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Le décrochage scolaire sous l’escarcelle des «Dar Attalib-a» au Maroc

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• Selon une étude de l’ONDH, 885 DAT recensés en 2021 assurent la scolarisation de 11% des élèves ruraux – soit 86.000 élèves dont plus de la moitié sont des filles
• Les ressources budgétaires des DAT dans 4 cas sur 5 fixées aléatoirement
• Les DAT ne satisfont que moins de la moitié des demandes d’hébergement
• Près des 8/10 des élèves préfèrent l’hébergement à DAT, à proximité des établissements scolaires
• Seul 1 DAT sur 7 dispense gratuitement ses prestations à l’ensemble des élèves hébergés, le reste est partiellement ou totalement payant.

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Par El Hassan El Mansouri (*)

Le système scolaire marocain a enregistré des résultats inscrits à son crédit, comme la généralisation de la scolarisation, la féminisation progressive des cohortes des sortants du système d’éducation-formation, le financement territorial de l’éducation et de mise en œuvre de la stratégie nationale de la réforme de l’éducation conformément à la stratégie nationale à l’horizon 2030 élaborée par le CNSEFRS.
Tous ces résultats sont remis en cause par la persistance de phénomènes qui obèrent le système éducatif marocain. Parmi ces tares figure le décrochage scolaire qui remet en cause les résultats de ce système.

Les autorités publiques n’ont eu de cesse d’apporter des solutions appropriées à la correction de ces phénomènes de déperdition des efforts d’éducation et de formation. De là est venue l’idée de constituer le dispositif des Dar Attalib et Dar Attaliba qui constituent des structures de proximité de prise en charge des filles et garçons en matière de mobilisation et de préparation de l’avenir des jeunes. La force de ces DAT-a est d’être des structures adaptées sociologiquement et techniquement aux diverses situations et milieux d’où viennent les élèves.
Dar Attalib-a figure parmi les éléments constructifs du dispositif national de prise en charge des enfants scolarisés ou à scolariser dont la finalité est d’offrir à ces enfants de la Nation un cadre professionnel de suivi du processus d’éducation-formation. L’Observatoire national du développement humain (ONDH) a procédé, en 2021, à l’élaboration d’un rapport consacré à une évaluation des établissements Dar Attalib-a (DAT).

L’objectif à terme étant d’en asseoir la promotion sur la base d’un bilan exhaustif et d’aider à la transition, dans le cadre de la phase III de l’INDH, à une nouvelle génération de relais sociaux appuyant l’accès aux prestations éducatives.
Le rapport établi à cet effet par l’ONDH identifie les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces propres aux DAT. Il définit ainsi les fondements de rénovation de leur approche et les leviers de leur développement dans le sens de renforcer leur participation à la lutte contre les déperditions scolaires.

Les DAT-a continuent à cultiver la motivation scolaire
Les données de l’enquête auprès des DAT-a et de leurs usagers, réalisée par l’ONDH en 2021, révèlent que, dans l’ensemble, les DAT-a continuent à cultiver la motivation scolaire et à diffuser la culture de l’éducation bien qu’ils se heurtent à des défis réels affaiblissant leur apport à la lutte contre les déperditions scolaires.
D’emblée, les 885 DAT recensés en 2021 assurent la scolarisation de 11% des élèves ruraux, soit 86.000 élèves dont plus de la moitié sont des filles. Mais ils souffrent, dans la moitié des cas, d’une mise en place inachevée de leurs organes de gestion, d’un statut juridique ambigu et d’une surcharge chronique due à un faible taux de rotation et à une capacité d’accueil couvrant à peine la moitié de la demande sociale, de surcroît révisée à la baisse, depuis 2020, en réponse à la pandémie de Covid-19.

