Culture

Le drame des marocains d’Amsterdam

© D.R

M.B., vieille dame originaire de l’Oriental ayant passé le plus clair de sa vie aux Pays-Bas, arrive mal à joindre les deux bouts avec sa pension de 35,13 euros mensuels. Bientôt, cette menue somme risquerait de devenir un véritable enfer. Car, du jour au lendemain, les autorités néerlandaises pourraient "se souvenir" d’elle et exiger plusieurs centaines d’euros en guise de frais d’assurance comme le stipule la nouvelle loi votée dans ce pays et entrée en vigueur, pour les Marocains ayant vécu aux Pays-Bas, depuis janvier 2006. Rien de terrible ! M.B. doit payer la bagatelle de 71 euros en guise de cotisation personnelle en plus de 8,80 % de sa pension par mois. Résultats des courses, la vénérable dame doit se débrouiller pour débourser plus que sa maigre pension. Pour A.E.H. à la pension plus conséquente, les dégâts sont encore énormes. Les 264,41 euros de ce retraité sont allégés chaque mois de 155,67 euros (sa contribution pour assurer son couple) et vivre avec les 57,74 euros qui lui restent. Et surtout se faire soigner lui et sa femme des séquelles de décennies de labeur au pays de Van Gogh.
Ni M.B., ni A.E.H. ne présentent des exceptions. Plusieurs milliers de Marocains ayant vécu aux Pays-Bas et rentrés au Maroc, se retrouvent dans la même situation. Situation qui peut se résumer en deux phrases: une assurance- maladie onéreuse, mais sans pouvoir bénéficier des services auxquels elle donne droit en principe. L’origine du problème, comme nous l’explique Mohamed Sayem, responsable de la fondation hollandaise de Soutien aux émigrés qui retournent dans leur pays d’origine (SSR, sise à Berkane), remonte à 2004 quand une convention a été signée entre la CNSS et les autorités hollandaises pour que les ressortissants marocains concernés bénéficient d’une assurance maladie-obligatoire aux Pays-Bas.
Aujourd’hui, les premiers concernés, ulcérés, ont adopté une sorte de slogan pour dire leur dépit : "Ils se sont mis d’accord contre nous et pas pour nous !". Entre-temps, une nouvelle loi néerlandaise a été adoptée pour mettre tout le monde sur un même pied. Il s’agit de la très contestée AWBZ qui englobe une cotisation personnelle de 71 euros pour tout membre de la famille âgé de plus de 18 ans, un impôt sur le revenu d’un taux de 6,5 % en plus d’une autre cotisation de 8,80 %. Le total de ces cotisations est estimé à une moyenne mensuelle de 180 euros, affirme Mohamed Sayem. 
Pour Miloud Kajoui, vice-président de l’association "Al Fath" (dédiée au soutien des ex-immigrés aux Pays-Bas), cette loi ne pose aucun problème pour les Marocains qui sont encore aux Pays-Bas. La AWBZ donne même droit à des prestations dignes d’un véritable Eden social : carte de santé donnant droit à des consultations gratuites, des médicaments fournis à l’œil. Les bénéficiaires aux Pays-Bas peuvent même se payer le luxe d’avoir une aide médicale à domicile ou se faire totalement prendre en charge dans une maison de vieux qui n’a rien à envier à un bon quatre étoiles. Cette assurance est surtout utile pour les malades dont les maux nécessitent d’engager de lourds frais médicaux. Mais uniquement aux Pays-Bas.
Au Maroc, ces prestations sont réduites au minimum pour ne pas dire inexistantes. La CNSS, chargée de l’exécution de l’accord pré-cité  pour la partie marocaine, n’en prévoit pas ou alors pas de la même qualité. C’est ce qui a été d’ailleurs à l’origine de graves différends entre les assurés de la AWBZ et diverses polycliniques de la CNSS, notamment au nord et dans l’Oriental. Cerise sur le gâteau, les prestations de la CNSS ne sont pas gratuites et les remboursements sont plus que décevants pour cette catégorie d’assurés.
Miloud Kajoui affirme qu’il existe nombre de cas d’assurés qui ne trouvent même pas de quoi se déplacer aux polycliniques de la CNSS comme c’est souvent le cas de veuves dont les pensions sont "pompées" à la source aux Pays-Bas et qui doivent d’abord payer les soins et attendre de se faire rembourser par un fonds hollandais mis en place à cette fin. Pour une autre partie de ces assurés, se pose un autre dilemme : manger ou se faire soigner…
