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Souvenirs de “Al-Tahrir” (3)

© D.R

Echapper à l’enfer de la torture: cette espèce de proximité avec les agents chargés de notre surveillance finit par instaurer entre eux et nous une sorte de sympathie muette. Nous nous connaissions par les noms et, malgré le système de roulement qui réglait leurs factions, le contact quotidien rendait inutile toute tentative de faire semblant de s’ignorer: nous échangions donc salutations, sourires et hochements de tête. Je gagnai, pour ma part, leur respect et leur sympathie en évitant tout comportement provocateur à leur égard, et en montrant que je concevais bien qu’ils ne faisaient qu’obéir aux ordres, attitude qu’ils semblaient particulièrement apprécier. En effet, quand vous vous habituez à voir une personne matin et soir, il vous devient difficile de ne pas la considérer comme un ami. C’est précisément cette sympathie muette qui allait me permettre d’échapper, à plus d’une reprise, aux supplices que nombre de mes camarades devaient endurer dans les différents centres de détention –secrets ou non – du Royaume. En voici quelques exemples :
-Sauvetage au centre « Moulay Chérif » En juillet 1963, l’UNFP fut victime d’un grand complot que nous aurons l’occasion d’évoquer plus en détails plus tard. Nous étions mis régulièrement au courant des machinations qui nous visaient. Souvent, nous en savions même les détails. C’est ainsi qu’il fut décidé que Mahdi devait quitter le pays avant de se faire arrêter, afin de pouvoir agir de l’extérieur quand le complot qui se préparait contre l’UNFP viendrait à être amorcé. Il faut dire aussi qu’il était sérieusement visé, au point que, moins d’un an auparavant, on en était arrivé à essayer de l’assassiner par le biais d’un accident de voiture provoqué, comme nous l’expliciterons. Mahdi ne se laissera pas difficilement convaincre. A la fin, il quittera le pays le 15 juin 1963. On ne le reverra jamais plus…
J’avais à l’époque réintégré l’enseignement, laissant ma place à Me. Mohamed ben Allal Seddiqi. Bien évidemment, cela ne m’empêchait pas de me rendre quotidiennement au journal –dès que mes nouvelles responsabilités m’en laissaient le temps, et également durant les vacances scolaires –pour aider à la rédaction des commentaires et donner mon avis sur telle ou telle question.
Le 10 juillet 1963, j’étais en compagnie de Abderrahmane Youssoufi dans le bureau du secrétaire de rédaction, à échanger nouvelles et commentaires, tandis que le frère Seddiqi était occupé avec les ouvriers à mettre au point le numéro à paraître.
Youssoufi me demanda si je pensais qu’on allait nous arrêter le 16, jour où le Comité central du Parti devait tenir séance. Je répondis que c’était à mon avis très probable. Le 15 juillet, et à la lumière d’informations qui nous étaient parvenues concernant le complot mijoté contre l’UNFP, nous avions acquis la certitude que l’arrestation devenait imminente. Aussi, essayai-je de convaincre Seddiqi de ne pas se rendre le lendemain au siège du Parti. Je le priai de rester au journal, lui promettant de me charger moi-même du rapport de presse. Rien n’y fit ; il s’obstina à s’y rendre. Je ne pouvais évidemment pas lui dire que nous risquions tous d’être arrêtés, que son arrestation –si elle advenait – allait laisser un vide à la tête du journal. Peut-être savait-il lui-même à quoi s’en tenir…
Toujours est-il qu’il s’obstina à prendre part aux travaux de cette réunion du Comité central, qui devait décider de la participation ou non du Parti aux élections communales imminentes. Feu Mohamed Bahi était, quant à lui, en Algérie, où il assumait depuis un an déjà la fonction de correspondant local de «Al-Tahrir».
Mahdi étant absent, Baçri contraint à la clandestinité, seuls étaient présents feu Abderrahim Bouabid et Abderrahmane Youssoufi, qui présida la réunion. Peu après le début de la séance –qui eut lieu au siège du secrétariat général de l’UNFP, sis à l’avenue Allal ben Abdallah – le gardien de l’immeuble vint nous avertir qu’une grande force de police cernait les lieux. Seddiqi étant parmi nous, le journal se retrouvait du coup privé de responsable.
