Culture

Extraits du dernier roman de Karim Nasseri (1)

© D.R

Les voisins commencèrent à allumer leurs lumières et à se pencher qui de sa fenêtre qui de son balcon pour assister au massacre. Saad voulait en finir avec sa femme. Il était décidé à la tuer. Il était complètement saoul mais arrivait encore à tenir sur ses pieds. «C’est ce soir que je sauve mon honneur », criait-il. « J’ai trop fermé l’oeil. Je n’en peux plus de courber le dos et de laisser passer les tempêtes. Ce soir je fais face à tous les défis.» Et traînant sa femme par terre comme un vieux chiffon, Sâad de continuer : « Tu n’es qu’une pute à rabais. Une traînée. Une bâtarde à deux sous. Tu n’as jamais su fermer ta fente. Le premier venu se soulage sur ton bas-ventre. ». Il commença à lui cogner la tête contre le mur, à lui arracher des touffes de cheveux et à lui donner des coups de pieds sur les reins et le visage. Pendant ce temps, les voisins, contemplaient le beau travail de l’ivrogne sans broncher. J’avais beau boucher mes oreilles avec du coton et mettre l’oreiller sur ma tête, les gémissements, de plus en plus sourds, de la pauvre Najat me fondaient le coeur. Quand, finalement, maman Zoubida décida d’appeler la police, une voix grave, de quelqu’un qu’on venait de réveiller d’un sommeil profond, lui répondit que la police ne se déplace que si la victime est ensanglantée. J’entendais la maquerelle lui répondre que la victime est à l’agonie et que son agresseur est son propre mari qui est dans un état de violence sans limites. L’agent s’emporta et répondit à nouveau que la police ne se déplace que s’il y a du sang. Maman Zoubida lui répliqua dans une colère noire : « au lieu de protéger et de servir le peuple, vous le torturez et le rackettez. Vous vous croyez protégés à jamais. Mais votre heure viendra un jour et vous le regretterez. Voulez-vous que j’aille vérifier si mon voisin avait bien planté son couteau dans le ventre, le cou ou le dos de sa femme pendant que vous dormez derrière votre bureau ? Voulez-vous être sûr que le sang de la pauvre femme a bien éclaboussé le visage de son mari et les murs de leur maison pour daigner bouger votre gros cul de flic corrompu ? ». Maman Zoubida, hors d’elle, avait fini par raccrocher son combiné. Serrant ma tête entre mes jambes et fermant mes oreilles avec mes petits doigts, tremblant de peur et claquant des dents, j’avais dû passer ma nuit à prier un Dieu sourd et des Saints aveugles de guider mes pas vers un salut. L’aube n’avait pas encore pointé son nez quand maman Zoubida mit sa djellaba terne, son fichu blanc et ses sandales en caoutchouc. Tout en me versant un reste de café froid, la tenancière me somma de me dépêcher : « Avale ton café pour m’accompagner. Je dois faire une course importante dans un faubourg pauvre et lointain. Tu mets tes vieux vêtements et ces bottes usées. Nous ne devons pas attirer l’attention des habitants de Ben Msîk. Il faudrait passer inaperçus. Ils n’aiment pas les intrus. » Nous prîmes deux bus, un taxi puis nous marchâmes presque une heure pour atteindre un gigantesque campement de logis de fortune. Tôle, bois, zinc, cartons, bouts de plastique, plaques de fer, bâches usées, troncs d’arbre et planches de bois subtilisés et portières de voitures récupérées. Tout était bon pour construire un taudis. Sans eau courante ni électricité ; sans routes ni égouts ; le baraquement infesté de toutes sortes de moustiques et de reptiles grouillait d’hommes, de femmes, d’enfants maladifs et de chiens galeux. Jamais de ma petite vie, je n’aurais cru que la misère marocaine avait atteint un tel degré si mon destin maudit ne m’avait pas jeté dans cette prison à ciel ouvert. J’avais déjà vu, senti et même palpé la peine des gens à vivre dignement mais jamais au stade des habitants de l’enfer de Beni-Msik. Des jeunes garçons désoeuvrés assis sur des cartons et fumant des joints ou sirotant du thé dans des verres ébréchés nous dévisagèrent de la tête au pied. Je sentis leur regard haineux transpercer mon coeur et me tétaniser. Une peur bleue me terrassa. Mes petites jambes défaillirent et je manquais tomber. Je pris la main de maman Zoubida, la serra très fort et baissai la tête. La tenancière, elle, avançait avec assurance comme dans un terrain connu. Des montagnes de détritus jonchaient le sol, les eaux usées formaient des marécages entre les allées étroites et, par endroit, des orties se dressaient en maîtres des lieux. Des petits enfants, garçons et filles, aux corps rachitiques et aux nez et aux yeux coulants, des bouteilles en plastique dans les mains, se battaient dans un attroupement sauvage devant un mince filet d’eau pissant d’un tuyau métallique rouillé.

Par Karim Nasseri
Ecrivain

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