Culture

Un livre vu par quatre écrivains

«Raconte-moi une histoire ou je te tue», telle est l’injonction impérieuse qui sous-tend tous les contes des «Mille et une nuits». Une princesse, Shéhérazade, survit grâce à son talent de conteur. Elle ajourne chaque nuit le moment de sa mise à mort par un prince dépité par la perfidie de son ex-femme qu’il a surprise dans des ébats fougueux en compagnie d’esclaves noirs, remarquablement dotés par la nature. Shaherayar est aussi bien assoiffé de sang que d’histoires. Et c’est ainsi qu’il assoit le pacte de l’une des plus fabuleuses aventures de la fabrication littéraire. Sa femme doit le tenir en haleine, capter son intérêt, aiguillonner son impatience pour l’obliger à réclamer la suite du conte interrompu la veille, autrement c’est la mort. Il s’agit donc bien plus que de conter, mais d’insuffler dans chaque récit tous les ingrédients de la qualité. Une histoire qui n’intéresserait passablement son destinataire est synonyme de mort.
Lorsqu’une manifestation internationale se tient à Rabat autour des «Mille et une nuits», on ne peut que se féliciter de cette initiative. L’épine dorsale de cet événement est un colloque intitulé «Les Mille et une nuits, du texte au mythe». Il rassemblera les meilleurs spécialistes de ce texte dans le monde : des Européens, des Arabes, des Latino-Américains et des Japonais. Il s’agira fondamentalement du travail de chercheurs qui s’adresseront au public rompu au discours universitaire. Mais rien n’empêche un large public d’assister aux conférences de ces messieurs, d’autant plus qu’on voit mal un universitaire tenir une exégèse sibylline à propos d’un livre – véritable bête noire de l’ennui. Cette manifestation ne se limite pas toutefois au travail des chercheurs, elle promet, le 1er novembre, une table ronde qui sera animée par quatre de nos meilleurs écrivains : Abdelfattah Kilito, Edmond Amran El Maleh, Mostafa Nissabouri et Abdelkebir Khatibi. Kilito est parmi les organisateurs de cet important événement. Il nous a confié que les «Mille et une nuits» est le premier livre qu’il a lu à l’âge de 10 ans. Il l’a lu en arabe dans une «version expurgée », précise-t-il. Les contes comprennent en effet plusieurs descriptions érotiques qu’il ne fait pas bon de mettre à la portée de tous. On les qualifierait dans le langage d’aujourd’hui d’érotisme hard. «Quand on lit ce livre à l’âge de 10 ans, on ne peut plus s’en libérer. On devient son “otage”». Kilito nous promet, lors de cette table ronde, des moments enchanteurs dont il est le seul à détenir le secret. Un pastiche d’un conte des Mille et une nuits. Un lecteur féru d’un livre va construire un récit à la manière de l’un des contes de ce livre. Avec Kilito, les livres semblent en mesure de constituer l’espace de leur genèse et celui de leur éclosion : tout vient des livres pour donner naissance à d’autres livres qui constitueront – peut-être – à leur tour la base de nouveaux livres. Edmond Amran El Maleh s’intéressera quant à lui à l’usage que l’Occident a fait des Mille et une nuits. «Ce qui m’intéresse, c’est le mythe enfanté par l’Occident» nous dit-il. Et quel mythe ! Depuis «L’Esprit des lois» de Montesquieu, la vision de l’Orient, reposant sur un livre, est complètement fantaisiste. Montesquieu, et bien d’autres après lui, ont fait l’apologie la plus vibrante des moeurs de la femme enfermée. Ils ont exalté l’institution du sérail et les femmes dans les pays d’Orient où le climat décuple les appétits sexuels. Edmond Amran El Maleh va parler du harem qui hante les nuits de cet Occident qui fantasme sur les licences dont il crédite l’Orient.
Cet écrivain a consacré, dans «Le Café bleu», un texte à «La Mille et deuxième nuit», un recueil de poésie de Mostafa Nissabouri. Ce dernier parlera de ce recueil. Il y fait un voyage dans un pays que Sindbad n’a jamais visité. Les nuits de Casablanca imposent une autre forme de poésie. Une poésie qui ne craint pas la quotidienneté cinglante. « La poésie est un voyage d’une façon ou d’une autre. J’ai choisi d’ajouter un voyage supplémentaire à ceux de Sindbad, mais selon un autre mode», précise l’intéressé. «La Mille et deuxième nuit» se caractérise en effet par la violence des poèmes qui mêlent lyrisme débridé, imprécation et amour. C’est l’un des livres majeurs du poète de Casablanca. Abdelkebir Khatibi s’intéressera de son côté à la fabrication des contes du livre.
L’enchantement qu’il dispense ne doit pas faire oublier, à ses yeux, une machine savante de fabrication du texte. Les contes sont incrustés les uns dans les autres à la manière de «poupées russes» dit-il. Quant à l’injonction qui est à l’origine du livre : «raconte-moi une histoire ou je tue», Khatibi estime que «Shéhérazade a guéri Shaherayar de sa folie».
Interrogé sur le fait qu’en le guérissant, elle tue en même temps la suite du livre en lui portant son point final, Khatibi répond : «Mais pas du tout ! Elle laisse la machine narrative en branle. La preuve, ce sont toutes les recherches qui ont suivi et qui mènent jusqu’au colloque d’aujourd’hui.»

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