ne participerait pas à la conférence des pays voisins de l’Irak qui doit se tenir jeudi en Jordanie. Le ministre irakien de la Défense, Hazem Chaalane, qui avait accusé l’Iran d’être « l’ennemi le plus dangereux » de l’Irak, s’en est également pris violemment à la liste chiite aux élections irakiennes. « C’est une liste iranienne », a-t-il dit. Les Etats-Unis ne cachent pas non plus leur inquiétude d’un raz-de-marée chiite et cherchent à éviter une élection sans sunnites élus. Les chiites, majoritaires en Irak, sont les grands favoris du scrutin du 30 janvier, d’autant que la principale formation sunnite du pays, le Parti islamique irakien, s’est retiré de la course. La liste donnée favorite est celle présentée par le Conseil suprême de la révolution islamique en Irak, le principal parti chiite irakien. Des personnalités chiites dans les monarchies du Golfe soutiennent toutefois que les chiites ne représentent pas nécessairement un danger. Ainsi, le président de l’Association de l’entente nationale islamique, principal groupe d’opposition chiite à Bahreïn, cheikh Ali Salmane, interrogé par l’AFP, a estimé que la montée des chiites en Irak « n’a pas d’effet » négatif sur la région.
Cheikh Ali Al-Saffar, un éminent dirigeant chiite saoudien, estime que « les chiites dans le Golfe, à l’instar de leurs concitoyens, aspirent à la réforme politique, à l’élargisssement de la participation populaire et n’ont pas de visée (politique) spéciale ».
• Hassan El-Fekih AFP