Retourner aux Pays-Bas pour se faire soigner ? Pas question et on dirait que tout a été bien "ficelé" pour mener la vieillesse dure à cette catégorie d’assurés. Ils sont tout simplement interdits de séjour au pays où ils ont passé le plus clair de leur vie et il relève presque de l’impossible de convaincre les services consulaires néerlandais de leur concéder le fameux sésame. C’est ce qu’on pourrait appeler un parfait contrat de dupes. Avec des nuances pour certains d’entre eux qui affirment que la faute n’incombe pas aux autorités néerlandaises, mais bien à la partie marocaine qui a négocié ledit accord pour soustraire cette catégorie de l’Assurance maladie-obligatoire (AMO) entrée en vigueur il y a quelques semaines au Maroc. C’est ce qui ajoute aussi au courroux des associations qui disent ne pas avoir été consultées. Les premiers concernés se disent avoir été mis face au fait accompli. Une soixantaine d’entre eux ont essayé une action en justice aux Pays-Bas. Leur requête a été rejetée puisqu’il s’agit d’une loi adoptée par le Parlement et à laquelle tout le monde est soumis. Mais surtout avec l’intransigeance du ministère de la Santé qui ne veut rien entendre.
Des solutions, les premiers concernés en avancent bon nombre. Pour eux, l’annulation de l’application de cette loi aux Marocains rentrés chez eux serait la bienvenue. Ou alors l’adoption de mesures spécifiques et plus adaptées pour eux. Les plus "radicaux" optent pour un autre choix : annuler cette loi ou leur permettre de retourner aux Pays-Bas. Pour trouver une solution à cette impasse, une commission mixte de sécurité sociale a été mise en place et elle a tenu sa dernière réunion de travail à Rabat. Pour déboucher sur un nouvel échec. Toutefois, la partie marocaine représentée par le ministère de l’Emploi (où est passée Nezha Chekrouni? Mystère !) a fait une série de propositions à ses vis-à-vis néerlandais (voir encadré). Les deux parties ont finalement convenu de se donner une période réflexion pour trouver des solutions "consensuelles et définitives" comme l’indique le département de Mostafa Mansouri qui a hérité de cette autre "patate chaude".
Les milliers de concernés, eux, se donnent encore rendez-vous cette semaine (mercredi 29 mars) à Tétouan lors d’une journée de communication qui s’annonce houleuse surtout après que les coups de boutoir –et pas des moindres – ont commencé à grignoter sur leurs déjà maigres pensions. "Si aucune solution n’est trouvée à ce problème, nous n’hésiterons pas à demander l’intervention personnelle de notre Roi", déclare Miloud Kajoui qui n’écarte pas la possibilité de manifestations de protestation à Rabat.
Contacté par ALM, Mostafa Mansouri, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, a indiqué qu’il était "conscient du problème et des doléances des concernés, justes par ailleurs". M. Mansouri affirme qu’il sera au rendez-vous du 29 mars 2006 à Tétouan mais qu’il se déplacera aussi et "dès que possible" aux Pays-Bas pour débloquer ce dossier. "Si on pénalise les Marocains qui rentrent au pays, l’accord devient embarrassant et il s’agira alors d’en renégocier les termes selon la nouvelle loi ou de prévoir des exceptions pour les Marocains", affirme M. Mansouri qui ne cache pas que le Maroc avait "sérieusement pensé à suspendre" ledit accord. Pour ce responsable gouvernemental, les Néerlandais, en instaurant la loi sur la AWBZ "ont réfléchi par rapport à la communauté européenne, mais oublié les répercussions que cela pourrait avoir sur les Marocains, Béninois ou Somaliens rentrés chez eux". Pour plusieurs victimes de cet état de fait, les autorités néerlandaises ont trouvé, via la convention signée en 2004, une autre occasion de rendre la vie dure aux immigrés même après le retour de ces derniers dans leurs pays d’origine. Un responsable de l’ONG "Al Fath" affirme que cela va dans le même sens des législations européennes en phase de devenir plus strictes en matière d’immigration.
En attendant, ceux qui sont encore aux Pays-Bas ont intérêt à laisser tomber l’idée d’un retour définitif au Maroc. Mieux serait de tomber malade à Utrecht et en avoir pour son argent que de se porter souffrant à Berkane, Nador, Béni Drar ou Errachidia…

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