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Souvenirs de Al-Tahrir (47)

© D.R

Abstraction faite des mains –nationales ou étrangères- qui tiraient les ficelles, l’examen de l’inconscient politique sous-jacent conduit en effet à relever un autre aspect des luttes que connut la pays durant les premières années de l’indépendance. Jusqu’aux années 40, la lutte des classes sociales au Maroc était menée au nom de catégories relevant de l’espace tribal et ethnique restreint. L’élite commerciale, culturelle et politique, et donc la classe aisée, était issue des villes pouvant se targuer d’un actif dans les domaines du commerce et du service de l’Etat, telle notamment Fès. Quand, suite à l’occupation de la France par les forces nazies, de grands capitaux français furent transférés au Maroc, Casablanca émergea comme principal pôle d’attraction pour les investisseurs. Façade resplendissante des bienfaits de cet afflux, Derb Omar allait devenir un florissant centre de commerce du gros, où s’aligneront fièrement les riches dépôts, tenus par des familles fassies rompues à l’art du négoce. Comme ces riches marchands étaient pour la plupart membres –ou pour le moins sympathisants et pourvoyeurs de fonds- de l’Istiqlal, une sorte d’élite financière se constitua, jouissant d’influence auprès des centres de décision au sein de la direction du parti, et, de là, dans certains secteurs de l’Etat, dont notamment celui des finances. L’auteur de ces lignes se rappelle aujourd’hui encore qu’il avait lui-même pu mesurer combien le feu de la lutte qui scindait le parti s’alimentait, pour une grande part, de cette réalité. C’était à Casablanca, durant les années 1952-1954. Membre de la jeunesse du parti, il apportait son concours en se chargeant de transporter les numéros du bulletin du parti depuis l’imprimerie al-Atals, sise à Derb Omar, vers un centre de redistribution de Derb Sultan, situé non loin du Théâtre royal, rue Aït Afelmane. Cette réalité, que l’on évoquait sans euphémisme aucun dans certaines branches locales (telle la 11è Section, où notre ami avait l’habitude de se rendre), se retrouvait parmi les gens du peuple, et transparaissait dans les rumeurs prêtées à Radio médina. Classer les gens selon qu’ils appartenaient au clan de Derb Omar ou à celui, beaucoup moins flatteur, des paysans, était, pour ainsi dire, une constante de la pensée collective.
Concurrents historiques des Gens de Fès dans le domaine culturel –Mokhtar Soussi le soulignera dans certains de ses ouvrages- et souvent présentés à la tête du clan opposé au leur, les Gens du Souss, relevant le défi commercial et économique, se lanceront pour leur part, avec le dynamisme et la persévérance dont ils ont le secret, dans une concurrence pacifique et constructive. Il faut dire qu’ils figuraient parmi les pionniers du Mouvement national et de la résistance, qu’ils constituaient même le plus gros des bases populaires de l’Istiqlal, bases qui devaient pratiquement toutes intégrer les rangs de l’UNFP à l’issue de l’Intifada du 25 janvier.
Les habitants des montagnes, notamment ceux de l’Atlas, eurent quant à eux à souffrir plus que d’autres des sièges militaires imposés par l’occupant français. La lutte armée s’étant maintenue dans ces zones jusque vers le milieu des années 30, les autorités de l’occupation avaient fini par leur imposer en représailles un embargo qui les mit pratiquement à l’écart de tout ce qui advenait dans les villes. Cela n’exclut évidemment pas qu’il y eût parmi eux des membres du Mouvement national, et plus précisément du Parti de l’Istiqlal, dont beaucoup se chargèrent, sous l’égide du parti, de propager la pensée patriotique dans leurs régions respectives. Mais il est également vrai que, dans l’Atlas et le Rif, l’Istiqlal était, du temps du protectorat, nettement moins influent qu’il ne l’était dans les plaines, et même dans le sud du pays. Quand, le Maroc redevenu indépendant, les montagnards descendront enfin de leurs contrées isolées, ils se heurteront dans les villes à une élite locale lettrée, bien évidemment citadine, rappelant ces agents d’autorité qui, nommés par le nouvel Etat au lendemain de l’indépendance, les avaient surpris dans leurs montagnes. Le ressentiment qui devait fatalement en résulter se manifestera sous la forme d’une poussée de chauvinisme et de xénophobie, qui prendra pour cible un certain Parti de l’Istiqlal, dont se réclamait cette élite qui monopolisait « injustement » des secteurs vitaux tels le commerce, la politique et même la culture. C’est ce même élan que Lahcen Youssi essayera de mettre à profit en clamant –lors des meetings de l’Atlas que nous évoquions plus haut- que les citadins accaparaient le pays, quand c’est aux paysans que celui-ci revenait.
Le rappel de ces données habituellement passées sous silence est, nous paraît-il, nécessaire pour comprendre l’évolution intervenue à la nomination d’Abdallah Ibrahim -enfant du sud, non de Fès ni de Rabat- à la tête du gouvernement. En voyant les dirigeants traditionnels au sein de l’Istiqlal se mobiliser pour se liguer contre le gouvernement Ibrahim, On se rendit compte qu’un changement était advenu. L’équation selon laquelle l’ennemi de mon ennemi et mon ami, devint le principe directeur des positions adoptées par les forces opposées à l’Istiqlal. Le champ de cette rencontre implicite entre les adversaires patents et les opposants à la direction traditionnelle à l’intérieur même du parti, se trouvera davantage élargi après l’Intifada du 25 janvier, lorsque les masses populaires qui feront cession d’avec le parti, s’avèreront être dirigées par des hommes issus de régions autres que Fès et Rabat : Fqih Baçri (Atlas), Abderrahmane Youssoufi (Nord), Mahjoub Benseddiq (ONCF de Meknès), Fqih Hamdaoui et Dr. Benlmokhtar (zones rurales), HAj Omar Sahili et Habib Forqani (Sud), Bouchaïb Doukkali (Doukkala), Fqih Figuigui, Larbi Bourass et Ahmed Belarbi (Est), sans parler des nombreux autres militants de Nador, Houceïma, Chaouia et Safi, ni des autres personnalités de l’ancienne et de la nouvelle génération – dont des humbles de Fès même, Meknès, Rabat et Salé. Cette scission allait engendrer un changement radical au sein de la scène politiqque nationale. Quelques lois seulement venaient de s’écouler, que les préparatifs de la fondation de l’Union nationale des forces populaires étaient déjà en cours. Ce nom était en lui-mêm édifiant quant au changement qui venait d’avoir lieu. L’UNFP allait en effet réunir la totalité des cadres et des masses populaires ayant pris part à l’Intifada du 25 janvier, auxquels s’ajoutaient des factions issues de partis adverses -tels le PDI, le MP, ou encore les Libres Indépendants- tandis que l’Istiqlal voyait ses rangs s’amincir pour ne plus compter que deux ailes, d’ailleurs historiquement opposées : les Gens de Derb Omar, et les patriotes savants (ainsi dits parce qu’ils s’étaient adonnés au patriotisme et au salafisme au sein des Qaraouiyine ou par le truchement de cette école). A ceux-là s’ajoutait l’appareil des inspecteurs, dont certains figuraient parmi les grands militants de l’Istiqlal du temps du protectorat, et dont d’autres deviendront, à l’avènement de l’indépendance, d’éminents fonctionnaires du même parti.

• Par Mohammed Abed al-Jabri

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