Chroniques

Autrement : Notre attachement à un Orient mythique

© D.R

Un petit ouvrage tout entier consacré à la figure du Prophète Sidna Mohammed et qui demeure assez étonnant, venant d’un auteur qui, durant plusieurs années, a été considéré comme «l’enfant terrible de la littérature marocaine francophone». Driss Chraïbi, en effet, reste d’abord l’auteur du «Passé simple», roman publié en 1954 et qui dénonçait les pesanteurs de la société marocaine, à commencer par les pesanteurs liées à notre manière de vivre l’Islam. C’est, ensuite, une quinzaine d’autres livres, dont la plupart stigmatisent le poids de la religion dans nos sociétés maghrébines, diaspora en Europe incluse, et le sort souvent peu enviable fait aux femmes. Avec «L’homme du Livre», Driss Chraïbi a mis par écrit un rêve qui l’habitait: la vie qui était celle du caravanier quadragénaire mecquois Muhammad Ibn Abd Allah Ibn Abd el Moutalib Ibn Hachim dans les heures qui ont précédé sa première expérience mystique dans la caverne du mont Hira. Dans une interview qu’il donna à l’époque au quotidien «Le Monde», l’écrivain expliquait : «J’ai rêvé que cette grotte était un utérus d’où allait sortir un prophète. J’ai rêvé d’être un instant auprès de cet homme en qui allait descendre l’Esprit divin». Les œuvres de fiction qui touchent à la vie du Prophète de l’Islam sont rares, et il est devenu très risqué de s’y aventurer dans un contexte où les ultras de la religion veillent à imposer partout leur conception des choses. Driss Chraïbi, d’ailleurs, avant de publier son livre, a eu la prudence de le faire lire par des ouléma afin de prévenir toute accusation de blasphème. Avec cette oeuvre originale, on se prend à imaginer à son tour ce qu’ont pu être l’existence, les rêves, les désirs, les émotions de Mohammed avant qu’il connaisse le vacillement mystique qui a tout bouleversé. On suit le personnage alors qu’il est plongé dans la frénésie d’un jour de foire. Avec lui on participe en spectateur au concours de poésie qu’a organisé un prince du Yémen dans l’enclos sacré de la Kaâba. On découvre Mohamamed timide, humble, aimant. L’écrivain nous fait entrer comme par effraction dans les souvenirs pudiques du caravanier koreïchite se remémorant ses premières rencontres avec Khadija. On sent la douceur de l’affection du couple, leur tendre complicité naissante. Le caravanier en quête de vérité réfléchit en notre présence à la puissance du verbe poétique, qui donne l’impression de tout pouvoir transformer et qui semble un moyen de lutter contre l’emprise de la mort. Grâce au talent de Driss Chraïbi, nous avons le sentiment de participer à la naissance de l’homme nouveau, le Prophète dont la destinée va changer toute une partie de l’histoire du monde. Driss Chraïbi a eu besoin d’écrire ce livre aux dimensions polyphoniques et au puissant souffle poétique. Il avait un «désert intérieur» et un Orient mythique à nous faire partager. Le lisant avec bonheur, on se dit que, nous les Arabes, nous avons tous en nous ces paysages mythiques et poétiques. Mystérieusement ils nous font vivre.

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