Chroniques

France : les démons de l’islamisme (36)

© D.R

L’enfant de Saint-Étienne devient un «émir»
Rabat, 1er septembre 2003

Sous les néons blafards, au milieu des hommes en djellabas blanches ou survêtements élimés, la silhouette frêle et légèrement voûtée se détache de manière insolite. Un mince duvet blond au menton, les yeux bleus et de misérables tongs aux pieds, Pierre Robert, trente-deux ans, Français converti à l’islam, comparaît en septembre 2003 devant la Chambre criminelle de Rabat. Le jeune homme, originaire de la région de Saint-Étienne, paraît perdu au milieu de ses «frères» marocains. Installé à l apremière place sur le banc des accusés, il est pourtant considéré comme l’ «émir» d’une cellule terroriste, qui aurait préparé des attentats au Maroc, illustrant ainsi la progression de l’islamisme dans la jeunesse française. Il a été arrêté le 3 juin 2003 à Tanger, dans le nord du pays, quelques jours après les attentats de Casablanca, qui ont fait quarante-quatre morts. Lorsqu’il se lève pour parler, les autres accusés l’écoutent avec attention. Comment un adolescent sans histoire est-il devenu un chef de bande islamiste? Au cours de son procès, l’homme est peu bavard. Les mots se perdent dans sa mâchoire serrée. Tête penchée, il livre peu d’informations sur son parcours. L’homme, qui risque la peine de mort, veut surtout sauver sa peau.
Pierre Richard Antoine Robert est né le 30 janvier 1972 au Chambon-Feugerolles dans la banlieue de Saint-Étienne. Aîné de trois frères, il passe une enfance tranquille. Au bout de quelques années, ses parents s’installent dans une vaste maison entourée d’un jardin propret à Saint-Just-Saint-Rambert, dans la Loire. Le père est souffleur dans une verrerie d’art, sa mère s’occupe du foyer. Située en pleine campagne, la demeure respire la tranquillité. Ce n’est pas une banlieue sordide. Pas de recruteurs postés au bas des HLM. Sa scolarité dans un lycée professionnel est sans éclat. Une jeunesse lisse et ordinaire. Àdix-huit ans, Pierre Robert décide malgré tout de se convertir à l’Islam et devient «Yacoub». Une voisine sururre : «Il avait des problèmes de drogue. La religion l’a aidé à s’en sortir.» Emplyé dans une usine de coton, Robert rencontre deux collègues turcs qui le convainquent de se tourner vers Allah. Il accompagne ses «frères» à la mosquée. «Un garçon discret et non violent», se souvient l’un des responsables de la mosquée turque d’Andrézieux, située à quelques kilomètres de chez lui. Motivé et un peu paumé, Robert décide en 1994 de partir pour la Turquie parfaire sa connaissance de l’arabe et du Coran. Son histoire commence à déraper. Selon l’acte d’accusation de la justice marocaine, «Yacoub» rencontre à Istanbul un certain Abdelillah, qui «constate la disposition de Robert à s’engager dans l’action du djihad» et lui propose de se rendre en Algérie et en Afghanistan. Le jeune Stéphanois y apprend la manipulation des armes et explosifs.
Au Pakistan, un Turc lui propose de se marier avec une amie de sa femme, Fatima, installée à Tanger. En 1997, c’est chose faite. Voilà Robert plus musulman que ses frères fondamentalistes. Il impose le port de la burka à sa femme. Un an plus tard, le couple revient en France. Deux enfants, Brahim et Selma, naissent. Robert a changé. Il affiche ses convictions en se promenant vêtu «à l’afghane» dans les rues de Saint-Étienne et se laisse pousser la barbe. Un imam d’une cité l’écarte de sa salle de prière en raison de ses discours radicaux. Robert n’en a cure. Il ouvre un poetit garage et organise un trafic de voitures volées entre la Belgique, l’Espagne et le Maroc. Devant les enquêteurs marocains, il avoue quelques braquages «autorisés par le courant salafiste». Après le 11 septembre 2001, le jeune homme troque les pantalons afghans pour des jeans plus discrets et rase sa barbe. De retour au Maroc, il fréquente les noyaux durs islamistes, se vante de son expérience afghane auprès de son entourage. Selon la police marocaine, il constitue un groupe terroriste, projetant notamment des «actions martyres» en France et au Maroc. Le nouvel «émir» ouvre des «centres de formation» dans les montagnes marocaines et rêve d’un État islamique. Mais son cursus prendra fin dans les geôles marocaines. Malgré ses dénégations, le tribunal de Rabat le condamne à la prison à vie.