Pour 4 cas sur 5, les DAT disposent de ressources budgétaires aléatoirement fixées et si insuffisantes qu’elles doivent être améliorées de plus de 60%. Pour près de la moitié d’entre eux, le budget par élève est en dessous du seuil de la pauvreté absolue, ce qui appelle à une revue du statut juridique et institutionnel des associations en charge des DAT, en vue de leur garantir un financement pérenne et suffisant.
La promotion juridique et institutionnelle des DAT est d’autant incontournable que la dispersion de l’habitat en milieu rural n’autorise pas, dans les conditions actuelles, la généralisation de la proximité des collèges et des lycées. Les DAT-a accueillent, en fait, les élèves originaires de douars souvent enclavés, dès l’accès au collège ou au lycée et rarement à partir de la scolarisation à l’enseignement primaire.

La survie scolaire de ces élèves est tributaire, dans 4 cas sur 5, de l’hébergement à DAT-a, et ne peut être assurée par le transport scolaire que pour près d’un élève hébergé sur 5. Même en cas de disposition du transport scolaire, près des 8/10 des élèves préfèrent l’hébergement à DAT, à proximité des établissements scolaires. Autrement dit, dans l’état actuel de l’enclavement rural, l’hébergement à DAT-a et le transport scolaire ne sont pas partout « interchangeables ».
La sélection partiellement sociale des DAT-a qui découle du profil des élèves hébergés est nuancée par la tendance de ces établissements à devenir socialement sélectifs sous l’effet d’une forte demande sociale et de faibles ressources financières.
En fait, les DA-a ne satisfont que moins de la moitié des demandes d’hébergement, totalisant un taux d’exclusion des élèves méritants de 55,3%. Autrement dit, pour chaque élève accepté aux DAT-a, un autre, au moins, en est exclu.

Face à une demande sociale aussi excédentaire, seul 1 DAT-a sur 7 dispense gratuitement ses prestations à l’ensemble des élèves hébergés, le reste est partiellement ou totalement payant.
Par ailleurs, en dépit d’une capacité d’accueil limitée, ces établissements pratiquent un ciblage uniforme (forfaitaire) dans 4 cas sur 10. Dans ces conditions, les DAT continuent certes à lutter contre le décrochage scolaire en milieu rural enclavé, mais souvent au profit des élèves qui en ont les moyens. Ces mêmes données montrent que la ruée des DAT-a vers le statut d’établissement à but lucratif risque de se généraliser dans les années à venir.
La description du processus d’accès à ces établissements indique, à son tour, que ce risque de dérive lucrative est bien réel. D’une part, le 1/5 des élèves hébergés considère que les formalités d’accès à ces établissements sont lourdes et compliquées. D’autre part, là où la tarification des prestations des DAT-a est chère, le décrochage scolaire est plus fréquent. Enfin, les 4/5 des élèves hébergés s’acquittent d’une cotisation aux charges d’hébergement, estimée à une moyenne de 939 DH par élève et par an.

Bien que contraignante pour les classes sociales modestes, cette cotisation représente moins du 1/5 du coût réel des prestations dispensées aux DAT-a, estimé à 5.040 DH par élève et par an. C’est dire que les DAT-a ne dispensent pas les élèves des charges d’hébergement, mais ils les allègent considérablement, de plus de 4.000 DH par élève et par an. Cet appui à la scolarisation devrait bénéficier, en premier lieu, aux parents d’élève qui ont suffisamment de ressources pour tirer profit des DAT-a.
Notons à cet égard que le coût réel des prestations dispensées aux DAT-a se situe, en moyenne annuelle, entre le seuil de pauvreté absolue et le seuil de vulnérabilité économique. Fortement dispersé, ce budget s’établit, par ailleurs, à des niveaux très différents pour des DAT-a hébergeant le même nombre d’élèves. Sa modestie explique, en partie, la carence des prestations observée dans la majorité des DAT-a.

