Editorial

La conquête de rien

© D.R

Le retrait des drapeaux espagnols de l’îlot marocain Leïla la nuit sous des fumigènes, pour que le moment – une retraite militaire absurde et ridicule – ne puisse pas être immortalisé par les photographes et les cameramen, a décidément quelque chose de pathétique.
Cet épisode peu glorieux de l’armée espagnole, digne du scénario d’un vulgaire film de guerre serie B, installe définitivement ce fait d’armes dans les rares épopées militaires grotesques qu’a connues le monde, aux yeux d’une Europe abasourdie par la persistance en son sein de postures colonialistes achevées et d’une opinion publique arabe et musulmane choquée par tant de mépris.
L’arrivée en fanfare d’une armada impressionnante à la conquête de rien se finit honteusement dans les fumigènes après avoir incontestablement conquis rien. Et c’est, justement, dans ce rien que réside la dimension pathétique de cette aventure castillane sans lendemain.
Qu’ont gagné Aznar et l’Espagne de cette bravade ? Rien aussi.
Sauf un délire raciste sans précédent contre El moro relayé par tous les médias ibériques, une blessure de plus dans les relations bilatérales complètement sacrifiées au populisme dévastateur et dangereux d’un chef de gouvernement aujourd’hui plus qu’hier plus proche d’un Le Pen ou d’un Hayder que de Chirac ou de Blair. Sauf également un consensus facile anti-arabe et anti-musulman qui classe l’Espagne, à mille lieues de Bruxelles, comme le pays européen à la réalité coloniale la plus décalée et la plus militariste, comme la nation la plus belliqueuse et la plus éloignée des valeurs que défend cette même Europe en Méditerranée.
Le bilan est terrible pour le gouvernement Aznar. Reparler sereinement avec lui des problèmes communs comme la pêche, l’immigration clandestine, le trafic de drogue, le Sahara marocain ou l’avenir des villes marocaines de Sebta et Mellilia relève plus que jamais, après un traumatisme nommé Pérejil, pratiquement de l’impossible. Que peut-on se dire quand le respect est absent ? Quelle paix ou quelle coopération imaginer quand l’idéologie de la force et du mépris prédomine? Et quelle culture commune produire ensemble quand la seule esthétique qui prévaut est celle de la canonnière et de la légion? Ça sera très difficile.
Sur le plan strictement politique, et au-delà des ravages racistes durables occasionnés, José Maria Aznar, qui n’est pas l’Espagne, ne peut plus prétendre à la qualité d’interlocuteur crédible pour le Maroc. C’est un fait. L’enjeu est tellement important pour l’avenir des deux pays qu’il serait dangereux de le laisser uniquement entre les mains de cet homme. Sa sensibilité au nationalisme primaire, au populisme le plus rétrograde, au racisme le plus ordinaire, à l’électoralisme le plus racoleur ne lui permet pas de se réclamer des qualités d’un grand homme d’Etat que la conjoncture actuelle entre le Maroc et l’Espagne demande d’une manière impérieuse.
José Maria Aznar est certes un produit de la démocratie espagnole, mais il reste un homme de toutes les droites, y compris les droites les plus ultras. Colonialistes nostalgiques, militaristes irresponsables, racistes dangereux se retrouvent tous sous sa bannière patriotarde dans un pays où une droite humaniste, démocratique et libérale n’a pas, à l’instar des autres pays européens, le droit de cité.
Cette équation politique espagnole, à savoir la nécessité de l’émergence d’une droite moderne projetée dans l’avenir et soucieuse des vrais valeurs de la démocratie, si elle n’est pas réglée, nous exposera toujours, avec ce pays, à des régressions militaristes et coloniales de type Pérejil.

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