Société

France : Les démons de l’islamisme (23)

© D.R

Sarkozy reçoit le chef de la Ligue islamique
Ministère de l’Intérieur, 8 octobre 2002

La place Beauvau communique : «Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, a reçu le mardi 8 octobre, à 10h30, le docteur Abdallah al-Turki, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, à la demande de ce dernier.» Avec sa grande barbe blanche et sa posture quelque peu voûtée, ce visiteur du matin qui a l’allure des pontes de l’Islam rigoriste incarne justement les ambiguïtés saoudiennes. L’apparence n’est pas toujours trompeuse. Né en mai 1940 à Kharma en Arabie saoudite, ce routier a réussi une belle carrière au pays de la dynastie Saoud. Ministre des Affaires islamiques de 1993 à 2000, chargé à ce titre de la formation des religieux en Arabie et de la propagation de l’Islam à l’étranger, Abdallah al-Turki a pris la tête de la ligue islamique mondiale en novembre 2000.
Le 4 novembre, un télégramme diplomatique rapporte les grandes lignes de son programme : « instauration systématique et application stricte de la charia », « relance, en l’accentuant, du prosélytisme transnational, y compris en Occident », « engagement matériel, financier, logistique, éducatif, médiatique » en Palestine, Bosnie, Kosovo, Tchétchénie, Philippines, Afghanistan(1). On en passe. Dans une note « confidentiel défense », la DST assure que « ce dignitaire religieux s’est fixé pour objectif de donner une meilleure image du royaume après les attentats du 11 sepembre 2001(2) ». Le service de renseignement ajoute que, «représentant de l’orthodoxie wahhabite professée à la Mecque, al-Turki ne semble pas lié aux courants salafistes plus radicaux qui habitent l’islam saoudien, comme celui incarné par l’école de Médine». La DST est tout de même d’avis qu’il vaut mieux se méfier : « Il ne semble pas indispensable que ce dignitaire religieux soit reçu au niveau du ministre de l’Interieur.» Sarkozy n’a cure de l’aimable conseil. C’est Pierre Bédier, alors secrétaire d’Etat aux Programmes immobiliers de la justice, qui lui a fait passer la demande d’entrevue.
Pourquoi Bédier ? Parce qu’il est l’ancien maire de Mantes-la-Jolie, dont la mosquée a été financée par la Ligue islamique. L’administrateur de la mosquée, Ali Berka, a lui-même servi d’intercesseur. A noter que Bédier n’a pas jugé bon de recevoir al-Turki. Ni d’ailleurs Dominique de Villepin, sollicité en parallèle. La DSt se montre presque catégorique sur le sujet. Elle émet le voeu qu’il soit rappelé « à l’intéressé la fermeté des autorités françaises à l’égard de la propagation d’un discours religieux radical, incompatible avec les valeurs de la République ».
Le communiqué du ministère après l’entretien en reprendra en partie les termes mot pour mot : « Les soutiens financiers (…) pour aider la pratique du culte musulman sont possibles s’ils ne conduisent pas la Ligue islamique mondiale à prendre la direction des organismes ainsi subventionnés et sous réserve bien entendu qu’ils n’alimentent pas des organisations aux objectifs incompatibles avec les valeurs de la République. » De l’avis d’un participant, le rendez-vous entre Abdallah al-Turki et Nicolas Sarkozy se déroule dans une franche cordialité. Le ministre sait y faire. al-Turki est pourtant tout sauf un imbécile : ayant obtenu en 1972, à l’université d’al-Azhar au Caire, un doctorat d’Etat avec mention « excellent » , il est aussi ancien lauréat de l’Académie de la charia à Riyad. Après coup, le chef du bureau des cultes, Vianney Sevaistre, est visiblement séduit : « J’ai été très agréablement surpris que al-Turki émette des conditions de transparence pour aider des projets en France. » Candeur ? Cynisme? Le propos laisse en tout cas rêveur. Le secrétaire général de la Ligue aurait ajouté : « Je ne veux en aucun cas que l’argent donné induise une doctrine saoudiene.» Avocat de la Ligue en France, Salah Djemaï est sur la même ligne : « L’organisation agit dans la transparence la plus totale. L’Islam est une religion une et indivisible. Les octrois de subventions, étudiés sur dossiers, ne sont pas conditionnés à la propagation de tel ou tel courant de pensée ». quelle raison a-t-on de croire en la bonne foi al-Turki ? Au-delà de la maladresse, la réponse de Sevaistre est d’une naïveté curieuse : « Je n’ai pas de raison de mettre en doute la parole des gens; après avoir écrit Mein Kampf, Hitler a fait ce qu’il a dit ».
