Culture

Kaoutar Harchi: «Il est temps que la femme cesse de jouer le jeu de l’homme»

© D.R

Qui est Kaoutar Harchi? Parlez-nous de votre parcours…
 

Kaoutar Harchi : Je suis une écrivaine française, née à Strasbourg, de parents originaires du Maroc. J’ai réalisé une partie de mes études de sociologie à Strasbourg. Puis, à l’âge de 21 ans, j’ai ressenti le besoin de quitter mes parents pour m’installer à Paris, poursuivre mes études et publier mon premier roman, Zone Cinglée, paru en 2009, aux éditions Sarbacane. Ce roman abordait le thème de l’homosexualité masculine et plus largement de la misère affective et sexuelle des hommes.

Quels sont vos liens avec le Maroc aujourd’hui ?

J’ai gardé certains liens personnels et familiaux avec le Maroc mais somme toute assez faibles. Plus sérieusement, je continue à m’intéresser au Maroc d’un point de vue davantage professionnel. Je participe régulièrement au SIEL et collabore souvent avec l’Institut français de Tanger, de Casablanca, de Rabat et cela à travers un certain nombre de conférences publiques.
L’une d’elle d’ailleurs, qui s’était déroulée à l’institut français de Tétouan, avait soulevé l’indignation du public présent (majoritairement masculin). Cette difficulté du public à entendre parler des libertés individuelles, surtout de la part d’une femme, était pour moi significative de la nécessité de poursuivre ce travail d’éveil des consciences.
De la nécessité aussi de revenir autant que possible au Maroc et d’œuvrer pour une évolution des mentalités en faveur de la reconnaissance de l’existence d’un individu libre, en faveur du développement de l’esprit critique (par l’art, notamment), et en faveur, aussi, de l’acquisition de droits nouveaux pour les femmes marocaines.  

Quel regard portez-vous sur ce que connaît le Maroc comme changements et mutations ?

Je ne peux que soutenir les changements à l’œuvre dans la société marocaine et qui me semblent se réaliser au profit de la reconnaissance des droits fondamentaux de chaque individu. Le fait qu’un violeur ne puisse plus épouser sa victime me semble être une avancée fondamentale qui met en partie fin à cette complicité effroyable qu’entretenait la justice marocaine avec les criminels.
La campagne Stop Torture est importante mais elle ne représente que la face émergée de l’iceberg. Demeurent, tapies dans l’ombre, dans le silence, toutes ces choses contre lesquelles nous devons aussi manifester : l’intolérance, l’islamisme, le déni des droits individuels, le viol.

A lire votre dernier roman «A l’origine notre père obscur», on se rend compte que c’est une plongée sans concessions dans les travers des sociétés arabes et surtout ceux de la société marocaine. Que reste-t-il à faire pour lutter contre ce type d’héritages et d’archaïsmes ?

A l’origine notre père obscur est un roman dont je ne précise ni le lieu ni le temps de l’action afin de laisser à chaque lecteur la possibilité de s’emparer de ce récit au prisme de ses propres experiences. Si ce roman vous a fait penser aux sociétés arabes et plus particulièrement à la société marocaine, c’est peut-être que ces sociétés portent trace d’un certain nombre d’archaismes.

Le fait, par exemple, que chaque chapitre s’ouvre sur une citation de la Genèse est significatif du fait que l’archaisme, le sexisme, la violence de la tradition, le poids de la tribu, la pression sociale en général, sont le produit d’une histoire ancienne, millénaire qu’en tant qu’écrivaine il m’importait d’interroger.

Si je focalise mon attention sur la société marocaine, je ne peux que déplorer une situation complexe tant certains mouvements, islamistes notamment, gangrènent la société. Il existe donc au Maroc un véritable foyer conservateur, réactionnaire, violent et rétrograde.
Mais je refuse de désespérer. Je veux croire qu’il existe aussi, au Maroc, un foyer artistique, avant-gardiste, militant, qui veille à faire entendre un autre son de cloche. Il est essentiel de dialoguer, d’aller les uns vers les autres, de s’écouter. Il y a un chemin et ce chemin, il revient aux Marocains de l’inventer.
 

Quelle place occupe aujourd’hui la femme au Maroc?
De ce que j’ai pu lire, voir, écouter et vivre, il me semble que la situation des femmes au Maroc revêt des formes différentes qui s’expliquent notamment par l’appartenance à telle ou telle classe sociale. Néanmoins, lorsqu’un leader politique affirme que la place de la femme est au foyer, auprès de ses enfants… et des fourneaux ce sont toutes les femmes marocaines qui doivent se sentir interpellées parce qu’on les prive alors de leur droit à décider elles-mêmes, comme n’importe quel adulte le ferait,  de leur avenir et de leur place dans la société.

Il est temps, aussi, que certaines femmes marocaines cessent de jouer le jeu des hommes en se complaisant (la plupart du temps sans même le savoir) dans leur misère. Plus que jamais, chaque femme et chaque homme doivent se penser comme des entités individuelles et non plus comme les membres d’un groupe. Le chemin sera long, c’est certain, mais il en vaut bien la peine !

Biographie

Née à Strasbourg en 1987, de parents marocains, Kaoutar Harchi, titulaire d’une licence de lettres modernes, d’un master de socio-anthropologie et d’un master de socio-critique est, depuis 2010, doctorante-monitrice à la Sorbonne, où elle assure des enseignements en littérature et sociologie. Elle vit aujourd’hui dans la région parisienne.

Elle est l’auteur des deux romans : Zone cinglée (Sarbacane; 2009) et L’Ampleur du saccage (Actes Sud ; 2011). Son dernier roman, publié aussi chez Actes Sud, À l’origine notre père obscur a eu  une très bonne critique. Kaoutar Harchi a été l’invitée de plusieurs  plateaux de télévision pour parler de son livre, de ses origines, du regard qu’elle porte sur la femme, sur les relations avec les hommes et surtout l’évolution des mentalités dans le monde arabe.

 

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