Culture

«Le jour venu», un roman bienvenu

© D.R

Driss C. Jaydane, nom de plume d’un certain Driss Chraïbi, travaille actuellement sur son prochain roman. L’histoire d’un journaliste emblématique de l’époque que nous vivons, dans ce Maroc que nous croyons connaître parce que précisément, des journalistes nous en parlent tous les jours. Mais cet autre Driss Chraïbi est écrivain et son regard, forcément, va plus profond, beaucoup plus loin. «Le jour venu», son premier roman publié récemment aux éditions du Seuil, en est la preuve.
«Le jour venu», première œuvre remarquablement aboutie de cet écrivain marocain qui signe d’un pseudonyme parce qu’il porte le même nom que le Driss Chraïbi qui, en 1954 révolutionna la littérature marocaine d’expression française en publiant, aux mêmes éditions du Seuil, le célébrissime «Passé Simple», raconte le parcours initiatique d’un jeune bourgeois casablancais, un Casablancais d’Anfa, Anfa Supérieur pour être tout à fait précis.
Le narrateur a seize ans. Son père est un riche avocat, sa mère une bourgeoise oisive imbibée de Vodka et gavée de tranquillisants et son meilleur ami, Daniel, est le fils d’une famille de Pieds-Noirs d’origine espagnole. Il y a aussi Simo, son chauffeur, Simo comme diminutif de Si Mohamed car, pour l’instant, le narrateur ne voit en cet homme que le complément fonctionnel de la Honda qui le conduit de sa villa à son club de tennis, de son club au domicile de son ami Daniel, sans compter les accompagnements au lycée Lyautey où, comme tous les adolescents de sa caste, il fait ses études.
C’est alors que Daniel, qui commence à en avoir assez de la façon dont son ami semble se complaire dans son statut de Fassi descendant du Prophète et héritier fier d’une solide dynastie de bourgeois promis à tous les Paradis, depuis celui de la colline d’Anfa jusqu’à ces jardins éternels où coulent le lait et le miel, décide de le confronter à une tout autre réalité marocaine. Commence alors le parcours initiatique du narrateur et surtout, le cours de ce roman qui déroule ses péripéties dans un Casablanca qui sera bientôt déchiré et ensanglanté par les émeutes du 20 juin 1981.
«On entend là, nous explique l’éditeur, une voix inhabituelle dans la littérature maghrébine, celle d’un jeune bourgeois égoïste et satisfait, manifestement distincte de celle de l’homme qui écrit. Mais cette voix ne demeure pas figée dans ses certitudes (…) et, sous le regard du garçon qui s’exprime, différents univers vont se révéler : celui des beaux quartiers, celui des bidonvilles et celui d’une spiritualité tenue secrète. Avec l’aide d’un journaliste, le narrateur abandonne son environnement familier pour franchir plusieurs portes interdites… Est-ce à dire que sa vie confortable, familiale, va être définitivement modifiée ?» Dans un style d’une puissance et d’une élégance rares, Driss Chraïbi Jaydane entreprend, pour son premier roman, de démonter un à un tous les rouages du Maroc moderne, celui qui commence lorsqu’au lendemain de l’indépendance se met en place le système de «recolonisation par les Marocains eux-mêmes d’un pays libéré du protectorat français ».
Sans détours, l’auteur annonce nettement la couleur : «Ce qui est important pour moi, c’est que l’on comprenne qu’il y a au Maroc des gens qui n’oublient pas… » et nous livre là, l’une des clés de lecture de ce roman résolument décapant teinté d’un sens tout particulier de l’humour au second degré. Derrière le masque d’un adolescent paradoxalement lucide malgré son aveuglement, et c’est là le seul reproche que l’on puisse faire au ressort littéraire de l’ouvrage, le narrateur passe ainsi en revue toutes les composantes de notre société, en explore toutes les dimensions, en révèle toutes les arcanes.
Avec, tout au long du roman, le personnage du père, ce bourgeois muré dans la forteresse de ses privilèges de classe qui finira même par convaincre son fils que le peuple n’est que populace, que les lions doivent être tenus en laisse comme des chiens, que la force est toujours légitime même lorsqu’elle conduit au massacre de femmes et d’enfants et qu’il ne faut surtout jamais confier sa faiblesse à une femme. Quasiment rien à jeter, au final, dans ce roman inspiré, courageux et novateur dont le seul défaut est de coûter un peu trop cher pour prétendre à un lectorat populaire.
Reste à en espérer une co-édition pour le marché national qui permettrait d’en abaisser le prix de vente à un niveau plus abordable, doublée, souhaite l’auteur, d’une traduction en arabe. À moins qu’un réalisateur ne vienne transcrire en images animées cette évocation saisissante du Maroc d’en haut interpellé par le Maroc d’en bas, même s’il est prouvé que la littérature, la vraie, n’est pas forcément soluble dans le cinéma.

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