Chroniques

Un vendredi par moi

J’ai connu Abdelaziz Meziane Belfquih avec son arrivée à la tête du ministère de l’Agriculture en 1992. Je lui avais alors consacré deux ou trois billets. Assez pimentés pour qu’ils ne perdent pas de leur saveur mais juste ce qu’il faut d’aigre pour qu’ils restent doux. La première fois que j’ai eu à l’évoquer, son cabinet m’appela le jour même pour me dire que le ministre me faisait savoir que j’avais la liberté de me montrer corrosif, mais aucun droit de le rebaptiser. Il se prénomme ainsi Abdelaziz et non pas Mohamed ? Pardon, la rectification viendra avec un autre article. Si Abdelaziz donc, je l’ai connu ministre de l’Agriculture et puis tout au long d’une carrière féconde jusqu’à son décès. Je me suis rendu à ses différents bureaux ; il m’a reçu trois ou quatre fois chez-lui ; il est venu chez moi à une occasion ; j’avais son portable, je pouvais l’appeler quand je voulais – pas trop tard la nuit tout de même. Il répondait ou rappelait. Toujours. Puis-je prétendre que nous étions amis ? Certainement pas. Alors pourquoi à l’annonce de son décès j’ai eu cette triste sensation d’avoir perdu un proche ? Pourtant je le savais finissant, son décès s’est même fait rumeur récurrente. Sî Abdelaziz était entré dans cette phase de latence  qui le menait vers le bout du tunnel et devrait préparer sa famille d’abord, ses amis ensuite, ceux qui l’ont connu enfin, à son départ. L’appréciation appartient au message de condoléances que le Souverain a adressé à la famille du défunt : un être fait de pondération. Juste après l’avènement du gouvernement de l’alternance en 1998, quelques-uns de mes articles aurait pu le pousser à concevoir pour moi de la rancune ou du moins avoir du ressentiment. Il n’en fut rien. A peine me dira-t-il bien plus tard, au détour d’une discussion, qu’il n’avait que modérément apprécié. J’ai encaissé la litote non sans tenter de plaider la bonne foi et on passa à autre chose. Je n’ajouterai rien à ce qui a déjà été dit un peu partout si je revenais sur sa riche carrière. Je parlerai par contre de son bureau au siège de la COSEF avant les dernières transformations. Un petit bâtiment perdu au milieu d’un terrain vague. C’était sa calme retraite qu’il emplissait de son sourire, mélange de douceur paternelle et d’éclats de l’intelligence discrète qui était la sienne. Ce local reflétait sa modestie qui n’était pas feinte parce que son humilité était réelle. L’homme avait de l’ambition, sans doute, et les moyens de son ambition également. Il les a mis au service de son pays. Courtois, attentif et attentionné, il était ainsi ce «chasseur d’hommes» comme on se plaît à le désigner aujourd’hui. Mais chasseur, il l’était, tout court. Une coïncidence peut-être mais un sport de patience et de persévérance pour débusquer puis saisir, d’instinct mais aussi de raison, le moment où il faut tirer le canard. La philosophie qui a sous-tendu l’empreinte prégnante qu’il laisse derrière lui se trouve dans une interview qu’il avait accordée à Narjis Reghay : dans la quête du progrès «il n’y a pas de grand soir. Il n’y a que de petits matins laborieux qu’il faut réussir.»   

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