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Bouteflika : Une imposture algérienne (18)

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Bouteflika a certainement dû travailler dans un autre monde. D’avoir été tenu dans l’ignorance des relations économiques avec l’extérieur sera, curieusement, d’un providentiel secours à Bouteflika quelques années plus tard : sa méconnaissance des grandes tractations pétrolières lui épargnera les foudres de la commission de discipline du FLN sur l’affaire El Paso.
Parmi les charges qui pesaient sur l’ancien ministre des Affaires étrangères en cette fin d’année 1981, et que ladite commission devait examiner aux fins de l’inculper pour prévarications, figurait en effet la présomption de «complicité et corruption» avec la firme gazière américaine.
Le président de l’instance,Amar Benaouda, chargé de réunir les éléments de l’accusation, convoque Sid-Ahmed Ghozali, ancien ministre de l’Energie, pour en solliciter un témoignage qu’il souhaitait accablant. « Ils voulaient me faire dire que Bouteflika était un agent des Américains, se souvient Ghozali. Amar Benaouda me posait des questions insistantes sur les liens entre Bouteflika et El Paso. J’ai compris que les services de sécurité voulaient le mouiller dans cette affaire, alors que Bouteflika n’en savait strictement rien. Il n’est jamais intervenu en rien dans la réalisation du contrat avec El Paso ni d’ailleurs dans aucun autre dossier pétrolier. Les négociations sur le gaz se passaient entre nous, d’un côté, et, de l’autre côté, Nixon et Georges Shultz, secrétaire d’Etat aux Finances (revenu ensuite au Département d’Etat avec Reagan). Aussi lorsque j’ai naturellement répondu à Amar Benaouda “Bouteflika ne savait rien du contrat avec El Paso”, il en était stupéfait.
Complètement ébahi que le ministre des Affaires étrangères ait été tenu dans l’ignorance d’une si importante affaire ! C’est comme ça que Bouteflika a été disculpé de l’affaire El Paso. »
Les généraux savaient tout du noceur-diplomate à l’heure de le faire roi. L’un d’eux, Khaled Nezzar, évoquant avec un brin de nostalgie le « temps où les dossiers sur les frasques de la vie privée était un moyen, par le chantage du scandale, de s’assurer la loyauté des commensaux », rappelle, fort à propos, que le ministre Bouteflika avait fait l’objet de «petits dossiers» de la part du vigilant Kasdi Merbah. Bien « tenus à jour », ces dossiers serviront en 1979 à écarter Bouteflika de la succession à Boumediène.
Le général soutient même que certains de ces bulletins policiers rédigés sur le fêtard Bouteflika datent de l’époque de Ben Bella : « La police politique du président l’épingle. Les petits billets des renseignements généraux rapportent, au jour le jour, des excès et des frasques qui indisposent le rigoriste Ben Bella. La démission du fringant ministre est demandée… » Ces manquements aux devoirs élémentaires n’allaient pourtant pas altérer longtemps l’inoxydable épopée du diplomate. Revenus à la raison d’Etat, les chefs militaires s’accrochèrent à la contestable renommée pour la consacrer à deux reprises, les deux fois où le ministre des Affaires étrangères fut invité à présider aux destins de la République.
« Nous connaissions les pages pas très nettes de son passé, mais nous n’avions pas le choix et nous restons attentifs.» C’est ainsi que le général Nezzar résume la définition du «candidat le moins mauvais» érigée à la mode en 1999 par ses homologues.Toute une hiérarchie militaire avouant n’avoir «pas le choix» que d’ériger un bambocheur à la tête d’un pays pourtant riche de brillants cadres honnêtes et patriotes, qui ont plus fréquenté les universités que le Belvédère et «Jack Trois-Doigts» ! Mais peut-être que la survie du système passait-elle par l’intronisation d’un danseur de rumba plutôt que de vrais hommes d’Etat!
Les généraux qui donc « savaient tout cela » jugèrent, en 1994, en brillants esprits, que « l’Algérie avait besoin d’un diplomate habile, familier des grands de ce monde et des hémicycles internationaux afin de dynamiser la diplomatie en butte à l’hostilité et à la désinformation». En 1999, année de la récidive, les décideurs, astreints à accrocher des paillettes à la vie bien remplie du fêtard devenu «moins mauvais» des candidats, se rappelèrent, note Nezzar, que Bouteflika présida l’Assemblée générale de l’ONU en 1974 et qu’il fut aux affaires pendant vingt ans.
Tournée la page des frasques, de l’argent facile, des comptes suisses et des absences prolongées. Les généraux oublient volontiers le « deux tiers mondain » quand ils n’ont besoin que du tiers-mondiste.
« Il a bluffé les chefs militaires par son érudition de façade, précise le général Benyellès. Ils ont pris cela pour de la communication.
Les généraux auraient pu s’apercevoir d’un paradoxe significatif: comment peut-on avoir été ministre des Affaires étrangères durant seize ans et ne pas savoir parler la langue de la diplomatie, l’anglais ? Bouteflika est le seul ministre des Affaires étrangères de par le monde à ne pas connaître un traître mot d’anglais.
Il n’a jamais fait l’effort de se plier aux obligations de sa fonction et de se mettre à l’apprentissage de cette langue, outil fondamental de la diplomatie. Ce détail significatif a échappé aux militaires, séduits par sa seule facilité d’élocution.» La fascination des militaires pour les vertus oratoires de Bouteflika ne date pas de 1994.
Le commandant Azzedine admet qu’en 1961 déjà, les chefs de l’état-major général de l’ALN dont il faisait partie ne voyaient personne d’autre que Bouteflika pour leur servir d’émissaire auprès des cinq leaders du FLN détenus à Aulnoy. «Il était le plus instruit, le plus à même de savoir parler aux ministres du GPRA. On ne voyait pas quelqu’un d’autre…».
Bouteflika bénéficiera également de cette préséance intellectuelle en décembre 1978 quand il décrocha le privilège de prononcer l’oraison funèbre en l’honneur de Boumediène, «les autres membres du Conseil de la Révolution, tous plus ou moins handicapés de la langue» étant bien contents de lui laisser la corvée, selon l’innocente formule du général Nezzar.
Il faut dire, à la décharge des généraux, que la fable du diplomate exceptionnel s’était puissamment installée dans les esprits depuis trente ans. Et le talent de Bouteflika à savoir exploiter pour lui la grandeur de l’Algérie postrévolutionnaire y est pour beaucoup. Bouteflika s’est habilement placé au centre d’une révolution qui, avec le prestige du GPRA et la guerre de libération, produisait sa propre célébrité. Il accrocha son nom à «l’Algérie, Mecque des révolutionnaires» et au «dialogue Nord-Sud» comme un jeune en rollers s’accrocherait à un camion pour en bénéficier de la puissance motrice. Il a su saisir l’opportunité pour se construire une image de grand diplomate.
L’illustration viendra de New York où Abdelaziz Bouteflika présidera, au nom de l’Algérie, les travaux de la 29e session de l’Assemblée générale des Nations unies en octobre 1974.
Il fera de ce grand moment de la diplomatie algérienne une occasion de se singulariser, se comportant comme si c’était l’homme Abdelaziz Bouteflika qui avait été élu à la tribune de l’ONU et non l’Algérie. Le procédé aux Nations unies est pourtant ancien, qui consiste à faire présider chaque année l’Assemblée générale par un pays différent. Cette année-là était venu le tour de l’Algérie et l’exercice d’après verra le Togo présider l’auguste réunion mondiale.

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