Responsable des cultes au ministère de l’Intérieur, Vianney Sevaistre se targue de ne jamais regarder les rapports de police, afin de ne pas entretenir de liens ambigus avec ses interlocuteurs. S’il avait fouillé dans les archives étatique, les conseiller de Sarkozy aurait peut-être trouvé de quoi atténuer sa confiance. Une note de la DST de juillet 2002 rappelle les propos tenus par al-Turki lors d’un colloque organisé par l’UOIF sur « l’Islam et les droits de l’Homme». C’était à Paris, en mai 1998. Al-Turki était alors le ministre saoudien des Affaires islamiques-biens religieux, propagande religieuse et interprétation. La DST l’avait à l’oeil. Selon le service de contre-espionnage, al-Turki a « ouvertement critiqué l’attitude des pouvoirs publics à l’égard de l’Islam» et « accusé le gouvernement français de bafouer les libertés individuelle en légiférant contre le port du voile dans les écoles(3) ».
De son côté, l’ambassadeur de France en Arabie saoudite, Hubert Forquenot de la Fortelle, avait transmis le 26 avril 1998 au Quai d’Orsay un télégramme sur al-Turki, évoquant « le peu d’estime dans lequel il tient les pays occidentaux », formule toute diplomatique qui suggère une franche hostilité.
La chancellerie politique de Riyad annonçait même l’intention avouée de al-Turki d’insister sur « l’action des centres, des bureaux, des postes d’attachés islamiques dépendant du royaume d’Arabie saoudite à l’étranger, dans le domaine de la propagation de la foi islamique ». La foi entendue au sens saoudien, cela va de soi . Le seul sens qui vaille dans l’esprit local. al-Turki l’affirme : «Tout ce que désire le royaume, c’est montrer le vrai visage de Dieu, répandre sa religion.» Il n’a de cesse de dénoncer l ‘« irresponsabilité » des sociétés occidentales, coupables à ses yeux, entre autres crimes, de violations de dignité de la femme et de l’enfant. Le voyage de al-Turki en France au printemps 1998 a laissé des souvenirs mémorables. Il faut dire que les responsables de l’« Islam de France » ont défilé à son chevet, dans sa chambre de l’hôtel Hilton, qui, ironie de la géographie, se situe à quelques centaines de mètres du siège de la DST, rue Nélaton. Un rapport rédigé par un spécialiste de l’Islam au ministère de l’Intérieur établit que le haut dignitaire « n’a pas caché à ses interlocuteurs musulmans sa volonté de jouer un rôle actif dans l’organisation des musulmans de France ».
Le 4 mai, le secrétaire général de la Ligue recevait des responsables de la Mosquée de Paris, en présence de ceux de l’UOIF : « L’entrevue a tourné à l’affrontement entre Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, et Lhaj Thami Breze, président de l’UOIF, le second accusant le premier d’être « aux ordres des pouvoirs publics français ». Le président de la FNMF, Mohamed Bechari, avait décliné l’invitation. Bien lui en a pris. Le rapport du ministère ne doute guère du prosélytisme du voyageur :
« Cette visite en France n’a pas été du goût de tous les musulmans. Parmi ces derniers, ceux qui étaient habitués à se voir attribuer une manne sans trop de demande d’explications sentent bien que les temps ont changé.Les possibilités d’allégeance « souple » ne sont plus de mise. » L’auteur de ces lignes, Bernard Godard, était à l’époque conseiller au cabinet de Jean-Pierre Chevènement. Ancien des Renseignements généraux, il a ensuite trouvé place au bureau des cultes, sous la direction de Vianney Sevaistre. Celui-ci avait aussi tout loisir de relire une note rédigée en juin 1997 par son vieux compère René Roudaut, conseiller pour les Affaires religieuses au Quai d’Orsay, qui affirmait que « le docteur al-Turki, actuel ministre des Affaires religieuses d’Arabie saoudite, ne s’est pas privé, lors de fréquents séjours officieux sur notre territoire, d’intervenir dans les querelles inter- musulmanes ».

1. Télégramme diplomatique de l’ambassade de France à Riyad, n° 1032, 4 novembre 2000.
2. « Abdallah ben Abdel Mohsen ben Abdurrahmane al-Turki»,DST, 2002.
3. « Projet de déplacement en France du docteur al-Turki, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, à partir du 22 septembre 2002», DST, 26 juillet 2002 .

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