Chroniques

Un vendredi par moi

A l’ombre de l’attentat manqué du 11 mars réapparaît le curieux débat que nous avons déjà vécu au lendemain du 16 mai 2003. Il a pour objet la faillibilité des services de sécurité, leur réorganisation, les limites droits-hommistes de l’action sécuritaire, l’origine sociale des kamikazes ainsi que leurs raisons et leurs motivations. Si ce débat est en soi un signe de liberté, les amalgames qu’il colporte, le doute qu’il instille parfois, la remise en cause qu’il recherche par moments ne sont pas de nature à lui préserver la sérénité dont il a besoin pour être productif.

La prévention contre l’acte terroriste comporte toujours une part d’imprévisible. A la question pourquoi n’avons-nous pas pu éviter l’attentat du 11 mars ?  il est toujours possible de répondre : pour un acte de commis combien de déjoués ? Le Maroc se savait menacé et la vigilance des services n’était pas sur mode veille. Mais le problème est d’une ampleur telle que le risque zéro est impossible. Il faut qu’on s’y habitue en travaillant à réduire ses dégats au minimum. La difficulté majeure est dans la nature même de l’objectif de l’acte terroriste: semer la panique et faire vivre la société dans la peur. De ce fait, il n’a pas de revendication et comme le relève le sociologue Laurent Bonelli*, toute négociation avec lui est impossible. Cette forme de terrorisme prend son temps, sélectionne sa cible à sa guise et reste maître du jour et de l’heure de son crime sans égard pour la condition sociale ou l’appartenance politique de ses victimes. Celles de la « Casa de España » en 2003 étaient tout sauf les dignes représentants d’une quelconque classe oppressante. De l’écoute à l’infiltration, de la filature à l’analyse des données, de l’information à la désinformation, de la coopération entre services nationaux et internationaux à la toujours possible manipulation, le travail de renseignement sur ce terrain est particulièrement compliqué. Non seulement parce que la mouvance terroriste a des racines et des prolongements internationaux, mais aussi parce que la bombe humaine opère en milieu favorable. Pour s’en prémunir au maximum, le seul profilage des groupes à risques ne suffit pas. En plus de la surveillance serrée de ceux qui sont répertoriés, avec le risque constant qu’ils peuvent prendre la tangente a tout moment, il y a tout le travail qui consiste à repérer les potentiels kamikazes perdus dans la nature jusque dans les bars aussi bien que ceux qui dorment dans le lit douillet des groupements légaux en attendant qu’ils se révèlent à eux-mêmes ou s’ils sont déjà actifs, l’ordre de passer à l’acte. Même la barbe qui affiche un islamisme revendiqué peut être dans ce cas une couverture. Cela fait bien du monde à épier. 

Difficile avec ça de ne pas percevoir la complexité du problème et l’immensité de la mission sécuritaire. D’autant plus qu’entre le terrorisme et la répression existe une dialectique vicieuse. André Malraux la résume par cet aphorisme : «le terrorisme provoque la répression, la répression organise le terrorisme.» Se pose ainsi la question délicate des limites des services en charge d’un adversaire hors normes, déterminé et dont la cruauté n’épargne même pas sa propre personne. Laurent Bonelli, qui n’a pourtant aucun penchant pour «la vision policière», ne peut que constater : Partout «on assiste à une reconfiguration de l’équilibre entre les logiques du renseignement (la suspicion) et celles du judiciaire (l’administration de la preuve).» Il précise surtout, ce qui est éloquent, que «le travail de prévention, d’anticipation, de négociation, voire dans certains cas de déstabilisation que [les services] conduisent influe tant sur les stratégies de ces groupes que sur celles des autorités. Les services de renseignements ne se limitent pas toujours à la collecte d’informations. De la disqualification publique de certains groupes au sabotage de leurs actions ou à la destruction de leurs leaders – morale, symbolique et dans certains cas physique – en passant par la démoralisation des militants ou l’exacerbation des tensions internes, les stratégies policières en la matière sont en effet nombreuses.»

* Universitaire, sociologue, L. Bonelli travaille également sur les questions sécuritaires pour le Centre de recherche sur les conflits.

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