Economie

Un artisanat aux abonnées absents

ALM : La précarité du secteur de l’artisanat est-elle due à des facteurs structurels (endogènes) liés à l’absence du patronat et des syndicats, et à l’attitude de l’Etat à son égard ? Est-ce que vous pouvez expliquer ce phénomène ?
Saïd Chikhaoui : Il faut s’entendre d’abord sur le sens et la valeur des mots, vous utilisez pour la formulation de votre question des termes, qui, me semble-t-il renvoient à une image nettement décalée par rapport à la réalité. Vous parlez de « secteur », de « patronat » et de « syndicat »…, alors que dans l’artisanat, la grande masse de la production s’effectue dans l’informel, dans des unités de production individuelles ou familiales, dans des coopératives qui n’ont de coopératives que le nom ou dans des ateliers de production qui fonctionnent souvent sans rationalité, la quasi-totalité des employés n’étant pas syndiquée…
Les artisans ne sont pas recensés, la définition de l’artisanat fait défaut, etc….Comment dans ce cas serait-il possible de préciser les problèmes d’un « secteur » aux contours mal connus, comment identifier les causes et proposer des solutions?. Pour parler de l’artisanat, il faut choisir et préciser une entrée, par un produit, un marché, ou un type d’artisanat quelconque…Car l’absence d’une approche méthodologique rigoureuse du secteur a obstrué toute visibilité.
Comment expliquez-vous qu’en dépit des avantages et des subventions dont bénéficie ce secteur, il n’arrive toujours pas à s’imposer sur le plan international ?
En effet, l’investissement public dans l’artisanat est relativement important, mais il est effectué à fond perdu en l’absence justement d’une vision et d’une stratégie claire. Mis à part la tentative de reforme structurelle engagée par le plan de reconversion des années soixante, les actions menées par les autorités publiques s’inscrivent dans le conjoncturel. Ni la politique des ensembles artisanaux, ni celle de la formation professionnelle et moins encore celle des coopératives n’ont permis de réaliser des percées significatives. Les quelques indicateurs positifs des exportations sont souvent dus à la faveur de conjonctures internationales plutôt qu’à une quelconque prise d’initiative ou une politique offensive. Les exportateurs marocains ne sont plutôt pas en contact direct avec le marché.
Qu’est ce qui explique, en profondeur, la frilosité de ce secteur par rapport à toute initiative de modernisation ?
La modernisation du secteur n’est pas une simple affaire d’ingrédients de l’ingénierie et de la mécanique associée à quelques méthodes de management, c’est un état d’esprit, une manière d’être et une posture, qui dépend des transformations sociales et du niveau de maturité de toute une société. L’explication en profondeur convoque l’histoire, car la déstructuration de l’économie et de la société marocaine est un fait colonial qui a abouti à transformer des artisans libres, responsables et francs en assujettis et d’éternels mineurs. L’inscription de l’action publique dans la conjoncture joué la carte de la continuité et de l’immobilisme quant elle n’a pas accentué cet esprit et perverti l’économie du secteur. C’est l’assujettissement qui se nourrit au quotidien et se développe au détriment du partage et de la participation. La recherche constante de l’externalisation des coûts, et la revendication continuelle de la publicisation des charges et en lui-même un avatar au développement de l’initiative privée et à la modernisation de l’entreprise dans l’artisanat.
Nous assistons ces derniers temps à une polémique entre les différents partenaires du secteur de l’artisanat, autour de la couverture sociale, comment se pose concrètement ce problème, et quelles sont les limites des positions de l’Etat à cet effet ?
Il ne faut pas s’arrêter à la promulgation d’un texte ou à la majoration d’un chiffre qui demeure sans doute un moment important, mais il faut aller au-delà et prendre en considération le cadre de la globalisation et de la mondialisation, qui cantonnera de plus en plus l’Etat dans le rôle de régulation et de médiation. C’est le marché qui déterminera la nature des transactions et des échanges. Les contraintes du marché exigeront des entreprises marocaines, le respect du standard minimum technique et social international. La compétition est ouverte et la concurrence se base sur la création, l’innovation et le génie des opérateurs, elle s’établira sans doute sur les critères « du mieux disant économique» et du « mieux disant social ». Si dans le cas du Maroc, l’exonération sociale n’a pas permis jusque-là l’accumulation du capital, elle ne peut garantir dans l’avenir la durabilité de l’entreprise. Le progrès ne peut en tout cas être assuré en tirant vers le bas.

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