Enveloppé dans son inévitable djellaba, le visage bouffé par une barbe touffue et les yeux à peine visibles derrière ses binocles, Mohamed Bariz est presque méconnaissable. Lors de l’ouverture du 1er Festival « Théâtre et culture » jeudi 19 janvier 2006 au Complexe culturel Moulay Rachid, son look ne devait pourtant pas laisser indifférent. Pour nombre des festivaliers, il était le survivant d’une culture orale révolue. Or, c’était ne pas connaître le calibre de cet homme « étrange».
Mohamed Bariz est aujourd’hui l’un des conteurs arabes les plus sollicités à l’étranger. Il en parle avec une modestie mêlée de fierté. « En 1997, j’ai été contacté à Marrakech par l’Amicale Al Jazouli dans le but d’interpréter un texte de Jorge Borges intitulé «Averroès entre tragédie et comédie», traduit par Ibrahim Al Khatib.
Après des répétitions à Dar Attaqafa de Marrakech, j’ai donné de ce texte une première représentation en présence de grands écrivains marocains tels que Edmond Amrane El Maleh et Abdelfettah Kilito. Après, j’ai été invité à interpréter le même texte à l’Université Siam III de Toulouse », raconte-t-il, victorieux. Après ce coup d’éclat au sein de la cité rose (Toulouse), il est rentré s’endormir sur ses lauriers. Mais non, «ce fut le début d’une grande consécration à l’étranger».
En 1999, détour par la ville de Bordeaux pour un spectacle de «Halqa» dans le cadre de son Salon de l’édition et du livre. Là-bas, Bordelaises et Bordelais ont pu apprécier plusieurs textes théâtralisés par M. Bariz, entre autres «Lettre d’outre-tombe d’Ibn Naquia» et « Hommes et chiens» d’Abdelfettah Kilito. Passé ce moment, retour dans la ville natale où plusieurs occupations l’attendaient. M. Bariz travaillera sur «Cent ans en un jour » d’Edomond Amrane El Maleh, puis, sur la demande de «Diwan Al Adab», sur un texte d’Ibn Al Khatib «Miâyar al adab fi dikr al- maâhid wa dyar», sans oublier Al Moâtamid Ibn Abbad, sur une commande d’une radio portugaise. Et ce n’est pas tout… En 2001, M. Bariz remettra le cap sur Paris pour participer, aux côtés de quatre conteurs représentant les quatre coins du monde, à un festival international du conte. En 2001, rebelotte. Mais cette fois pour participer à une rencontre initiée par l’Institut du monde arabe à Paris. Décidément, M. Bariz a la cote auprès des institutions académiques les plus prestigieuses au monde. Cette popularité est-elle le fruit du hasard ?
Pas du tout. Derrière cette percée remarquée, il y a eu beaucoup de sacrifices et… de sueur. Né le 24 décembre 1959, dans le quartier «Arfat al Houta», à Marrakech, le petit Bariz a dû faire face à l’opposition farouche de ses parents. La passion de Bariz pour le conte s’est déclarée à l’âge de 6 ans, puis augmentera encore plus à la période scolaire. «J’ai troqué ma scolarité pour le conte.
Je séchais les cours pour aller jouir des spectacles de conte sur la place de Jamaâ El-Fna, ce qui m’a causé beaucoup de problèmes avec mes parents et les voisins du quartier. Pour nombre des gens, l’art de l’Halqa était synonyme de mendicité». Quoi que l’on en disait, rien ne devait arrêter l’enfant déterminé à poursuivre son aventure. Gêné par l’opposition de ses parents, il fuit la maison paternelle à l’âge de 11 ans.
Il quitte Marrakech pour aller raconter des contes à Béni-Mellal, Fquih Ben Saleh… Là-bas, il passe plus de dix-huit mois, loin du foyer familial et n’ayant d’autre source de vie que ce qu’il pouvait ramener de ses prestations au profit des amateurs des contes. Au bout de ce ces dix-huit mois, le «déserteur» rejoint ses parents. Las, son père, fabricant de sacs en carton de son état, accède à la demande de son fils. Seule condition pour rester avec les parents : aider la famille. «Chaque soir, à mon retour du travail, je devais verser à mon père 2,5 dirhams », confesse M. Bariz. Tant mieux si cela devait laisser quartier libre à ce fou passionné du conte. M. Bariz ne le regrette pas aujourd’hui. « Avec ce métier, j’arrive à nourrir cinq bouches. Et puis, je suis très à l’aise dans mon personnage de conteur », nous dit-il, l’air content.