Culture

Théâtre de la métamorphose

Kira, un simple d’esprit, vaque à des occupations terre-à-terre. Son plus grand souci est de trouver un peu de viande pour sa femme, Aïcha. Il gagne sa croûte en faisant divers petits métiers, et tout particulièrement celui de porteur. Kira ne sait pas dire non ; c’est là son défaut. Quatre soldats apparaissent après. Ils cherchent de quoi faire la fête, ils forcent la porte d’un dépôt et volent de l’argent. Un des leurs se coince la tête à la porte et y laisse une touffe de cheveux.
C’est une preuve accablante aux yeux d’un officier qui se met en quête du crâne dégarni. Très embarrassés, les soldats pensent à une solution quand ils aperçoivent un personnage un peu perdu, c’est Kira. Sa naïveté est une aubaine pour eux. Ils le soûlent et lui demandent de revêtir un uniforme, il tiendra désormais le rôle du soldat qui a laissé ses cheveux sur la porte du dépôt. Kira résiste d’abord, mais peu à peu il prend goût à sa nouvelle vie. Il devient Lâarbi Laghrib. La fin de la pièce montre un homme métamorphosé: Kira se transforme en un soldat sanguinaire, prêt à tuer. Telles sont, dans leurs grandes lignes, les péripéties de «Ha Bnadem», une pièce de théâtre adaptée par Mohamed Zouhir d’après «Homme pour homme» de Bertolt Brecht. Le décor de cette pièce se constitue d’une toile où sont peintes des fenêtres et des planches verticales, dont certaines portent des graffitis en allemand. Un petit tréteau au milieu de la scène sert à supporter le reste du décor qui est placé au fur et à mesure du déroulement de la pièce, sous les yeux des spectateurs. Cette façon de faire est éminemment brechtienne. Brecht est en effet connu pour avoir créé, par opposition au théâtre traditionnel où le spectateur s’identifie au héros, le «théâtre épique» qui invite l’acteur à présenter son personnage sans se confondre avec lui. C’est ce qu’il appelle « l’effet de distanciation » qui rompt avec la convention traditionnelle fondant le théâtre.
L’illusion de réalité n’est plus de mise, et rien ne doit voiler le jeu des acteurs. Mohamed Zouhir, le metteur en scène de « Ha Bnadem», reste fidèle à l’esprit de Brecht. Il a volontairement opté pour un jeu aux antipodes de la réalité illusoire. C’est ainsi que les acteurs font par exemple semblant de fumer, mais sans avoir de cigarettes entre les doigts.
Une actrice rompt même d’une façon criante la convention du théâtre : elle enfreint la frontière qui sépare la scène des spectateurs. Elle quitte en effet les planches et se promène parmi les spectateurs en s’adressant directement à eux. Cette actrice, qui joue le rôle de Bikbik, s’appelle Hind Saâdidi, et son interprétation est remarquable. L’autre acteur, qui sera une découverte pour ceux qui ne le connaissaient pas, est Abdelghafour Elâaziz. Il tient le rôle de Kira : du débile simple d’esprit, il se transforme en soldat, véritable machine de guerre. Il opère merveilleusement la métamorphose : les spectateurs ont l’impression d’assister à deux personnages distincts. Mohamed Zouhir a su dans cette pièce apporter un nouveau souffle dans le théâtre marocain. Il a fait un choix difficile en optant pour une pièce dont la réception n’est pas aisée. Pourtant sa mise en scène n’a à aucun moment ennuyé les spectateurs.
La réserve qu’on peut toutefois émettre sur «Ha Banadem » a trait au trop de chahut des soldats. Ils tapent avec leurs bottes, courent et se tordent tout le long de la pièce. Ce n’est pas forcément nécessaire pour rendre compte du train de vie des soudards. Mais il n’en demeure pas moins que Mohamed Zouhir a su donner une tonalité éminemment marocaine à la pièce de Brecht, en osant utiliser le langage de la rue. Il a aussi brillamment montré qu’une créature monstrueuse menace à tout moment de se substituer à l’homme inoffensif.

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