Chroniques

L’autre jour : Minuit 15′

Il est un train, référencé sur les notices de la compagnie des chemins de fer sous le sigle «MT», que certains usagers noctambules, par nécessité, connaissent très bien mais ils n’osent pas trop en parler, comme s’ils fréquentaient un endroit mal famé et qu’ils n’aiment pas particulièrement que ça se sache. Ce train doit, en principe et en principe seulement, prendre le départ de la gare Casa-Voyageurs à minuit quinze. Mais jamais la réalité ne concorde avec la promesse des horaires. N’allez surtout pas penser à un léger retard de temps en temps ou une mésaventure exceptionnelle née d’un concours de circonstances malheureux qui déclenche l’ire de l’auteur de ces lignes. Absolument pas. Quand on a affaire à ce train à un rythme répétitif et qui plus est durant les cadences spéciales au mois vénéré du Ramadan, on a dépassé ce seuil du coup de gueule et du mouvement d’humeur signifiant une protestation ou doléance quelconque; on ne pense même plus à se plaindre ou à marquer son opprobre. Non. On se situe à un niveau d’observation plus «scientifique», comme une forme d’entomologie pointue; on se trouve pris dans des degrés de curiosité qui vous entraînent très profondément dans la quête du secret des choses, on procède à un gros travail d’épure sur soi-même pour se débarrasser de toute réaction triviale de râlerie ou de complainte, pour faire au fond de son être le vide nécessaire à l’accueil des mystères, à l’entrée en intimité avec la face cachée des interrogations denses sur le pourquoi des choses, leur secret irréductible en doléances banales. Le train en question est tellement désiré, attendu, voulu tous les soirs, que lorsqu’on l’entend, vrombir et siffler longuement, le quai est parcouru d’un air de contentement, de ravissement, de plénitude indescriptibles qui provoquent chez les patients, car il s’agit bien d’une patience infinie, le même transport, la même légèreté que l’adepte ressent à la vision du halo, scintillant et fugace, des signes de la félicité et de la bénédiction. Vous montez, difficilement à cause de la forme même du marche-pied dont les marches, justement, sont superposées de telle sorte qu’elles ressemblent plus à des étagères parfaitement parallèles qu’à un escalier accessible, nécessitant de l’aide et souvent l’assistance de ceux qui vous suivent. Mais, dans cette situation, à l’instar des cas de grave sinistre, la solidarité, heureusement, joue à plein. A l’intérieur, vous rejoignez les «anciens» de ce train qui a quitté Marrakech il a y certainement très longtemps. Ils sont assoupis, recroquevillés, emmitouflés, rappelant plus les images de réfugiés que celle de voyageurs goûtant aux délices des transports en commun. Et puis commence l’attente sur le quai, les conciliabules, le déchargement et le chargement des bagages et colis de messagerie…On somnole, on se perd, on s’oublie, on rêvasse…Le train siffle une fois, deux fois, trois fois. On a l’impression que la manette de la trompette s’est coincée. On oublie ce qu’on est en train de faire là. On ferme les yeux. On n’a plus envie de rien.

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