Chroniques

Un vendrevi par moi

On aurait dit que la vie de Aziz Hasbi s’est arrêtée à la fin de ses études supérieures en France. A peine trois pages et quelques lignes pour nous dire sa carrière. «Elle est représentée par ses cortèges de joie et d’espoir […] mais aussi jalonnée de beaucoup d’obstacles de type nouveau.» Dans le ton du «sempiternel cobaye» qu’il avait été pour lui-même, pointe comme un regret et assurément une forme de tristesse et d’amertume. Si seulement son milieu, démuni et campagnard, lui avait livré les codes à même de lui permettre de décrypter le monde cruel qu’il allait affronter. Pourtant, et en toute logique, Aziz Hasbi n’a pas à se plaindre. Sorti d’une bourgade perdue à trente kilomètres de Safi, il prend depuis «les Carrières centrales» d’un Casablanca de l’après indépendance le bus de l’ascension sociale. L’école. Durement, lentement mais sûrement. Avec un titre de professeur universitaire émérite, auteur de plusieurs ouvrages en droit international et en relations internationales, il y a déjà de quoi satisfaire plus d’un égo. Mais il en voulait plus et il en a eu plus. Secrétaire général du ministère de l’Information dans le sillage de Driss Basri, il a été également pour quelques années ministre des Affaires administratives et, blessure de l’amour propre, éphémère représentant du Maroc aux Nations Unies avant de disparaître du champ des radars politiques pour réintégrer l’université. Avec pudeur, il nous dira à peine et sans en parler, que plus tard il s’est «aperçu […] que le clan, avec toutes ses potentialités d’exclusion, n’avait pas disparu de nos horizons qui ont pourtant subi des couches successives de modernisation». Ce n’est donc pas un hasard si son «autobiographique» récit, Le lit dans la valise*, prend son départ du clan dans une vaine quête de son arbre généalogique qui va lui permettre de juxtaposer le Maroc qui connaît son ascendance et celui qui devrait se contenter de sa descendance. Mais l’homme c’est une terre et des racines, et sa généalogie, Aziz Hasbi va la trouver dans la géographie tribale. Abda et ses douars. Ses clans précisément qui par intermittence mais régulièrement amènent l’auteur à parler de ceux qui étaient préparés à saisir les opportunités et de ceux qui les regardaient faire. Sobre et direct, Aziz Hasbi raconte sa vie, ses amitiés, ses rêves, ses fantasmes, ses exodes, ses réalisations. A travers les souvenirs d’un enfant se profile l’histoire d’une région dans sa vie quotidienne, ses chants, ses pleurs, ses saints, ses caïds, ses cheikhates, ses harkas, sa sexualité, ses crimes. Le titre du récit, Le lit dans la valise, nous met d’emblée dans la mobilité et la précarité rurale. Il nous conduit aussi vers ce que la citadinité a d’attirant mais aussi de fragile et de snob. Avec Aziz Hasbi, on voit grandir l’enfant en gardant à la bouche le lait maternel, on voit le Maroc changer sans vraiment être différent.
*Asteriaédition

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