Comme d’habitude, nous nous concertâmes, Youssoufi et moi. «Essaie de t’échapper, me dit-il. Sinon, le journal risque de se retrouver décapité ! » Je réfléchis un moment. Aucune chance de passer par le bas, l’ascenseur et les escaliers devant être sans aucun doute cernés. Restait la terrasse. Je montai.
Comme la porte d’accès était fermée, je la poussai prudemment. Bien m’en prit, car cinq éléments de la police étaient là en faction : quatre agents occupaient les quatre coins de la terrasse, tandis que le cinquième, leur chef, se tenait derrière la porte. Par chance, ce dernier était un des officiers habituellement affectés à la garde devant le siège du journal, et auquel nous liait, comme nous l’avons vu, une sorte de sympathie muette. Quand je levai le regard sur lui, il me fit un bref clin d’oeil.
Rebroussant chemin, je redescendis donc trouver Youssoufi, et lui expliquai la situation. Nous décidâmes de rester, toute fuite étant désormais impossible. La situation ne nous préoccupait d’ailleurs pas outre mesure, car nous savions que, ce jour-là du moins, le complot ne pouvait aboutir. Pour nous prémunir contre tout abus éventuel de la part des forces de police, Youssoufi avait en effet pris la précaution d’inviter deux journalistes étrangers, qui, tous deux, avaient répondu à son invitation.
Il faut dire que, selon les informations qui nous étaient parvenues, l’un des stratagèmes du complot consistait à déclarer que des armes avaient été découvertes en bas de l’immeuble, ce qui permettrait de conclure que la réunion avait pour but une distribution d’armes. Idée saugrenue, et plan pour le moins inique ; mais c’était tout de même le plan projeté par l’appareil «sécuritaire» chargé d’orchestrer la scène. La réunion se déroula comme si de rien n’était. Les questions à l’ordre du jour furent toutes débattues, y compris bien évidemment celle de la participation aux élections communales. Il fut décidé de boycotter ces dernières et de retirer les candidatures présentées au nom du Parti.
Le Comité central rendit public un communiqué virulent, à la mesure de la violence même de l’époque, auquel nous reviendrons (…). Vers vingt heures trente, la police investit le siège du parti et arrêta tous les présents, y compris les deux journalistes étrangers (ils seront relâchés plus tard), ainsi que quelque militants qui se trouvaient là en simples visiteurs. Nous fûmes 105 à nous retrouver ce soir, vers 21h30, au siège du commissariat central, avenue Roudani. Abderrahim Bouabid fut relâché, Youssoufi transporté à l’infirmerie du commissariat, comme nous l’apprirent nos gardes.
Le reste des détenus furent placés dans une grande salle, habituellement réservée aux briefings. La pièce était vaste, mais nous avions du mal à trouver de la place sur son sol, tant nous étions nombreux. Cependant, et hormis cette promiscuité, il faut dire que notre séjour rappelait plutôt un camping qu’une détention. Une tension couvait, certes, qui ne sera patente que lorsque commenceront les interrogatoires.
A partir du troisième jour –si ma mémoire est bonne – une équipe de police secrète nous rendra visite tous les jours à seize heures, pour appeler des noms, à commencer par les dirigeants. Nous saurons par nos gardiens que nos camarades étaient transférés dans les services de la «police judiciaire», sis à Derb Moulay Chérif, centre patent de détention et de torture. J’avais, pour ma part, élu domicile devant l’embrasure d’une grande fenêtre située près de la porte. Le choix de l’endroit n’était point arbitraire : de là où j’étais, je me trouvais à moins d’une coudée des éléments de CMI qui montaient la garde à notre porte, et pouvais donc entendre ce qui se disait.
La fameuse sympathie muette allait se révéler payante : certains agents faisaient exprès de parler à voix haute à leurs collègues quand il s’agissait d’une information qu’ils voulaient me communiquer. Cette position me permettait par ailleurs de savoir quand l’agent chargé d’accompagner les détenus aux toilettes était un de mes amis, auquel cas je demandais à me rendre dans la salle de bains.
Là, me mettant derrière la porte, j’écoutais les informations que me transmettait mon garde.

• Par Mohammed Abed al-Jabri

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