En fait, de fortes proportions de DAT-a ne dispensent que les prestations de première nécessité, marginalisant celles qui développent la cognition de l’élève. D’autres DAT-a réduisent les prestations critiques, les repas en particulier, affectant la nutrition des élèves hébergés. Un cadre de diversification, de standardisation et de renforcement de ces prestations est établi par l’évaluation des DAT-a menée par l’ONDH. Sachant que la dégradation des prestations fragilise davantage l’attractivité et la durabilité des DAT-a, et que, déjà, le 1/3 des élèves hébergés n’est pas fier de participer à ces établissements.
En fait, les DAT-a sont assez efficaces et pertinents, mais ils peinent, dans la majorité des cas, à développer leur durabilité et leur attractivité, restant exposés à une vulnérabilité chronique et menaçante et à un déclin tendanciel au cours des 5 dernières années.

La pertinence des DAT-a découle d’une réduction des trajets scolaires de 98% et, corrélativement, d’une «sécurisation» des chemins des établissements scolaires. Leur efficacité provient, de son côté, d’une double amélioration, de l’assiduité des élèves hébergés et de leur rendement scolaire.
La faiblesse de la durabilité des DAT-a et la modestie de leur attractivité sont dues, respectivement, à leur dépendance financière et à une faible satisfaction des besoins des élèves hébergés.
En fait, seuls 39,1% des DAT-a considèrent que les conditions d’hébergement répondent aux besoins des élèves hébergés.
C’est dire que les DAT-a sont satisfaisants quant aux critères liés au rendement scolaire des élèves hébergés et manifestement insatisfaisants relativement aux critères liés aux ressources budgétaires.
En dépit d’un constat aussi mitigé, l’évaluation de l’effet et de l’impact des DAT-a montre que ces établissements s’identifient, à l’échelle des élèves hébergés et de leur environnement familial et social, à de réelles opportunités de succès scolaire et à de vrais moteurs de changements socioculturels.

Les DAT-a améliorent le rendement scolaire avec peu de ressources
L’hébergement aux DAT-a réduit, en fait, l’incidence de l’abandon scolaire de plus de 4 fois et celle du redoublement scolaire de 1,5 fois, améliore l’attachement des élèves et de leurs parents à l’éducation et fait reculer le mariage précoce. Ces effets ne concernent que les élèves hébergés aux DAT-a et non pas l’ensemble des élèves éligibles. En réduisant le redoublement et l’abandon scolaires, ces établissements contribuent indirectement à l’allègement du coût de la scolarisation à l’échelle nationale.

La valorisation des effets et impacts des DA-a suscite, par ailleurs, un sentiment de satisfaction inachevé, dès lors que le 1/3 des élèves hébergés n’a pas les moyens de poursuivre son parcours scolaire au-delà des niveaux scolaires pris en charge par les DAT-a. Ce qui pose la question de la sécurisation du devenir scolaire des élèves hébergés issus de parents pauvres.
Enfin, comme le stipule le bilan global de l’évaluation précitée, les DAT-a améliorent le rendement scolaire avec peu de ressources. Présenté sous forme d’une analyse SWOT détaillée, pareil bilan montre que ces établissements ont certes des forces et des opportunités à valoriser, mais ils restent confrontés à de réelles faiblesses et menaces.

Objectivement incontournable, leur réforme est plus ou moins sollicitée par l’ensemble des DAT. Selon les associations en charge des DAT, cette réforme devra s’appuyer sur des fondements spécifiques de rénovation de l’approche DAT, et aussi sur des leviers appropriés de développement de son apport à la lutte contre les déperditions scolaires. Les premiers fondements de la rénovation de l’approche DAT tiennent à la disposition de ces établissements à l’échelle des communes éligibles et à la gratuité de leurs prestations. Les premiers leviers de développement de ces établissements concernent, de leur côté, l’amélioration et la stabilisation de leurs ressources financières, et l’élaboration d’un cadre réglementaire, juridique et institutionnel propre aux DAT. Pareille réforme paraît incontournable au regard de plus des 3/10 des opinions recueillies à ce sujet. Ces opinions considèrent qu’«il y a quelques bons aspects à l’approche DAT mais des changements fondamentaux sont nécessaires».

(*) Secrétaire général de l’Observatoire national
du développement humain (ONDH)

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