L’expression consacrée sur le «zèle» des convertis» n’est pas sans fondement. Un haut responsable de la police marocaine confie: «Pour les radicaux, ils peuvent constituer d’excellents éléments, car ils peuvent s’infiltrer dans les pays occidentaux sans être repérés. De plus, ils ont l’impression de partir avec un handicap et sont souvent plus volontaires que les musulmans d’origine.» Dès 1997, les RG s’inquiètent du phénomène: «Les Français de souche convertis à l’Islam, bien que très difficiles à recenser, sont en constante augmentation (certainement plus de 10.000 à l’heure actuelle) et militent souvent au sein d’associations prônant un islam radical, de nombreux jeunes n’hésitent pas à soutenir par exemple la cause islamiste en Algérie 1.» Les policiers relèvent le rôle pervers de la prison, où les détenus mis en cause dans des affaires islamistes constituent de futurs réseaux : «Malgré les précautions prises par l’administration pour isoler ces nouveaux détenus particulièrement sensibles, ces derniers réussissent à se livrer à des activités de prosélytisme et à convaincre les jeunes délinquants sans repères de devenir de futurs soldats de l’Islam pur et dur, proies rêvées à leur sortie de prison pour les recruteurs de réseaux dormants. Ces nouveaux convertis, souvent des Français de souche, auront ensuite très vite l’envie de prouver leur valeur à leurs initiateurs, quitte à devenir à leur tour des martyrs de l’Islam.»
Né à Marseille, Ruddy T., vingt-six, s’est converti en détention en 1997. Ancien militaire, il avait basculé dans la délinquance. «C’est l’Islam qui m’a permis d’abandonner le milieu du banditisme et de trouver une vie saine», explique-t-il. Sa nouvelle foi ne l’empêche pas d’être condamné en juin 1999 à cinq ans de prison dont un avec sursis, pour «violences aggravées». En janvier 2003, il est mis en examen pour «association de malfaiteurs» après une agression devant une mosquée. Ruddy assure avoir une «certaine proximité de pensée» avec Aït Ali Belkacem, artificier du GIA, condamné pour sa participation aux attentats de 1995 à Paris. Opposé à l’ «idéologie du GIA», Ruddy revendique son appartenance au Groupe salafiste pour la prédication et le combat, une émanation du GIA, «branche du régime taliban». En France, les noms de convertis défraient parfois la chronique judiciaire. Enfant du quartier de Belle-ville à Paris, Hervé Djamel Loiseau est retrouvé mort de froid en Afghanistan après l’offensive américaine de 2001. Membre du «gang de Roubaix», qui a voulu faire sauter une bombe à Lille lors du Sommet du G7 en 1996, Lionel Dumont est arrêté à Munich en décembre 2003. Formé au djihad en Afghanistan, David Courtailler, originaire de Haute-Savoie, comparaît devant la Cour d’assises de Paris en mars 2004 qui le condamnera à quatre ans de prison (dont deux avec sursis).
En 2003, les RG de L’Essonne réalisent une étude détaillée sur les convertis : leur nombre est maintenant estimé «entre 30.000 et 50.000» en France. L’immense majorité est naturellement pacifique. Selon la DCRG, 1.100 convertis seraient radicaux et potentiellement dangereux 2. Une partie de ces conversions est liée à des «considérations pratiques ou de circonstances comme le mariage ou les pressions de l’entourage». Il s’agit aussi d’un «mouvement plus vaste de retour au spirituel». Mais les policiers pointent le danger d’une radicalisation : «La propension des nouveaux convertis à intégrer des groupuscules salafistes comporte à terme de nouveaux risques de dérives vers l’extrémisme.» Les auteurs concluent : «La convertion d’individus fragiles comporte indubitablement un risque de dérive terroriste.» À l’évidence, celle-ci est maintenant devenue une réalité.

1- «La communauté musulmane de France», DCRG, juin 1997.
2- Le Monde, 4 juin 2004.

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